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Nous sommes également spécialiste de ce Mésolithique regroupant en France par convention les 45 siècles suivant le Tardiglaciaire et précédant l’introduction de l’agriculture et de l’élevage. Considéré à l’échelle européenne, on rappelle que ce Mésolithique n’est pas, contrairement à certaines visions schématiques, une époque monotone, et encore moins un passage obligé vers la néolithisation, mais qu’il s’agit d’une période d’adaptations plurielles au réchauffement climatique. Pour l’instant, c’est sur la France que nos recherches ont porté, comme « par procuration », puisque cette époque fait l’objet de nombreuses actions pédagogiques de notre part (par exemple, la direction ou l’encadrement de 20 mémoires de M1 et M2). Les « jalons » dont il est question ici servent donc surtout à baliser des terrains futurs de recherche collective dans une perspective évidemment paléohistorique. Occasion peut-être de lever quelques blocages théoriques entravant encore la réflexion, par exemple cette conception uniforme voire unilinéaire évoquée à l’instant. Et le « bond » réalisé en quelques années par les études tardiglaciaires invite à beaucoup d’optimisme.

Dans le chapitre 6 (« Perspectives mésolithiques futures »), une rapide revue critique sur le Mésolithique français distingue soigneusement le VIIe et VIe millénaire (phase récente) de ce qui précède, et souligne les avancées de la recherche et aussi les manques pour chaque phase (déficit général en sites pour les derniers millénaires, sous-exploration de certains milieux pour le VIIIe et le IXe millénaires, lacunes remarquables pour la fin du Xe). On plaide, comme l’ont fait bien d’autres avant nous, pour que l’archéologie préventive corrige, par des diagnostics adéquats, ces divers handicaps à la modélisation. Et sur le patrimoine déjà révélé, on insiste sur la systématisation nécessaire des enquêtes palethnographiques, passant par exemple par des monographies sur les sites les mieux conservés. Il en existe déjà quelques bons exemples inspirant des travaux que nous encadrons. En parallèle, de grands efforts ont été récemment accomplis pour caractériser les cultures matérielles et les périodiser, et la technologie est aujourd’hui largement mise à profit. Une nouvelle contribution de cette démarche est souhaitable sur un thème ayant déjà beaucoup retenu l’attention des mésolithiciens, les reliquats d’armes de chasse. Faites pour tuer, ces armatures souvent microlithiques ont trop rarement été étudiées comme telles. Inspiré par le résultat de nos propres travaux sur le Tardiglaciaire, nous esquissons alors un programme d’ailleurs déjà amorcé, destiné à évaluer, avec le soutien de l’expérimentation, le pouvoir létal des armes et ce qu’on peut en déduire sur les conditions de tir. Car au-delà de petits détails variants, ces restes d’armes témoignent de vastes communautés d’idées, et peut-être donc de certains consensus relatifs aux tactiques de chasse. On pense par exemple à la « vague » des armatures larges et trapézoïdales recouvrant une bonne partie de l’Europe pendant la phase récente du Mésolithique, et se substituant à une

autre tendance elle aussi assez largement partagée : « l’hypermicrolithisation ». Dans ce degré extrême de réduction des armatures au VIIIe millénaire, faut-il ne voir que l’épiphénomène d’un usage répandu des

poisons, comme le veut une hypothèse à la mode, légitime mais encore difficile à tester ? Sans doute

pourrait-on plus facilement tester par l’expérimentation une autre hypothèse éventuellement alternative : cette hypermicrolithisation et la réduction corrélative du diamètre des flèches forment-elles plutôt des solutions pour que les traits se faufilent plus facilement dans les proies ?

L’hypermicrolithisation n’est pas non plus un choix anodin à l’étape de la fabrication, et elle peut être source de difficultés techniques particulières, c’est ce qu’on démontre dans un autre contexte à la fin du chapitre 7 (« Minuscules histoires sur le Natoufien d’Israël (XIIIe-Xe millénaire av. J.-C. »). Après un rapide bilan des connaissances sur ces Natoufiens souvent sédentaires, qui pourraient aussi avoir expérimenté les toutes premières techniques agricoles, on résume nos contributions à un programme franco-israélien dirigé par F. Valla (UMR 7041) et H. Khalaily (Israel Antiquities Authority) autour du site fameux de Mallaha. L’étude complète du mode de production des instruments en silex révèle une grande diversité de chaînes opératoires, et leur relative disjonction selon qu’elles concernent le domaine de la chasse ou d’autres. Il n’y a pas encore assez d’arguments pour y voir le signe d’une éventuelle division sociale des tâches. On se demande alors si cette autonomie relative des modes de production n’est pas au moins l’indice d’une certaine disjonction temporelle des activités dans le nouveau calendrier d’une vie peut-être moins dépendante de la chasse, et plus tournée vers l’exploitation du végétal. À voir si cette hypothèse de fractionnement des activités ne peut pas servir aussi l’étude du Mésolithique français, à condition d’envisager ce fractionnement à l’échelle des territoires, et non plus à l’échelle d’un seul site... C’est donc sur les chasses natoufiennes qu’on revient à la fin. Nous discutons les résultats d’une récente étude collective que nous avons coordonnée sur la miniaturisation des armatures au cours du Natoufien, et juste avant un phénomène inverse de macrolithisation accompagnant l’émergence du Néolithique pré-céramique. C’est une nouvelle illustration de ce que la technologie peut apporter au renouvellement des typologies d’instruments lithiques et aux investigations sur leur usage.

Épilogue

La promotion de ce genre de typologie interprétative – plutôt qu’énumérative – est au cœur de l’épilogue sous-titré : « La technologie au service de la paléohistoire ». On revient alors sur cette démarche technologique qui s’est imposée récemment en préhistoire. Elle forme désormais une véritable « lame de fond », notamment grâce à l’enseignement dispensé à Paris 1, et cela incite à réfléchir sur la portée de cette démarche analytique et sur des ajustements encore nécessaires jusque dans la diffusion des résultats. On livre ici quelques réflexions sur des efforts toujours souhaitables concernant la terminologie et même l’iconographie des recherches dans ce domaine. On souligne surtout la nécessité de mieux

théoriser l’histoire des techniques préhistoriques, maintenant qu’on a réussi à modéliser avec succès la

nature même de l’information technologique en confrontant le point de vue des préhistoriens, des ethnologues, etc. Il nous semble que ces nouvelles théories historiques sur les chasseurs-cueilleurs dépendent en grande partie d’une multiplication des scénarios explicatifs, comme ceux par exemple que nous avons promus sur le Tardiglaciaire, comme ceux aussi que nous souhaitons encourager en diversifiant les cadrages chronologiques et géographiques. C’est une condition essentielle, il nous semble, pour dépasser ces récits strictement chronographiques, cette « préhistoire préhistorisante » faite d’une succession d’objets sans logique.

PERSPECTIVES