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recherche : Mouvement en quatre temps

Chapitre 3 L’atmosphère dans l’histoire des pratiques de santé :

3.2 De l’humeur à la vapeur

Selon Fernel, auteur de la Renaissance, toutes les aliénations de l'esprit et folies « ont pour cause une humeur ou une vapeur extrêmement chaude qui se répand dans la substance du cerveau et dans ses ventricules, et dont l’impulsion et l’agitation déterminent dans l’esprit des idées fausses et fantastiques »87. A la même époque, pour Abraham, la mélancolie « est une rêverie sans fièvre, accompagnée d’une frayeur et tristesse, sans cause manifeste, provenant d’une humeur ou vapeur mélancolique, qui occupe le cerveau et altère sa température »88.

Le lien entre humeur et vapeur prend souvent appui sur la représentation d'un corps-cuisine, où la digestion, la coction, la cuisson des aliments dans le corps se faisant mal, les humeurs troublées et corrompues laisseraient s'échapper des vapeurs pathogènes.

Mais elle prend aussi appui sur des représentations plus mécanistes du corps. Ces deux mouvements se cristallisent en occident au XVIe siècle, où deux écoles de pensée en médecine se différencient : l’iatromécanique et l’iatrochimie.

87 Fernel cité par J. Céard, 19944, p.83 in J.Postel et C.Quetel (sous la direction de), Nouvelle histoire de la psychiatrie,,Paris,Dunod,

97 Pour la première le corps humain est perçu comme une machine régie par les lois de la physique statique et hydraulique.

Pour la deuxième, ce sont les réactions chimiques, en se produisant pendant la digestion (comme décrit précédemment), qui forment des substances agissant sur l’esprit.

Ces théories sont influencées par des observations courantes, sous tendues par le paradigme de l'époque. Ainsi, pendant cette période, toute science a une dimension cosmogonique, elle n'est pas science des "lois" gouvernant un objet de recherche, mais science de "l'engendrement" de cet objet. La maladie est égarement par rapport à l’ordre du monde cosmique dont l’homme est partie intégrante, et qui se devait de rester immuable (vision aristotélicienne). Selon la tradition platonicienne l'âme est incorruptible, c'est le corps qui l'est.

Au Moyen-Âge et à la Renaissance, la théologie impacte fortement les représentations et le vertex par lesquels les médecins et philosophes observent la maladie. Pour J. Wier, le diable « se mêle très volontiers avec l’humeur mélancolique comme la trouvant apte et fort commode pour exécuter ses impostures : à raison de quoi Saint Jérôme a dit fort à propos que la mélancolie est le bain du diable »89. Les croyances religieuses influencent le regard sur la maladie et réciproquement les représentations de la maladie s'insèrent dans les récits religieux. Du XIème au XIIIème siècle se développe le « pèlerinage thérapeutique pour fou ». Après un long voyage, solidement accompagnés, les fous agités, les furieux et les possédés arrivent au sanctuaire. Les plus récalcitrants sont menacés du fouet, poussés, « on les portait entravés sur des litières, des brancards ou encore dans des espèces de berceaux préfigurant fâcheusement des cercueils »90(C. Quétel, 2009). C’est un spectacle haut en couleur et effrayant, ouvert au public, et les habitants ne manquent pas de crier, faire aboyer les chiens, sonner des cloches à leur passage. Une fois sur place, dans le sanctuaire, on les enferme dans les caveaux ou la crypte, car dormir à proximité des reliques favorise songes et visions. Le modèle est celui du rite d’incubation pratiqué dans les temps grecs puis romains. Une locution latine rendant compte de ce pouvoir des lieux sur le corps humain est celle de « Genius loci », qui renvoie à l’atmosphère distinctive d’un lieu, à l’esprit de l’endroit, l’« esprit du lieu ».

Au cours du « pèlerinage thérapeutique pour fou », les fous resteront exactement neuf jours pour une neuvaine, période très à l’honneur dans l’église Chrétienne. Se succéderont prières, messes, cantiques, processions dans les sanctuaires et alentours, ablutions voire immersions

89 J. Wier cité par J. Céard, 2004, op. cit., p.90

98 dans des fontaines miraculeuses. Dans le sarcophage du saint, un orifice est parfois aménagé dans lequel on fait passer la tête des insensés. On trouve par exemple le « débredinoire » (en patois local, le « bredin » est un fou, un original) de Saint-Menoux.91

Si les fous permettent aux populations de se « défouler », une certaine agressivité à leur égard manifeste la crainte que par ces « monstres » s’abatte la colère divine. Le curé prend ainsi, en contre point, un rôle d’intercesseur du temps pour les campagnards qui craignent par exemple de voir le grêleux attirer l’orage sur le village92 (C. Granger, 2013).

D’après M. Laharie (2004), maitre de conférence en histoire du Moyen-âge, à travers ces vieux

rites d’incubation, avec les messes et les veillées, serait recherché un « climat de ferveur et d’excitation » qui rappellerait « le climat affectif de la petite enfance », permettant aux malades une régression indispensable et salutaire. L’objectif pour le malade est de rompre avec la folie et de renaitre : « Car l’atmosphère générale de ferveur et d’excitation dans laquelle il se trouve plongé pendant plusieurs jours, ainsi que les différents chocs psychologiques qu’il reçoit en présence des reliques, constituent autant d’éléments favorables à une évolution vers la guérison »93.

Ce type de cure par élation affective et recherche de « régression », nous semble peu éloigné dans son fondement de celui du Dr Robert Burton qui souffrait lui-même de mélancolie et nous offre ainsi une perspective plus subjective. Dans son Anatomy of Melancholy écrit en 1621 il recommande la pratique de l’exercice physique, des bains, de la musicothérapie et des drogues. Il propose une longue liste de traitements qui sont surtout composés d’activités ludiques et divertissantes.

91 Ibid.

92 C. Granger, 2013, p.52 in Alain Corbin (Dirigée par), La pluie, Le soleil et le vent

93 M. Laharie, 1994, p.62-63 in J.Postel et C.Quetel (sous la direction de), Nouvelle histoire de la psychiatrie,,Paris,Dunod

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3.3 Du traitement de l’air, du vaporeux, au