• Aucun résultat trouvé

L’HOMOSEXUALITÉ EN COLO : SI LOIN, SI PROCHE

Sur le terrain des accueils collectifs de mineurs, le déni de l’homosexualité et l’hétéronormativité priment. Une enquête récente menée dans les colonies de vacances souligne que, dans nombre d’entre elles, le travestissement est autorisé, voire organisé. « On ne compte pas les récits de veillées à succès dont le thème est “filles en garçons, garçons en filles”. Les apparats sont alors as- sociés à des paroles et à des comportements ; loin de favoriser le respect mutuel, il s’agit d’exacer- ber tout ce qui appartiendrait à l’autre sexe. Mais ces situations ne laissent que peu de place à l’ex- pression de sentiments ou de pratiques homosexuelles. En milieu clos – la colonie de vacances –, l’homosexualité est ignorée par les adultes et n’existe pas pour la plupart des jeunes (excepté ceux qui sont concernés mais qui n’en font aucune publicité). Et sans s’en rendre compte, les animateurs font des remarques qui rappellent violemment la norme hétérosexuelle en définissant ce que doit être une “vraie fille” ou un “vrai garçon”, notamment lors de techniques de drague dans les boums. Si les animateurs sont vigilants quant aux rapprochements des corps, ils n’envisagent les relations entre jeunes que sous l’angle de l’hétérosexualité et de la prise de risque. »

Source : AMSELLEM-MAINGUY Y., MARDON A., « Des vacances entre jeunes : partir en “colo“ », Jeunesses : études et syn-

thèses, no 10, septembre 2012.

78

Notons aussi que l’audience dont bénéficie la thématique semble inversement propor- tionnelle à celle qui entoure d’autres discriminations, considérées comme plus centrales ailleurs. « La Bretagne n’est pas une grande terre d’immigration et nous recevons beau- coup plus de demandes pour y intervenir sur l’égalité fille-garçon que sur le racisme », souligne Alice Naturel, coordinatrice du programme Démocratie et courage en Bretagne. Comme l’union régionale de la Ligue de l’enseignement, la Fédération Léo Lagrange Ouest a été intégrée à un comité de pilotage mis en place par la DRJSCS (Direction ré- gionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale) de Bretagne, associant des acteurs politiques et des fonctionnaires qualifiés, des responsables d’associations et un groupe de sociologues spécialisés sur les discriminations, afin de plancher sur la publi- cation d’un « petit traité à l’usage des actrices et acteurs de la jeunesse ». Proposant des définitions, des constats, un point sur les enjeux éducatifs et un ensemble de ressources et d’outils, ce guide finalement intitulé Prévenir et lutter contre les discriminations et les

rapports de domination est sorti en septembre 2012 et fait déjà office de référence pour

un certain nombre d’acteurs de terrain39. Constatant la nécessité d’agir en premier ressort

à l’interne pour sensibiliser les animateurs qu’elle salarie, la Fédération Léo Lagrange dé- veloppe aujourd’hui des formations pour adultes spécialisés sur l’enfance et la jeunesse afin de les aider à réagir en situation. Durant l’année à venir, l’objectif est d’élargir ces formations à des acteurs en rapport un peu plus indirect avec les jeunes : membres de l’administration et responsables de structures, ces derniers s’estimant parfois à tort à l’abri de préjugés.

Un des outils utilisés par la Fédération Léo Lagrange Ouest a été imaginé à partir d’un jeu interculturel promu par le Conseil de l’Europe, le jeu d’Abigaël40, au terme duquel les par-

ticipants sont incités à se mettre en équipe et à s’accorder entre eux pour noter les attitudes des personnages et lister ceux-ci du pire au moins pire. Ainsi, ce jeu surtout utilisé pour lutter contre le sexisme peut être exploité en jouant sur le caractère « asexué » du nom du personnage central. En pratique, la plupart des gens imaginent que le personnage principal est une femme parce qu’il embrasse un homme, or les intervenants peuvent faire en sorte, dans leur présentation de l’histoire, qu’aucun élément ne permette d’affirmer à coup sûr qu’il s’agit d’une femme. En creusant cet aspect, il est possible de mettre en évidence le fait que certains participants au jeu n’ont plus le même avis sur la note qu’ils avaient attribuée au personnage, selon qu’il leur apparaît comme hétérosexuel ou homosexuel. Ceci est parlant sur la façon dont ils ont intériorisé les normes de couple et ce miroir peut leur être renvoyé pour questionner leurs a priori.

Le recensement des actions menées sur le terrain montre que les discriminations constituent un sujet de plus en plus central pour l’ensemble des structures qui œuvrent en direction des jeunes (Centre d’information et de documentation jeunesse [CIDJ], centre régional informa- tion jeunesse [CRIJ] et point information jeunesse [PIJ]…). Mais les initiatives portant spé- cifiquement sur l’homosexualité et l’homophobie restent relativement isolées, succédant bien souvent à la survenue d’actes ou de propos homophobes marqués au sein des centres et provenant fréquemment d’animateurs ou de responsables particulièrement sensibilisés au préalable par le sujet. Plus généralement, un obstacle à l’abord de la sexualité dans les centres de jeunesse consiste dans la maturité et surtout l’expérience des animateurs, qui ne sont pas toujours beaucoup plus âgés que les jeunes qu’ils encadrent et pas forcément plus à l’aise avec leur propre sexualité.

39. www.bretagne.drjscs.gouv.fr/IMG/pdf/Guide_Prevenir_et_lutter_contre_les_discriminations_et_les_rapports_de_domination.pdf 40. Activité pédagogique utilisée pour susciter, à partir d’une histoire d’amour, une prise de conscience et une discussion sur les valeurs qui modèlent notre perception du bien et du mal. Voir « L’apprentissage interculturel » TKit n° 4, Conseil de l’Europe.

35e9(1,5(76(16,%,/,6(5$8'(/¬'8&$'5(6&2/$,5(

79

Le centre social/PIJ de Chevigny-Saint-Sauveur, en Bourgogne, fait partie des rares acteurs à avoir initié une réflexion en profondeur sur ce sujet. Il a ainsi décidé de réagir de manière forte face à un constat posé par différents animateurs : les insultes homophobes exprimées par des jeunes fréquentant le centre se multipliaient sans que ces jeunes semblent avoir conscience de la portée de leurs propos. Après un état des lieux construit autour de dis- cussions informelles et destiné à faire le point sur les avis et les interrogations des jeunes sur l’homosexualité, un programme a été mis en place en 2010 sous le nom de « Amours ados ». Il a d’abord donné lieu à la réalisation d’une vidéo impliquant deux filles et trois garçons volontaires de 16 à 25 ans, issus de milieux différents, qui ont été filmés en en- tretiens individuels, face caméra, avec pour interlocuteur le responsable du centre, qu’ils connaissaient déjà (afin de les mettre plus à l’aise). Les jeunes étaient ainsi invités à s’ex- primer librement, sans censure, sur leur vision de l’amour, la sexualité et l’homosexualité. La vidéo, d’une vingtaine de minutes, a été montée par les jeunes et a donné lieu à une pro- jection au cours d’une soirée « pizza débat » en présence de représentants de l’association lesbiennes, gays, bi, trans (LGBT) Cigales de Dijon et du centre de planification. Sans avoir de propos ouvertement homophobes, une partie des jeunes présents se montraient gênés et disaient ne pas savoir comment ils réagiraient si un de leurs amis proches leur apprenait son homosexualité. L’idée était encore une fois de « délier les langues », afin de débrouiller les idées reçues ou les confusions qui peuvent exister chez des jeunes méconnaissant le sujet (par exemple entre homosexualité et pédophilie). Suite à cette soirée, le PIJ s’est associé à l’association Cigales, à la ville de Chevigny-Saint-Sauveur, au CHU de Dijon et à la DRJSCS de Bourgogne pour proposer une plaquette destinée aux jeunes en questionnement. La plaquette « Suis-je homo ? » est téléchargeable sur Internet et diffusée sur l’ensemble des réseaux jeunesse de la région. Elle a pour objectif de pallier ce qui a été perçu comme un manque, à savoir que la plupart des brochures disponibles s’adressent à des jeunes s’iden- tifiant déjà comme homosexuels (en général d’ailleurs ces brochures sont très axées sur la prévention médicale), mais qu’il existe peu de documents pour tous ceux qui se posent « seulement » des questions. La direction du PIJ de Chevigny-Saint-Sauveur insiste sur le fait que cette plaquette peut s’adapter à tous les centres de jeunes, en changeant simplement les adresses des personnes à contacter dans la région. Grâce à ces différentes initiatives, les animateurs du centre social ont constaté que les jeunes abordaient plus aisément avec eux les questions relatives à la sexualité. Par ailleurs, signe de la mise en confiance suscitée, plusieurs jeunes ont fait leur coming out.

80

POINT DE VUE