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L’ictère néoplasique obstructif :

Matériels et méthodes

ETUDE EPIDEMIOLOGIQUE ET CLINIQUE A- Étude épidémiologique

B- Étude clinique :

1. L’ictère néoplasique obstructif :

L’ictère est le mode de révélation habituel des cancers pancréatiques périampullaires (96,5%). D’apparition tardive, c’est le premier signe d’un envahissement ou compression biliaire [53]. Il s’agit le plus souvent d’un ictère cholestatique nu, sans fièvre ni frisson, associé à des selles décolorées avec des urines foncés et accompagné de prurit devenant rapidement intolérable.

L’ictère peut révéler une tumeur de petite taille à localisation pancréatique céphalique, il est alors en général d’installation lente et progressive et s’accentue sans rémission, mais le plus souvent le cancer est déjà localement évolué et/ou métastatique à sa découverte. Lorsque la tumeur est localisée au niveau du processus uncinatus, l’ictère révélateur n’est pas constant. Lorsqu’il s’agit d’une localisation ampullaire, l’ictère est volontiers plus intense, progressif et fluctuant dans le temps.

Tous les patients de notre série, ainsi que celle réalisée dans notre service par O. Mouaqit et al. [45], présentaient un ictère cholestatique, c’est le maitre symptôme motivant la consultation. Le prurit a été fréquemment retrouvé et souvent atroce entraînant des lésions de grattage.

Les conséquences systémiques de l’ictère peuvent être résumées dans ce qui suit [54] :

 Immunodépression et complications infectieuses : L’ictère rétentionnel est associé à un état pro-inflammatoire résultant d’une endotoxinémie portale et systémique. La carence en sels biliaires dans le tube digestif est responsable d’un déséquilibre de la flore bactérienne, associé à une augmentation de la perméabilité de la muqueuse intestinale, augmentant la translocation bactérienne.

 Retentissement sur la fonction rénale [55] : Le profil métabolique des

patients ictériques est marqué par une déplétion hydrique du secteur extracellulaire responsable d’une insuffisance rénale associée, d’une augmentation physiologique des taux sérique de rénine, d’angiotensine, d’aldostérone et associée à une augmentation paradoxale du peptide natriurétique atrial (atrial natriuretic peptid : ANP). Cette augmentation de l’ANP serait liée directement au passage sanguin de composés de la bile. Il s’agit d’une insuffisance rénale non-oligurique dans 80 % des cas. Son apparition est corrélée à l’intensité de l’ictère, à une infection à bactéries gram négatif, ainsi qu’à une hypotension, une hypoprotidémie, une hyponatrémie et une

 Retentissement sur la fonction myocardique : Une étude clinique [56], portant sur 15 patients ictériques, a mesuré le travail systolique du ventricule gauche par cathétérisme de Swan-Ganz, et a mis en évidence une augmentation du taux de brain natriuretic peptid (BNP), de l’ANP, et une altération de la fonction ventriculaire gauche. En analyse multivariée, le taux de bilirubine, la durée de l’ictère, et le taux plasmatique de BNP étaient corrélés à l’importance de la dysfonction ventriculaire gauche. Celle-ci devenait marquée lorsque l’ictère était sévère (bilirubine > 350 μmol/l). Ce retentissement cardiaque de l’ictère pourrait expliquer, en partie, la physiopathologie du choc chez les patients atteints d’angiocholite aiguë [57], et suggère la nécessité d’explorations cardiaques préopératoires chez les patients ictériques ayant des antécédents cardiorespiratoires.

 Retentissement sur l’hémostase : Le foie a un rôle essentiel dans la production de plusieurs facteurs de la coagulation (facteurs I, II, V, VII, VIII, IX, X, XI, XII, XIII, prékallikréine, HMWK), de facteurs anticoagulants (antithrombine-III, héparine cofacteur-II, Protéine C, protéine S, TFPI-1, TFPI-2) et de composants du système fibrinolytique (plasminogène, α2-antiplasmine, TAFI). Ainsi, la survenue d’une insuffisance hépatique ou d’une obstruction biliaire prolongée peut entraîner des troubles de l’hémostase. En cas d’ictère, l’absence de bile dans l’intestin empêche l’absorption de la vitamine K, enzyme essentielle pour la carboxylation post-transcriptionnelle activant les facteurs de coagulation II, VII, IX, et X [58]. Malgré la correction de la carence en vitamine K, des évènements

hémorragiques ou thrombotiques peuvent survenir. Ils sont dus à l’activation de la cascade de coagulation de la voie extrinsèque du facteur tissulaire par la translocation de bactéries intestinales et de leurs endotoxines, elle-même favorisée par l’ictère. La production intense et non-contrôlée de facteur tissulaire, dans ce contexte septique, peut conduire à des évènements thrombotiques ou provoquer une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD). Ceci s’ajoute à l’état pro-coagulant associé à l’adénocarcinome pancréatique lui-même. Parallèlement à ces anomalies pro-coagulantes, il existe également des altérations de l’hémostase favorisant au contraire les évènements hémorragiques souvent constatés lors de chirurgie réalisée dans un contexte d’ictère sévère [59].

 Retentissement nutritionnel : Deux études cliniques [60] [61] ont analysé l’existence d’une dénutrition et la quantification calorique des ingestats chez plus de 50 patients. En cas d’ictère, 48 % des patients étaient dénutris, et 66 % avaient des apports caloriques oraux spontanés insuffisants. La présence d’une dénutrition était corrélée au taux de bilirubine, et à la durée de l’ictère.

L’influence pronostique de l’ictère au moment du diagnostic n’est pas claire : certaines études sont en faveur [62] [63] et d’autres non [64]. Par ailleurs, l’ictère a longtemps été considéré comme un facteur de risque de complications postopératoires, ce qui a conduit au développement du drainage biliaire préopératoire [65]. Toutefois, dans un essai randomisé ayant comparé les DPC

démontré que le drainage biliaire par endoprothèse augmentait la morbidité globale sans améliorer la morbidité postopératoire immédiate, mais il n’a pas influencé la survie à distance [66]. La place du drainage biliaire chez les malades ayant une bilirubinémie supérieure à 250 μmol/l (>145 mg/l) reste à vérifier [44].

2. La douleur :

Des douleurs isolées ou associées à l’ictère sont présentes dans 80% des cas de tumeurs de la tête du pancréas. Il s’agit d’une douleur transfixiante, intense, de siège épigastrique, à irradiation postérieure, survenant par crise ou permanente, soulagée par l’antéflexion (position en chien de fusil) ou par l’administration d’opiacés. L’irradiation dorsale de la douleur est particulièrement trompeuse et peut simuler une origine vertébrale retardant ainsi le diagnostic d’une éventuelle tumeur. La douleur est d’abord liée à l’hyperpression en amont de l’obstruction canalaire et ensuite à l’envahissement rétro-péritonéal nerveux.

Les critères cliniques sont rarement pris en compte dans la littérature pour évaluer la résécabilité des cancers du pancréas. Pourtant, dans le cas des cancers pancreatiques, la présence de douleurs solaires est généralement un critère de mauvais pronostic pour la résécabilité, bien que le taux réel ne soit pas évalué. Ainsi la douleur solaire est présente chez 85 % avec un cancer localement avancé ; un ictère est associé à une douleur de type solaire chez la moitié des malades avec une tumeur non résécable [67] [68]. Il a aussi été suggéré que les douleurs abdominales et/ou dorsales et leur intensité sont un facteur de mauvais pronostic : elles sont non seulement prédictives de non-résécabilité, mais également associées à une diminution significative de la survie à long terme chez les malades opérés [68].

Le syndrome douloureux a été retrouvé chez 17 de nos patients (44%) dont 8 ont bénéficié d’une DPC. Ce taux est proche de celui rapporté par Faik M et

al. dans leur étude du cancer du pancréas au stade d’ictère (allant de 36 à 60 %)

[69]

mais reste inférieur à celui retrouvé par O. Mouaqit et al. (94 %) [45].