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recherche : Mouvement en quatre temps

Chapitre 2 L’atmosphère dans la mythologie

2.1 L’atmosphère, l’origine et l’harmonie

Dans l’Antiquité grecque, philosophie et mythologie sont intimement liées. Une des théories qui influencera poètes et savants pendant plus de deux millénaires est celle des quatre éléments des pré-socratiques. Expliquer en détail comment a pu se former l’idée des « quatre » (éléments, humeurs, planètes…) dépasse le cadre de cette recherche et de nos connaissances. Ce que nous pouvons en dire c’est que la symbolique du chiffre quatre, qui donnera la théorie des quatre éléments, résulterait de la nécessité d’ordonner l’univers sensible de l’homme. A travers une séparation du cosmos (macro comme micro) en quatre, l’homme, les philosophes, auraient trouvé/retrouvé une harmonie ou une organisation cohérente. Il y aurait là les bases pour une pré-science. Le monde que l’homme observe s’est mis à lui révéler que la séparation en quatre faisait loi. Le système de correspondance entre les différents ordres de la nature s’appuie sur la méthode de connaissance par l’observation et par des relations de type analogique. Des correspondances s’effectuent entre les quatre points cardinaux, les quatre saisons, les quatre astres52, puis les quatre humeurs dans le corps humain. Les quatre éléments sont les éléments « liant » ces différents ordres et registres de l’observation. Ils sont partout, leur équilibre ordonne l’harmonie ou la dysharmonie du cosmos, pris comme le grand ensemble dans lequel nous baignons. Ce sont leurs variations d’équilibres qui expliquent les transformations fondamentales comme celles des différents états de la matière. Mais l’on peut également dire que l’homme, à travers sa propre mortalité, son vieillissement, ses maladies, ses

82 émotions a tôt fait d’observer une nature toujours changeante plutôt qu’un état immuable. τn pourrait alors penser que ce sont par les théories produites sur les états fixes de la matière que l’homme a tenté de s’assurer de la stabilité et de la permanence des éléments, et ainsi de sa condition d’existence.

Un des plus fameux penseurs de la théorie des éléments, Empédocle d'Agrigente, au cinquième siècle avant J.-C, fait des quatre éléments que sont le feu, l’air, la terre et l’eau, les principaux composants de toute chose. Il ajoute l'amour (ce qui rapproche le dissemblable) et la haine (ce qui sépare), afin d'expliquer l'évolution et l'état actuel du monde. La haine (discorde), et la destructivité qui l’accompagne, rendraient compte de la séparation d’éléments unis à l’origine dans le sphairos (le Dieu à la forme sphérique), l’air ayant été le premier de ces éléments à en avoir été chassé53.

Plus tard, Aristote qui affirme que tous les êtres naturels sont constitués de ces quatre premiers éléments, y ajoute l’éther, substance divine présente dans les sphères célestes et les astres. Cette théorie des éléments s’accorde avec sa conception de la nature qui possède un principe interne de mouvement et de repos : « La nature, dans son sens primitif et fondamental, c'est l'essence des êtres qui ont, en eux-mêmes et en tant que tels, leur principe de mouvement » 54. Apport décisif dans l'évolution de la pensée, Aristote ajoute la notion de quatre qualités élémentales associées deux par deux et contraires. Il ordonne aussi l’espace naturel avec en bas la terre, puis l'eau, puis l'air, enfin le feu (le Soleil), et l'éther pour les corps célestes :

« Comme il y a quatre éléments, et que les combinaisons possibles, pour quatre termes, sont au nombre de six ; mais, comme aussi les contraires ne peuvent pas être accouplés entre eux, le froid et le chaud, le sec et l'humide ne pouvant jamais se confondre en une même chose, il est évident qu'il ne restera que quatre combinaisons des éléments : d'une part chaud et sec, chaud et humide ; et d'autre part, froid et sec, froid et humide. Ceci est une conséquence toute naturelle de l'existence des corps qui paraissent simples, le feu, l'air, l'eau et la terre. Ainsi, le feu est chaud et sec ; l'air est chaud et humide, puisque l'air est une sorte de vapeur ; l'eau est froide et liquide ; enfin, la terre est froide et sèche. Il en résulte que la répartition de ces différences entre les corps premiers se comprend très bien, et que le nombre des uns et des autres est en rapport parfait. »55

53 Jean BOLLACK, « EMPÉDOCLE (~490 env.-env. ~430) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 15 novembre 2015. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/empedocle/

54Aristote, Méta., Δ4, 1015ab14-15 cité par C. Denat, , Paris, Ellipses, 2010

83 Ces conceptions rendent compte de représentations du monde qui nourrissent les poètes. Par ces mots, τvide fait le récit de l’origine du monde :

«Avant la mer, avant la terre et le ciel qui couvre tout, la nature, dans l'univers entier, offrait un seul et même aspect; on l'a appelé le chaos; ce n'était qu'une masse informe et confuse, rien qu'un bloc inerte, un entassement d'éléments mal unis et discordants. […] Aucun élément ne conservait sa forme, chacun d'eux était un obstacle pour les autres, parce que dans un seul corps le froid faisait la guerre au chaud, l'humide au sec, le mou au dur, le pesant au léger.»56.

Puis advient la séparation des éléments : « Un Dieu ou la nature la meilleure, mit fin à cette lutte ; il sépara du ciel la terre, de la terre les eaux et il assigna un domaine au ciel limpide, un autre à l'air épais. »57. τvide nous semble préalablement décrire l’origine du monde sous forme d’éléments bruts, une origine aux combinaisons de formes éphémères et de mouvements répulsifs perpétuels. Puis de cette masse chaotique, « informe », se différencie deux espaces aériens : un air épais pour les hommes, et un air pur, céleste (éther) pour les Dieux.

Dans ce sens, pour Guillaume Duprat (2010), « une représentation fondamentale se met en place dans certaines cosmogonies, une mer primordiale et/ou un espace obscur, fécond, sans limite spatiale. Le monde, composé essentiellement du ciel et de la terre, est ensuite généré dans cet espace matriciel. »58.

Bien que l’atmosphère comme phénomène visible, physique ne soit pas toujours mentionnée dans les récits cosmogoniques, il est de mise pour le conteur ou le poète d’adopter un ton, un style, une manière de décrire les origines du monde qui nous semble du registre du mystérieux et, le proposons-nous, de l’« atmosphérique ». Les tons évocateurs et allusifs en sont deux de ses formes répandues.

Même si ce n’est pas la règle on trouve très fréquemment clairement nommés des représentants matériels de l’air-atmosphère. Dans la mythologie nordique le néant originel, Ginnungagap

(vide béant en vieux norrois) est bordé au nord par Niflheim, un monde de froid et de glace, du brouillard et de l’obscurité, et au sud par Muspellheim, domaine du feu et des flammes, de la chaleur et de la lumière. Dans une autre version est nommé monde « Niflheimr », le monde originel du froid et de la brume duquel serait né l'Univers (par association avec Muspellheim,

56 Ovide, Les Métamorphoses, Livre 1; p. 42

57 Ibid., p.43

84 le monde du feu et de la chaleur)59. Une série de transformations aurait lieu à partir de l’élément aérien. La brume, le brouillard, ou la fumée sont issus d’une première transformation entre les hautes sphères et la terre, le monde d’en bas. Ils n’ont plus la pureté de l’éther d’Aristote et leurs manifestations (qualité du brouillard avec sa texture, sa couleur…) dépendent du lieu géographique (marais, forêt, moment de la journée (lumière et température)). Ce que rend compte Hippocrate60par l’attention portée aux qualités des eaux qui viennent à être troublées, contaminées par le brouillard : « les eaux ne sont point limpides, parce que le brouillard, qui le plus souvent occupe l’atmosphère dans la matinée, se mêle avec elles et en altère la limpidité ; en effet, le soleil n’éclaire pas ces régions avant d’être déjà fort élevé ».

Toutefois les éléments atmosphériques gardent une grande capacité plastique, de mouvement, d’apparition/disparition. Ils ne sont ni fixés aux choses ni à leur forme même. L. Arnodin Chegaray (2013) propose que la blancheur laiteuse des brumes qui s’élèvent au crépuscule « serait à l’origine des multiples légendes concernant les dames blanches, lavandières et autres fées surgissant au-dessus des eaux dormantes. »61. Comme nous l’invite encore à penser Pierre Le Loyer (XVIe siècle), dans le livre des spectres, les entités surnaturelles comme les anges et démons se manifesteraient aux humains de telle manière, apparaissant et disparaissant comme un fluide subtil, que l’air doit en être leur essence : « il est vraisemblable, et le tient-on ainsi, qu’ils prennent plutôt un corps d’air en l’épaississant et formant des vapeurs qui montent de la terre, et le tournant et mouvant à leur plaisir, comme le vent meut les nuées, et le pouvant faire disparaitre quand ils veulent, d’autant que ce n’est qu’une vapeur »62. Selon J. Wier, on prête au diable la capacité d'environner l'homme « d'air épaissi en forme de peau » pouvant ainsi le transformer en « loup garou »63.

59 Universalis, « VIKINGS (notions de base) ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 7 septembre 2016

60 Hippocrate, Des airs, des eaux et des lieux (version kindle), chap.(6)

61 L. Arnodin Chegaray,2013,p.122

62 Le Loyer cité par L. Arnodin Chegaray, 2013, op.cit., p.128-129

63 J. Wier, cité par J-C. Margolin, p.95, in J.Postel et C.Quetel (sous la direction de), Nouvelle histoire de la psychiatrie (1994),Paris,Dunod,

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2.2 L’atmosphère, l’au-delà, la mort et