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I. Un réseau socialement discriminant

1. L‟hypothèse d‟une discrimination socio-économique

La carte48 de la figure 3 a été réalisée à partir des plans du Natural Gas Program for Greater Cairo 200749 de Town Gas (société locale de distribution chargée des raccordements dans une grande partie du Grand Caire). Elle présente les « zones déjà raccordées » au réseau de gaz naturel en 2007 et les « zones prévues pour le raccordement » sur la période 2008-2012. Enfin, les zones urbanisées non-marquées par une de ces références sont, quant à elles, ni raccordées, ni prévues pour un raccordement prochain. A quelques exceptions près liées à des vérifications réalisées sur le terrain, nous ne pouvons trancher sur le statut aujourd‟hui « raccordé » ou « non-raccordé » des zones pour lesquelles le raccordement est prévu50.

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Région administrative du Caire à ne pas confondre avec la région métropolitaine du Grand Caire qui comprend aussi les gouvernorats de Giza et Qalioubiya

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Ce quartier n‟est pas représenté sur les cartes de la région centrale du Grand Caire pour des raisons pratiques de lisibilité. Il se situe à une quinzaine de kilomètres au sud du Caire, à l‟extrême sud de la métropole à proximité de la ville nouvelle du 15 de mai

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Selon les chiffres recueillis auprès de Samy Abd El Hakim El Faramawy, directeur général chargé des opérations de raccordement au réseau de gaz auprès de EGAS, (Entretien du 14/12/2010)

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Ces cartes sont volontairement recadrées sur l‟espace central du Grand Caire, soit environ dans les limites du périphérique routier pour des questions de lisibilité cartographique mais aussi en raison de la localisation de nos enquêtes de terrain qui se sont concentrées dans cette zone. En outre, le reste de la métropole couvre majoritairement des zones rurales ou désertiques peu concernées par le projet de connexion au gaz naturel, si ce n‟est les villes nouvelles du 6 Octobre, 10 de Ramadan, Badr City, 15 de mai et le quartier industriel de Heluan au Sud.

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présentés dans une étude préparatoire commandée par la Banque mondiale en vue de sa contribution financière au projet : EcoConServ (for Egas). (09/27/2007). Environmental and Social Impact Assessment Framework for Greater Cairo Natural Gas Connections Project (ESIAF) (http://web.worldbank.org/)

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Il est très difficile de savoir concrètement en 2011 où en est le programme de connexion. La dernière phase en date du programme gouvernemental (2008-2012) accumule déjà les retards. Les échéances ont été repoussées à

22 Néanmoins, cette carte nous donne une image de la division spatiale de l‟espace métropolitain entre espaces raccordés et non-raccordés en 2007 après plus de 25 ans d‟extension du réseau. On remarque alors que la répartition est assez franche entre de grands ensembles urbains connectés -autour des quartiers de Heliopolis, Medinat Nasser, Garden City, Al Maadi et les îles de Zamalek et Manial pour le gouvernorat du Caire, et de Imbaba, Mohandessîn, Agouza, Doqqi et Faysal pour celui de Giza- et le reste de l‟agglomération non-connecté. Nous faisons alors l‟hypothèse que les quartiers connectés sont autant de premium networked spaces (MARVIN et GRAHAM 2001, p. 249 sq.), ces espaces connectés en priorité, dans lesquels on retrouve les élites et les classes sociales aux revenus les plus élevés, et qui concentrent toutes les aménités urbaines au détriment d‟autres espaces moins favorisés (théorie du « bypassing »51). Autrement dit, nous faisons l‟hypothèse que la répartition spatiale entre espaces connectés et non connectés (tout comme les logiques temporelles du raccordement) recoupe une différenciation sociale et économique des espaces.

La figure 4 présente alors la répartition des étudiants masculins inscrits à l‟université selon leur district d‟origine dans la région du Grand Caire en 1996. A défaut d‟avoir pu accéder à des données socio-économiques telles que les revenus par foyer, nous avons retenu le critère scolaire, et en particulier universitaire, comme un élément important du profil socio- économique des familles52. Les zones en rose clair (sous la moyenne régionale) sur la carte désignent ainsi des espaces socialement et économiquement peu favorisés à l‟inverse des deux autres types de zone.

2013 puis 2014 et dernièrement à 2015. Il est en outre très difficile de démêler le faux du vrai en matière de statistiques étant parfois manipulées à des fins sinon politiques au moins de marketing.

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La théorie du « bypassing » (« effet tunnel ») (MARVIN et GRAHAM 2001) désigne « la stratégie de connexion des usagers puissants et « de valeur » et de leurs espaces, alors qu‟en même temps, les usagers qui ne sont ni puissants, ni « de valeur » et leurs espaces sont laissés pour compte » (COUTARD 2008)

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Nous postulons que l‟inscription à l‟université d‟un homme est un élément discriminant directement lié aux capacités socio-économiques de la famille. Outre que la poursuite d‟études nécessite certaines ressources financières, elle implique surtout la disponibilité de la personne concernée, autrement dit qu‟elle ne soit pas une source de revenu indispensable pour la famille (et pour des raisons culturelles, le profil féminin est alors moins pertinent). De plus, le profil social de la famille est souvent lié à un modèle socio-culturel qui implique ou pas de faire des études. Enfin, si les données datent de 1996, nos recherches nous ont confirmé que la répartition socio- économique des foyers du Caire n‟avait pas énormément évolué ces quinze dernières années.

23 Figure 3 : Carte du plan de raccordement au réseau de gaz naturel dans la région centrale du

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Figure 4 : Carte de la répartition des étudiants masculins inscrits à l’université selon leur district de provenance dans la région centrale du Grand Caire en 1996

A la comparaison des figures 3 et 4, on se rend compte que la répartition géographique des foyers raccordés au réseau de gaz naturel recoupe sensiblement la répartition des foyers selon le critère socio-économique. Pour le gouvernorat du Caire, les quartiers de Medinat Nasser, Heliopolis (à l‟est), d‟Al Maadi (au sud), de Qasr El Nil (centre de Downtown), Garden City et les îles de Zamalek et Manial apparaissent comme des espaces favorisés. Signalons

25 d‟ailleurs que pour certains d‟entre eux, ils ont été parmi les premiers quartiers connectés…en Egypte (voir plus haut). Pour le gouvernorat de Giza, on peut citer les zones centrales de Doqqi, Agouza et Mohandessîn ainsi que Faysal au sud-ouest. Ainsi, tous les espaces apparaissant comme les plus favorisés d‟un point de vue socio-économique sont effectivement déjà raccordés au gaz naturel.

A l‟inverse, la plupart des quartiers socio-économiquement non-favorisés ne sont toujours pas connectés plus de 25 ans après les premières connexions. Citons alors les quartiers populaires du gouvernorat du Caire : Al Marg, Shubra Al Khayma (Nord), Bulaq Abu El „ila, certaines zones de Downtown et de Sayyida Zeinab et surtout les vastes zones d‟habitat informel de Manshiet Nasser (au centre) et Dar El Salam (au sud). Pour le gouvernorat de Giza, citons Omraneyya, Ard el Lewa, Al Warraq et la grande zone informelle de Boulaq Al Dakrour. Néanmoins, il faut signaler que la plupart de ces zones sont prévues pour la connexion -et nous avons pu constater l‟avancée des travaux à Omraneyya et Sayyida Zeynab lors de nos enquêtes- et qu‟une partie d‟une zone populaire comme Imbaba (nord de Giza) est déjà connectée.

Autrement dit, on peut constater que la discrimination spatiale des foyers dans le raccordement au réseau recoupe effectivement une différenciation socio-économique des espaces, et qu‟émergent visiblement des espaces qu‟on pourrait alors qualifier de premium networked spaces. Pourtant, l‟exemple d‟Imbaba et le raccordement prévu de la plupart des zones populaires permettent d‟apporter une nuance au constat général.

2. L’émergence de premium networked spaces et d’espaces laissés-