• Aucun résultat trouvé

Sous ce titre sont réunis en une section les deux premiers chapitres du volume 1. Ces chapitres examinent dans quelles conditions et par quels moyens il est possible d’écrire l’histoire des 90 siècles qui nous préoccupent.

Dans le chapitre 1 (« Préhistoire, protohistoire, paléohistoire : quel préfixe composer ? »), on expose d’abord quelques raisons très fortes motivant notre ambition. Bien trop souvent encore, quand il est question de préhistoire, même récente, le préfixe composant ce mot peut laisser parfois penser que les sociétés en question se placent non seulement « avant » une limite arbitraire, du reste bien fluctuante (arrivée des colons, invention de l’écriture ou bien de l’agriculture, etc.), mais également « hors » d’un mouvement qui ne débuterait qu’autour des mêmes seuils. Ainsi l’histoire telle qu’elle est enseignée en France dans le secondaire ne commence qu’avec l’apparition des paysans. Ce qui précède, soit plus de 99 % de l’histoire humaine, nos jeunes concitoyens le découvrent surtout à travers leurs cours de biologie. Il n’est pas très étonnant alors que cette histoire « d’avant » soit considérée comme une histoire

essentiellement naturelle. Il n’est pas très surprenant non plus que, dans ses dimensions sociales, elle soit encore souvent transposée en mythes, cette forme figée qu’adoptent, hélas, diverses mises en scène muséographiques ou télévisuelles construites autour d’images de la « sauvagerie » originelle. À vouloir corriger ces ignorances, on trouve déjà de sérieux motifs à tisser quelques liens entre les différentes manières de pratiquer l’histoire des sociétés.

Bien entendu, celle des préhistoriens est très particulière, considérant l’état des documents (essentiellement matériels) et les méthodes de datation (parfois très imprécises). Mais quand les recherches portent sur ces quelques millénaires qui nous intéressent, ceux de la fin du Paléolithique et des prolongements « mésolithiques », l’abondance et la diversité des sources ainsi que la précision inégalée des datations (parfois à deux siècles près seulement) rapprochent déjà sensiblement notre expérience de celle des néolithiciens. Or ces derniers se disent parfois « protohistoriens » parce qu’ils ont su, depuis un certain temps, réaffirmer un lien avec les disciplines historiques traditionnelles. Cet effort nous interpelle, d’autant que s’est instaurée entre pré- et protohistoriens une solide communauté de questionnements et de méthodes – voir par exemple l’impact des études technologiques et environnementales en protohistoire. En plus de cette connivence particulière, nous partageons évidemment des intérêts bien spécifiques avec tous les autres préhistoriens, y compris ceux qui travaillent sur les périodes les plus anciennes, celles des débuts de l’humanité (qu’il nous arrive d’ailleurs d’enseigner). De ce côté, les affinités naissent à écrire ensemble une sorte de « macro-histoire », parfois très imprécise mais de très longue portée, permettant d’articuler l’anthropologie que nous pratiquons tous aux projets les plus vastes dans ce domaine, comme ceux qu’inspirent le développement des sciences cognitives ou la philosophie des techniques.

Il nous a fallu par conséquent un mot spécial pour désigner notre ambition et notre méthodologie particulières dans le champ de cette préhistoire qui nous occupe le plus, immédiatement prénéolithique, ou pré- protohistorique si l’on préfère. Nous avons donc choisi « paléohistoire », le mot n’est pas tout à fait nouveau, mais il servait plutôt jusque-là à désigner une visée essentiellement chronographique, c’est- à-dire une simple mise en ordre chronologique des faits sur le « temps long ». Très long faut-il préciser bien sûr. Construire des périodisations est très banal en préhistoire, mais, ces derniers temps, la précision atteinte a beaucoup augmenté à propos des périodes « récentes » qui nous intéressent, en particulier grâce à la multiplication des calages proposés par les études environnementales. Surtout, ce qui a changé récemment, c’est la façon de construire les faits – et ensuite de chercher à en décrypter les facteurs économiques, voire sociologiques. Ce changement, on le doit à la maturation des méthodes

palethnographiques, plutôt développées pour l’instant à l’échelle du temps très court, celui des quelques

campements saisonniers étudiés dans cet esprit. Ainsi, notre ambition paléohistorique procède de cette rencontre très féconde entre une chronographie de plus en plus précise et une palethnographie susceptible d’éclairer un peu mieux, par son mode de questionnement, les « conjonctures » préhistoriques. Autrement dit, et pour paraphraser une formule célèbre, l’ambition consiste à viser plus loin qu’une simple « préhistoire-récit » et à promouvoir une « préhistoire-problème ». Cela impose donc aussi une évaluation lucide de toutes les limites à l’ambition : sources lacunaires, imprécision chronologique proportionnelle à l’ancienneté des faits, etc., et le chapitre 1 se clôt sur quelques remarques à propos de ces limites et des adaptations méthodologiques qu’elles imposent.

En introduction du chapitre 2 (« La paléohistoire : une certaine façon d’exposer et d’interpréter

les faits »), cette façon exigeante de questionner les faits est illustrée dans un essai sur « l’azilianisation »,

une transformation profonde – mais arythmique - des techniques au cours du XIIe millénaire av. J.-C. On l’interprète comme le reflet d’une réorganisation progressive des stratégies de chasse et du régime de mobilité des sociétés nomades du Tardiglaciaire. Cet essai permet de planter une bonne partie du décor de nos recherches intensives sur la fin du Paléolithique et fournit ensuite quelques matériaux pour une analyse des récits historiques que nous sommes en mesure de construire. Par exemple, on cherche à préciser la nature des faits sociaux auxquels donnent accès les fragments de culture matérielle étudiés. On revient aussi sur quelques grandes particularités de ces récits paléohistoriques, l’absence non seulement « d’événements », mais aussi d’acteurs clairement identifiables. Est-il tout de même possible de restituer à ces « acteurs » une identité collective, autrement dit culturelle ? On s’interroge alors sur l’efficacité de cette notion banale de « culture » quand elle est nécessairement amoindrie par l’adjectif « archéologique », c’est-à-dire diminuée de certaines dimensions idéelles inaccessibles au préhistorien.

« culture » celle de « tradition », désignant ces systèmes de choix et de prescriptions reconstitués dans les domaines techniques ou artistiques, systèmes « culturels » bien sûr, mais ne coïncidant pas nécessairement avec les cultures dont ces traditions formaient les ingrédients. Par cette préférence, on signifie aussi l’irréalisme d’un projet pourtant persistant, celui de « délimiter » ces cultures préhistoriques, voire d’éventuelles ethnies, alors que l’anthropologie du contemporain montre à quel point ces identités sont fluides dans l’espace comme dans le temps. Autant dire qu’il est illusoire de vouloir les borner quand on travaille à deux siècles près, et de surcroît sur des peuples de chasseurs-cueilleurs nomades réputés pour leur flexibilité sociale (cf. alternance d’épisodes d’agrégation et de fission). D’ailleurs, à trop chercher les particularismes préhistoriques, l’essentiel est peut-être un peu négligé : dès les débuts du Paléolithique récent, la propagation à très vaste échelle – parfois paneuropéenne – de certaines idées artistiques ou techniques (par exemple en matière d’armement ou de taille des roches). Ces « courants », constitutifs d’amples phénomènes « de civilisation », méritent selon nous une attention particulière, surtout quand ils concernent des idées fortes – et éventuellement difficiles à reproduire. On peut prédire en effet que la diffusion entre communautés de ces choix exigeants supposait des contacts suffisamment prolongés ou répétés pour qu’il y ait eu transmission, c’est-à-dire apprentissage, et, au préalable conviction et séduction. Et c’est probablement cette fameuse flexibilité sociale, instituée par les règles d’alliances et de résidence post-maritale, qui instaurait les réseaux par lesquels ces flux d’informations ont circulé. Reste que ces flux n’ont pas été constants, et l’intensité des contacts a donc peut-être varié, l’histoire du Tardiglaciaire tend d’ailleurs à le montrer. À propos de cette intensité variable entre Magdalénien et Azilien, le chapitre 2 s’achève sur une modélisation prenant en compte d’autres preuves matérielles (transport inconstant de coquillages pour la parure et de silex pour l’équipement quotidien).