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L’histoire de la fondation confessionnelle au L iban

L’autorité de l’État libanais : entre ordre et désordre

2.1. L’histoire de la fondation confessionnelle au L iban

Le confessionnalisme est un fait historique au Liban, d’une part à cause des relations socio-économiques de celui-ci avec son entourage arabe, et d’autre part à cause de ses contacts avec l’étranger. Le sentiment de confessionnalisme a toujours été encouragé par l’étranger, à partir de l’Empire ottoman au 18ème siècle et jusqu’au 20ème siècle, à la période du mandat français au Liban.

Donc, pour étudier d’une manière historique le confessionnalisme avant la période de l’indépendance, nous pouvons distinguer trois périodes principales : la première examine les incidents confessionnels dès le début du 19ème siècle et jusqu’à la fin du règne de l’émir Béchir II. Cette période inclut des évènements importants aux niveaux politique, économique

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et social, dont le principal a été celui du coup porté au féodalisme et c’est durant cette période que le « concept » de confessionnalisme a pénétré le cœur de la société libanaise. La deuxième période révèle l’aggravation des incidents confessionnels et les événements de l’année 1841. La troisième évoque l’intervention étrangère et les révoltes paysannes à l’époque de la Moutaçarrifiyya (qui est le nom de la province autonome du Mont-Liban). La quatrième et dernière période concerne l’époque du mandat français au Liban et le renforcement du confessionnalisme à ce moment-là.

2.1.1. La période qui précède les événements de 1841

Avant 1840, et plus particulièrement à l’époque de la famille des Maan (1544-1697), le Liban, faisant partie de l’Empire Ottoman, jouissait d’une forte intégration et d’une symbiose entre les trois communautés principales : maronite, druze et chiite. Cette symbiose est interrompu au cours de la dynastie suivante, celle de la famille Chéhab (1698-1841), et plus particulièrement à l’époque de l’émir Béchir II (1790-1840) durant laquelle une disharmonie confessionnelle a vu le jour.

L’ambition de l’émir Béchir II était illimitée : il s’est battu sans relâche pour renforcer les piliers de son régime. Cela l’a poussé à réprimer sévèrement les riches féodaux druzes en appliquant des taxes élevées et en éliminant leurs forces dans le but de garder son pouvoir. Il a essayé aussi de confisquer les propriétés des familles féodales druzes et de les répartir entre ses proches et ses amis de confiance (Chahine, 1980).

Mais ce qui est étonnant, c’est que l’émir Béchir n’a pas appliqué les mêmes règles sur les féodaux chrétiens, et certains expliquent cela par le fait que le père de Béchir, d’origine sunnite, s’est converti au christianisme48 et qu’ainsi, Béchir est devenu chrétien. Chahine explique ce comportement de la manière suivante : le but de l’émir Béchir n’a jamais été de battre le féodalisme en tant que tel mais plutôt de faire tout son possible pour

48 Selon Corm, l’émir Béchir s’est converti au catholicisme pour gagner la confiance de la France et des Maronites (Corm, 1979).

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garder le pouvoir qui, à l’époque, était entre les mains des princes druzes qui le combattaient (ibid.).

Les comportements de l’émir Béchir II vis-à-vis des Druzes49 étaient très sévères ce qui a aggravé la situation entre les Druzes et les Chrétiens. Ils les ont fait sombrer dans de violents conflits sectaires. Le règne de l’émir Béchir prend fin suite à l’aggravation des conflits sectaires entre les Druzes et les Maronites, surtout sous le règne d’Ibrahim Pacha qui a enflammé la sédition quand les Druzes n’ont pas réagi à ses demandes (Corm, 1979). Il est important de noter qu’à cette période, les chrétiens ont commencé à s’enrichir et à capter le prestige et le pouvoir, alors que les Druzes perdent de plus en plus les privilèges et les droits féodaux. A partir de là, les tensions économiques apparaissent entre ces deux classes de la société, car chacune lutte pour sa situation sociale et économique (Chahine, 1980)

La Turquie et l’Angleterre ont profité de la politique sévère exercée par l’émir Béchir II et Ibrahim Pacha, à l’aide des forces maronites, sur les Druzes pour enflammer la situation au Liban. Les Maronites de leur côté, à l’instigation de la France, ont cherché à établir une entité maronite dans le Mont-Liban (Corm, 1979).

2.1.2. Les tensions confessionnelles: 1840-1860

Durant cette phase, l’influence des Chrétiens s’est accrue, leur niveau de vie s’est développé, leur capacité à acheter des terres et à exercer les métiers de l’artisanat a augmenté50. De même, ils ont développé leurs travaux agricoles et commerciaux. Ces travaux étaient rentables car les échanges commerciaux avec l’Europe se sont développés51. Les Chrétiens ont profité de cette situation en jouant le rôle d’intermédiaires entre les pays européens et le Liban. Ce rôle leur a permis de gagner de plus en plus de l’argent et d’acheter

49 Par exemple, il a utilisé les soldats chrétiens pour combattre les Druzes, il a exonéré pleinement les chrétiens des impôts, etc.

50 Par ailleurs, la communauté féodale druze a décliné et leur terre était délaissée.

51 Notamment à l’époque d’Ibrahim Pacha qui a accordé de grandes facilités pour la France, et a ouvert les marchés pour les produits européens.

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de plus en plus de terres qui appartenaient à des Druzes. Encore une fois, les conflits et les escarmouches se sont accrus entre les Druzes et les Chrétiens à partir de 1840 pour aboutir à une crise confessionnelle armée en octobre 1841, qui a duré jusqu’en 1860. Cette dernière, connue sous le nom de « crise 1840-1860 », a approfondi de plus en plus les discordes sociales et politiques, et a poussé ainsi l’Empire ottoman à diviser le Liban en deux régions ou kaïmakam : la première se situait au nord et était gouvernée par les Maronites, la deuxième était au sud de Beyrouth et gouvernée par les Druzes (Chahine, 1980).

Malgré cette division, les affrontements et les actes d’assassinat et de vengeance se sont poursuivis, d’autant que dans la région du sud, un bon nombre de chrétiens était sous l’autorité des Druzes (ibid.). Ajoutons que les pays européens ont profité de ces problèmes pour intervenir dans les affaires du Mont-Liban, ce qui a rendu plus compliquée la coexistence de groupes définis par une identité confessionnelle. Parallèlement à l’instabilité confessionnelle perpétuelle, le pays vivait une période de détresse sociale et économique qui a donné naissance à une révolte paysanne contre le féodalisme (Corm, 1979). À ce moment, des signes de rébellion et de complot sont apparus dans les deux confessions. Ces signes étaient nourris par les « pays coloniaux » et notamment la France et l’Angleterre : la France soutenait les Maronites par l’argent et les armes ; en même temps, l’Angleterre soutenait les Druzes pour garder son pouvoir dans la région. L’Empire ottoman, en divisant la montagne en deux confessions, a suscité les tensions confessionnelles. De cette façon, le pays est devenu un jeu de marionnettes entre les mains des puissances étrangères, qui exerçaient une politique machiavélique pour atteindre leurs intérêts à tout prix52 (notre traduction, Chahine, 1980, p. 70).

Les évènements confessionnels n’étaient pas limités aux Druzes et aux Maronites du Mont-Liban, ils s’étendaient aussi à d’autres régions en Syrie. Un quartier chrétien fut agressé à Damas, ce qui a conduit à la mort d’environ 10 000 de ses habitants. Toute la région

52Tous ces facteurs ont contribué à l’éclatement d’une nouvelle guerre en 1860 vers la fin du mois de mai, qui a duré jusqu’au mois de juillet de la même année. Comme le signalent la plupart des historiens et des chercheurs, les Druzes ont pu gagner cette guerre, ce qui leur a permis de dominer la majorité des régions de la montagne après la mort de près de 15000 maronites.

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a plongé dans une guerre civile dans laquelle le sectarisme et la haine ont joué un rôle essentiel dans les alliances et les attaques. À la fin de ces évènements, la région est devenue faible, divisée, incapable de résister et donc elle s’est transformée en une cible pour les pays de l’Europe. Ces derniers pouvaient faire, dans la région, tout ce qui leur garantissait des avantages sans prendre en compte l’intérêt local et sans consulter le peuple (ibid.,).

2.1.3. La phase de la Moutaçarrifiyya : 1861-1915

Les ministères français et britanniques s’étaient mis d’accord sur la proposition de la France de demander au gouvernement turc d’envoyer une mission de la part des grands pays auprès du Liban, dans le but de réaliser une investigation sur les actes de violence recensés dans cette région. Les tâches de cette mission53 étaient de préciser les responsabilités de chaque personne par rapport à ces évènements, de bien fixer les sanctions, de rédiger un rapport, de le déposer chez le Sultan, et de fixer ainsi les mesures nécessaires pour limiter les conflits et éviter qu’ils se répètent dans le futur.

Le premier protocole de la Moutaçarrifiyya a été fixé en 1861 et s’est appliqué pour une durée déterminée : le mandat de la Moutaçarrifiyya était fixé pour trois ans. Dix-sept articles constituaient ce protocole parmi lesquels dix reflétaient un caractère confessionnel. Puis il a été modifié pour mieux satisfaire la confession maronite. De cette façon, et avec l’aide des autorités turques, les représentants des pays européens ont mis en place la version finale de ce système en 1864. Le Liban a été ensuite gouverné par un Moutaçarrif chrétien ottoman (non libanais) élu avec l’accord des ambassadeurs des pays europpéens pour une durée de cinq ans. Il possédait des pouvoirs exécutifs très larges tels que le maintien de la sécurité, la collecte des impôts, l’appel du conseil central de l’administration à se réunir et l’application des lois par les tribunaux. Chaque village choisit un cheikh qui contribue à l’élection des membres du conseil de l’administration. En plus, un tribunal doit être établi dans chaque district ainsi que deux tribunaux d’appel à Baabda (la capitale du Mont-Liban) : le premier (pénal) dirigé par un Druze et la deuxième (civil) dirigé par un Maronite (ibid.,).

53 Les travaux de cette mission ont duré cinq mois. Celle-ci a tenu sa première réunion à Beyrouth le 5 octobre 1860. Sa dernière réunion a eu lieu le 5 mars 1861.

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En somme, le système de la Moutaçarrifiyya est un système politique imposé aux Libanais, sans qu’ils aient eu le choix de le refuser ou de donner leur avis sur sa constitution. Ils ont donc été obligés de l’accepter en ayant l’espoir qu’il va les aider à dépasser leurs problèmes. Mais le fait que le système ait pu résoudre quelques problèmes ne veut pas dire qu’il soit un succès, car la sécurité et l’équilibre confessionnels dans les administrations publiques ont approfondi les problèmes entre les confessions.

2.1.4. La période du mandat français : 1919-1943

À la fin de l’ère de la Moutaçarrifiyya, le confessionnalisme est demeuré au coeur de la société libanaise, malgré l’apparition du « mouvement nationaliste arabe »54 après la première guerre mondiale.

Entre 1861 et 1918, un grand nombre de maronites ont émigré ce qui a soulagé quelque peu la misère dans le Mont-Liban. Les émigrés libanais, notamment aux Etats-Unis et en Egypte, sont devenus des groupes arabes de rayonnement culturel malgré leurs différents points de vue politiques : certains ont préconisé la mise en place d’un État libanais chrétien ; d’autres n’ont pas arrêté de solliciter l’union avec la Syrie. Ajoutons ceux qui recommandent la protection française dans tous les cas (Corm, 1979).

Les Chrétiens, qui étaient les pionniers des mouvements nationalistes arabes, ont délaissé cette pensée et l’ont remplacée par la pensée nationaliste libanaise, tout en affirmant que le Liban est un pays chrétien. Nous pensons que les causes de ce changement sont diverses. La principale est l’ouverture des écoles étrangères et donc l’enseignement étranger dans les pays du Levant. Ces écoles, qui ont combattu la langue arabe et ont fortement influencé l’esprit de leurs étudiants qui étaient, dans leur majorité, chrétiens. Les musulmans ont préféré inscrire leurs enfants dans des écoles islamiques bien que ces dernières ne disposaient pas des mêmes capacités d’enseignement que les écoles étrangères. Une autre cause, aussi importante que la première, est le soutien des pays européens, et plus

54 Le mouvement nationaliste arabe ou « Harakat al-Qawmiyyin al-Arab » est connu sous le nom Harakiyin. Ce mouvement a trouvé ses origines au Liban vers les années 1940. Il a réuni les arabes par une histoire, une culture et une langue commune pour défendre l’existence d’une seule nation arabe.

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particulièrement de la France, qui appuyait la demande des Chrétiens de créer un pays chrétien pour eux au Liban.

En se basant sur l’accord de Sykes-Picot en 1916 et sur la déclaration Balfour en 1917, le mandat français sur le Liban a tracé les premières frontières de l’Etat actuel. À travers son haut-commissaire au Liban, le général Gouraud, la France a répondu aux besoins des Chrétiens en mettant en place une décision en 1919 qui prévoyait d’ajouter les districts de Hasbaïya, Rachaïya et Baalbek à la province du Mont-Liban (Annexe n°1). Le 31 août 1920, Gouraud a mis en place la décision la plus importante qui porte le numéro 318 : il a annoncé le Grand-Liban avec ses frontières actuelles après le regroupement de Beyrouth, Saïda et Sour dans le nouveau Liban. Ni les Chrétiens ni les Musulmans n’étaient satisfaits de cette décision (ibid.,).

Le Général Gouraud a averti les Maronites que le fait de joindre Beyrouth, Saïda et Tripoli à la province du Mont-Liban risque de bouleverser l’équilibre démographique, et d’augmenter le nombre des Musulmans et donc influencer l’équilibre de forces. Malgré ces avertissements, les Chrétiens ont souligné la nécessité d’élargir le territoire libanais pour des raisons économiques et financières. Par ailleurs, ils ont rassuré les Musulmans en leur offrant plus de postes dans l’État. C’est bien ce qui était précisé dans l’article 95 de la Constitution libanaise à la date du 23/5/1926.

Selon certains historiens, la France a joué un rôle important durant son mandat, pour nourrir la répartition confessionnelle au Liban, ce qui apparait clairement en 1936 avec l’émission de la résolution 60 qui contient la base réglementaire des confessions au Liban. D’autres disent le contraire : la France n’a fait que soutenir le Liban. Concernant le système politique, il été créé par « le pacte national» de 1943 qui a eu lieu entre les Musulmans et les Chrétiens suite aux paroles prononcées par le premier Ministre sunnite Riad Al-Solh et le président maronite de la république Béchara Al-Khoury. Le principe de ce pacte était le suivant : l’indépendance du Liban à condition que les Chrétiens arrêtent de demander la protection étrangère et que les Musulmans ne pensent plus à l’union avec la Syrie.

Tout le monde était d’accord sur le fait que le Liban était un pays arabe qui applique la Constitution de 1936 et le principe de l’équilibre entre les confessions et leur participation

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au pouvoir. Depuis le pacte de 1943, les divisions confessionnelles étaient claires : le poste de la Présidence de la République est attribué à la confession maronite, le poste du premier Ministre est attribué à la confession sunnite et celui de la Présidence du Parlement à la confession chiite. Donc, il est redevenu indiscutable que le confessionnalisme a dominé la vie politique et s’est diffusée dans le système politique et constitutionnel au Liban à ce moment-là.

2.2. La tutelle syrienne : un nouvel élément du désordre