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L‟émergence de premium networked spaces et d‟espaces laissés-pour-compte

I. Un réseau socialement discriminant

2. L‟émergence de premium networked spaces et d‟espaces laissés-pour-compte

Afin d‟aller plus loin dans l‟analyse, la comparaison avec les configurations spatiales des autres réseaux de service urbain s‟impose. C‟est l‟objet de la figure 5 qui juxtapose quatre cartes illustrant successivement les configurations des réseaux d‟eau potable, d‟électricité, d‟assainissement et de gaz naturel selon le même jeu de données issues du recensement 2006 de l‟agence CAPMAS (l‟agence de statistiques égyptienne).

Les cartes ont été réalisées sur une logique de non-raccordement aux réseaux. Dans un objectif de comparaison des situations, le taux de non-raccordement par qism (département

26 administratif) paraît en effet plus parlant, d‟un point de vue cartographique, que celui de raccordement dans un espace marqué par la généralisation récente des raccordements. A l‟échelle égyptienne, en milieu urbain, 99,3% des foyers ont accès à l‟eau potable et 82,6% au réseau d‟assainissement53

. Ainsi, selon les cartes, plus la couleur de la zone est foncée et plus celle-ci compte de foyers non-raccordés. Il nous faut enfin préciser que les données ne tiennent pas compte des « bâtiments en situation d‟irrégularité du point de vue légal »54.

Figure 5 : Cartes de la répartition des foyers non-raccordés aux réseaux généraux d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de gaz naturel dans la région centrale du Grand Caire en 2006

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Nous pouvons d‟abord remarquer le décalage majeur entre les situations des réseaux d‟eau, d‟électricité et d‟assainissement d‟une part et le réseau de gaz naturel d‟autre part. Si dans le premier cas, la majorité de la population est raccordée aux différents réseaux (avec une moyenne de non-raccordement autour de 3%), tel n‟est pas le cas du réseau de gaz qui à l‟inverse présente un taux moyen de non-raccordement de 70%. Nous pouvons y voir la traduction d‟un réseau de gaz naturel qui constitue certes une infrastructure récente mais surtout, un service secondaire par rapport à celui d‟électricité, d‟eau ou d‟assainissement. En effet, contrairement à ces derniers, le réseau de gaz ne constitue qu‟une alternative du service public du gaz, le service de bouteilles de gaz constituant l‟autre alternative. Bref, le raccordement au réseau de gaz naturel apparaît comme un privilège au regard des autres réseaux.

De plus, nous pouvons constater que la plupart des espaces repérés précédemment comme des espaces favorisés d‟un point de vue social et économique, et également du point de vue de leur raccordement au réseau de gaz, confirment leur statut au regard des autres réseaux. Ils présentent les plus faibles taux de non-raccordement à l‟échelle de l‟agglomération.

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CAPMAS, Living Conditions and Poverty report, 2005

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Malheureusement, le CAPMAS ne précise pas ce qu‟il entend par cette expression. S‟agit-il d‟une irrégularité d‟un point de vue de la propriété, du permis de construire ou de la conformité aux règles d‟urbanisme ? Cette distinction paraît en outre assez étonnante dans un contexte où les bâtiments réguliers, tout au moins du point de vue des deux dernières catégories, sont rares.

28 Il s‟agit de Heliopolis, Al Maadi, Qasr El Nil, Garden City, Zamalek, Doqqi, Agouza, Mohandessîn (et on pourrait y ajouter Faysal et Medinat Nasser55). A l‟inverse, parmi les quartiers populaires repérés précédemment, beaucoup présentent des taux de non- raccordement plus élevés que la moyenne. Al Marg et Manshiet Nasser56 pour le gouvernorat du Caire et Al Warraq pour Giza se démarquent largement. Puis apparaissent dans des situations plus intermédiaires Shubra Al Khayma, Bulaq Abu El „ila, les zones nord et est de Downtown, Sayyida Zeinab, Dar El Salam, et pour le gouvernorat de Giza, Omraneyya, et Haram. On peut alors réellement parler pour certains espaces de premium networked spaces et pour d‟autres, d‟espaces sinon laissés-pour-compte, au moins défavorisés.

Mais des situations plus marginales nous permettent d‟esquisser certaines réflexions plus avant. D‟abord, le quartier de Imbaba déjà repéré précédemment comme un espace populaire en partie connecté au gaz apparaît également, du point de vue des autres réseaux, privilégié. Pourtant, bien que la partie-est de cette zone soit moins dense et habitée par des classes moyennes, le reste du qism reste l‟une des zones les plus pauvres et densément peuplées du Grand Caire, notamment au contact d‟Al Warraq, et constitue une zone de ‘ashwaïyyat57 (zone d‟habitat informel). Boulaq el Dakrour, autre grande zone de ‘ashwaïyyat, dont le raccordement au gaz naturel semble plus avancé que prévu58, apparaît également parmi les espaces les mieux connectés aux autres réseaux. Plusieurs raisons pourraient expliquer ces situations et notamment la question politique et sécuritaire. Dans les années 1980-1990, les zones informelles, et notamment le quartier de Mounira Al Gharbiya à Imbaba59, étaient connues pour être le cœur de la contestation islamiste. Ainsi, ces zones d‟habitat informel ont été des cibles privilégiées des politiques gouvernementales de lutte contre la pauvreté et

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Le découpage par qism (département administratif) est moins précis que celui par sheyakha (district administratif) sur lequel étaient bâties nos deux premières cartes. D‟où les anomalies de Medinat Nasser et Faysal qui apparaissent comme des espaces marginaux sur ces dernières cartes alors qu‟ils étaient précédemment des espaces privilégiés. Pour Faysal, le qism compte le quartier populaire de Omraneyya (ce n‟était pas le cas précédemment, chacun étant rattaché à un district respectif). Pour le qism de Medinat Nasser, il comprend une large zone désertique, mais qui reste peu habitée, nous pensons alors plus simplement à une erreur dans les chiffres. En outre, par des connaissances de terrain, nous pouvons confirmer la place privilégiée de Medinat Nasser au regard de tous les réseaux.

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la cité construite sur les déchets des désormais célèbres chiffonniers du Caire

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Nous reviendrons dans le II sur le caractère flou de cette appellation qui dans le dialecte égyptien prend davantage le sens de quartier pauvre et densément peuplé.

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A la comparaison de la figure 3 à la figure 5

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cf. l‟étude réalisée sur ce quartier par Patrick Haenni, L’ordre des Caïds. Conjurer la dissidence urbaine au

29 d‟équipement60. Mais ce constat d‟équipement peut aussi être lié à des questions

techniques car certaines zones d‟habitat informel présentent des configurations spatiales et du bâti plus à même de permettre la pénétration des réseaux. Ainsi, au-delà des logiques socio- économiques, certaines configurations politiques et techniques pourraient jouer un rôle dans la pénétration de l‟équipement dans ces zones.

Bref, l‟accès au réseau urbain de gaz naturel recoupe largement les configurations socio- économiques générales du Grand Caire et celles du raccordement aux autres réseaux de services urbains. Ainsi émergent clairement des premium networked spaces face à d‟autres espaces qui concentrent les tares sociales, économiques et d‟accès aux équipements urbains. Nous pouvons donc affirmer que les configurations spatiales du raccordement au réseau de gaz naturel renforcent généralement la fragmentation urbaine à l‟échelle métropolitaine. Mais par quel(s) processus émergent concrètement ces logiques spatiales discriminantes ? Comment expliquer que le réseau de gaz renforce la fragmentation socio-spatiale ?

3. Les frais de connexion et l’exclusion urbaine