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L’HABILLAGE SCIENTIFIQUE

Dans le document tel-00343544, version 1 - 1 Dec 2008 (Page 64-67)

PREMIÈRE PARTIE : L’ÉMERGENCE FULGURANTE DU HARCÈLEMENT MORAL

CHAPITRE 2 : LA MONTÉE EN GÉNÉRALITÉ

2.1. LES MODES DE MONTÉE EN GÉNÉRALITÉ

2.1.3. L’HABILLAGE SCIENTIFIQUE

Plusieurs enquêtes sont médiatisées et viennent donner un habillage scientifique au livre de M.-F. Hirigoyen – qui en a déjà de par les qualifications de l’auteur, psychologue, psychiatre, victimologue et thérapeute familiale. C’est la danse des chiffres. Les résultats de l’enquête du BIT (Bureau International du Travail) sur la violence au travail dans le monde sont souvent repris par les journalistes. Selon l’organisme international qui a enquêté sur les différents types d’agression et de harcèlement, 10% des Français se déclarent victimes de violence dans l’entreprise1. Les chiffres varient souvent d’une source à l’autre. En janvier 1999, le Nouvel Observateur titre : « 2 millions de Français se disent victimes de

“harcèlement moral” ». Quatre mois plus tard, un magazine de gestion revoit les chiffres à la baisse : un million de Français seraient harcelés moralement2. En octobre 1999 on a le chiffre de 6 millions qui sera repris par la suite : « 6 millions de personnes seraient confrontées à une forme de violence dans leur travail »3. Selon un sondage Ipsos réalisé pour le ministère de l’Emploi et de la Solidarité, 19% des actifs se sentiraient harcelés4. L’INSEE estime que 7 millions de salariés seraient concernés par le problème5. De même, la troisième enquête

1 Le Monde du 07/10/98 : « Un Français sur 10 se déclare victime de violence dans l’entreprise ».

2 Entreprise et carrières n° 480 du 04 au 10/5/99.

3 Les Echos du 14/10/99.

4 Télérama n° 2670, 14/3/01.

5 L’Humanité du 18/4/01.

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européenne sur les conditions de travail, conduite en 2000 par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, permet de mesurer l’importance du phénomène de harcèlement moral au travail. La Finlande, les Pays-Bas, le Royaume-Uni sont les plus touchés. En France, 10% des personnes interrogées déclarent avoir été l’objet

« d’intimidation ou d’un harcèlement moral » dans leur milieu professionnel, un chiffre comparable à la moyenne européenne de 9%.

Le traitement quantitatif du harcèlement moral révèle plusieurs imprécisions. Tout d’abord, les titres des journaux sont souvent ambigus : s’agit-il de pourcentages de la population active ? de la population totale de la France ? Par ailleurs, la violence n’est pas toujours précisée : s’agit-il d’une agression physique ? sexuelle ? psychologique ? si tant est que l’on puisse clairement définir ce que recouvrent ces notions. Dernière difficulté de taille : ces chiffres, présentés partout dans les médias pour donner toute la mesure du phénomène de harcèlement moral, sont souvent une relecture de données antérieures à l’apparition de la notion. Pour ne prendre qu’un exemple, les résultats des enquêtes européennes de 1996 et 2000, largement commentés par la presse, ne comportaient pas la terminologie « harcèlement moral ». En effet, ce n’est que lors de la quatrième enquête de 2005 que sont utilisés les termes de « bullying and / or harassment ». Les enquêtes précédentes parlaient d’ « intimidation ». Les analyses journalistiques ont vite fait de mettre en équivalence

« intimidation » et « harcèlement moral ». Plus que la question de leur portée scientifique et de leur exactitude, ce télescopage de chiffres est une preuve que le phénomène est quantifiable. Et si l’on peut le quantifier, c’est bien la preuve qu’il existe.

Des manifestations scientifiques ont lieu pour débattre de la notion de harcèlement moral. Un colloque est organisé par la Mutuelle nationale des Caisses d’Epargne en octobre 1999. Des entretiens sont réalisés avec des psychiatres, des psychanalystes, des médecins, la première d’entre elles étant M.-F. Hirigoyen. Les résultats du questionnaire HarMor, précédemment évoqués, servent d’appui au collectif d’experts réuni pour rédiger une proposition de loi sur le harcèlement moral.

La banalisation du harcèlement moral incite des experts, réunis autour de C. Dejours et M.-F. Hirigoyen, à définir ses signes cliniques. Les spécialistes se retrouvent à Paris en février 2000 au Laboratoire de psychologie du travail dirigé par C. Dejours pour en discuter. Selon le psychiatre, « Les dérives que nous constatons aujourd’hui sont inquiétantes. Le harcèlement moral est mis à toutes les sauces. On peut s’en servir contre n’importe qui pour n’importe quoi. Afin de contenir ce phénomène et de guider les juristes, nous avons pensé que l’une des

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pistes possibles était d’être clair sur le plan clinique. Il y a encore beaucoup de recherches à accomplir, mais il semble qu’il se dégage un syndrome spécifique au harcèlement moral »1.

Les syndicats ne sont pas en reste. La CGT consacre plusieurs journées d’études à la santé au travail où le harcèlement moral occupe une large partie des débats, la CFDT organise un colloque sur le harcèlement moral le 30 mars 2000. Conscients de l’impact médiatique qu’entraînait le phénomène, les syndicats se sont emparés du sujet, en l’étudiant, en en montrant les origines organisationnelles, et en élaborant des moyens pour le combattre. Un travail d’information a été fourni pour, d’une part, sensibiliser les salariés à cette question, et, d’autre part, former les intervenants syndicaux de l’entreprise et les préparer à une réponse adéquate sur le terrain. Ainsi, la CFDT a mis en ligne le 1er août 2001 un « mode d’emploi pour agir et prévenir » le harcèlement destiné aux salariés et consultable sur son site Internet2, et a publié un guide de l’élu d’entreprise contre le harcèlement moral au travail (Le Bouffant, 2001). La CGT a organisé de nombreux colloques sur le sujet, et a consacré au thème deux numéros de sa revue, Le Droit ouvrier. Le travail syndical met l’accent sur les dimensions organisationnelles du harcèlement. Ainsi, le guide de la CFDT est présenté comme une occasion « d’interroger l’environnement du travail qui offre un espace à la mise en place de relations destructrices pour les individus » (Le Bouffant, 2001, p. 19). Le guide de l’élu d’entreprise de la CFDT met en garde contre les faux témoignages, et conseille de « centrer son attention sur les faits. Jugements, opinions et sentiments ne permettent qu’une approche subjective qui est certes valide mais insuffisante pour analyser les situations de travail » (Le Bouffant, 2001, p. 59). Les indicateurs « objectifs » de harcèlement moral sont la répétition et la durée des arrêts de travail et des congés de maladie, le turn-over et le nombre de départs de l’entreprise, les changements de service, les promotions trop rapides ou au contraire trop lentes par rapport au fonctionnement de l’entreprise. Cette approche du harcèlement moral permet, en retour, de légitimer le rôle des syndicats dans l’entreprise. Si le harcèlement est dû à des problèmes psychopathologiques, recourir à un syndicaliste n’a en effet pas grand sens.

A la fin des articles sur le harcèlement moral, on conseille généralement la lecture du trio H. Leymann, C. Dejours et M.-F. Hirigoyen, et on donne les coordonnées des associations de soutien des victimes. Mots pour maux au travail est une association pionnière dans ce domaine. La rejoindront ensuite l’ANVHPT, association nationale des victimes de harcèlement psychologique au travail créée le 8 mars 1999 à Arles, l’ACHP, association

1 Le Monde du 29/2/00.

2 En ligne, http://www.cfdt.fr/actualite/vie_au_travail/condition_travail/dossier_harcelement_sommaire_htm.

Consulté le 21/8/07.

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contre le harcèlement professionnel, et Harcèlement Moral Stop (HMS). Le travail associatif n’a pas seulement consisté à aider les victimes, mais a contribué également à la définition de la notion de harcèlement moral.

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