• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 — Cadre théorique

1.2. Le leadership d’habilitation

1.2.1. L’habilitation

L’habilitation que l’on nomme parfois également « responsabilisation » ou « empowerment » est définie dans les écrits de plusieurs manières. Une partie des recherches s’intéressent à ce qu’on appelle l’habilitation structurelle définie comme étant les pratiques ou ensembles de pratiques qui impliquent la délégation de responsabilités aux employés au plus bas de la hiérarchie, afin de leur donner une plus grande autorité décisionnelle par rapport à l’exécution de leurs principales tâches (Leach et al., 2003 : p. 28). Dans cette vision, l’habilitation est un construit relationnel : il s’intéresse aux acteurs qui détiennent le pouvoir et le contrôle dans l’organisation, et aux stratégies de partage de pouvoir (Conger et Kanungo, 1988).

La grande majorité de la littérature sur l’habilitation dans le milieu de travail s’est cependant intéressée à l’habilitation psychologique, ou comme le définissent Conger et Kanungo (1988, p. 474) : « [the] process of enhancing feelings of self-efficacy among organizational members through the identification of conditions that foster powerlessness and through their removal by both formal organizational practices [l’habilitation structurelle] and

informal techniques of providing efficacy information ». L’habilitation psychologique serait alors un état mental présent chez les employés, et donc une conséquence de l’habilitation

structurelle, qui représente les pratiques d’autonomisation mises en place par l’organisation.

L’habilitation psychologique est un construit motivationnel (Conger et Kanungo, 1988 ; Thomas et Velthouse, 1990). Bien que les deux construits (habilitation structurelle et psychologique) soient liés, certains auteurs vont argumenter que les pratiques de partage de pouvoir et de gestion participative, soit l’habilitation structurelle, ne correspondent pas nécessairement à ce qui est ressenti par les employés : ces pratiques peuvent générer un effet motivationnel, mais ce n’est pas nécessairement le cas (Conger et Kanungo, 1988).

L’importance d’étudier l’habilitation psychologique repose alors sur l’hypothèse que ces états mentaux sont ceux qui sont les plus susceptibles d’amener les résultats attendus (performance, mobilisation, satisfaction), car ils génèrent de la motivation intrinsèque (Thomas et Velthouse, 1990). En effet, les individus ont un besoin d’autodétermination (Deci, 1975 ; Deci et Ryan, 1985) et un besoin d’auto-efficacité (Bandura, 1986). Certains diront même que les individus ont un besoin de pouvoir, c’est-à-dire d’avoir une influence, un contrôle, sur les autres et sur leur environnement (McClelland, 1975). Lorsque ces besoins sont comblés, par des pratiques d’habilitation structurelle par exemple, les individus développent une motivation intrinsèque qui leur donne l’énergie pour accomplir les tâches de leur travail (Conger et Kanungo, 1988 ; Thomas et Velthouse, 1990) ; c’est l’habilitation psychologique.

En se basant sur la théorie des attentes (Lawler, 1973) et sur celle de l’auto-efficacité (Bandura, 1977 ; 1986), Conger et Kanungo (1988) postulent que l’on peut arriver à un sentiment d’habilitation en utilisant plusieurs techniques ou stratégies managériales : la gestion participative, la fixation des objectifs, la rétroaction, la rémunération et la reconnaissance contingente et l’enrichissement du travail, ainsi qu’en étant un bon modèle. Ces techniques et ces stratégies vont alors donner de l’information aux subordonnés concernant leur auto- efficacité à travers divers processus cognitifs. Cette augmentation du sentiment d’efficacité et des attentes effort-performance (autrement dit, des attentes concernant la performance en fonction des efforts fournis) constitue dans cette perspective l’essentiel du sentiment d’habilitation psychologique, et ce sentiment contribue en retour à une augmentation des comportements d’initiative et de persistance dans l’effort de la part de l’individu.

Thomas et Velthouse (1990) ont également bâti sur le modèle motivationnel de Conger et Kanungo (1988) en apportant comme contribution que l’habilitation produit une motivation qui est liée aux tâches, et qui est différente de celle qui provient du contrôle de la part d’un superviseur hiérarchique et des récompenses ou punitions données par les autres (motivation extrinsèque). Ils définissent quant à eux l’habilitation psychologique comme étant « those generic conditions by an individual, pertaining directly to the task, that produce motivation and satisfaction. » (Thomas et Velthouse, 1990, p. 668). Ils ont aussi proposé d’envisager l’habilitation non pas comme le résultat d’un jugement objectif des conditions et des événements du travail, mais plutôt comme une évaluation subjective de la réalité. Ils postulent que les individus font quatre évaluations de la tâche et que ces évaluations constituent les quatre dimensions de l’habilitation psychologique. La première évaluation est la compétence : les individus évaluent à quel point leurs compétences leur permettent de réaliser certaines activités reliées à leurs tâches lorsqu’ils fournissent des efforts. Cette dimension est essentiellement celle qui était proposée comme étant centrale à l’habilitation dans la conception de Conger et Kanungo (1988) et se rapporte au sentiment d’auto-efficacité de Bandura (1977 ; 1986). Les individus évaluent également l’impact, c’est-à-dire à quel point ils ont l’impression que les actions (comportements) qu’ils entreprennent dans la réalisation des tâches permettent réellement d’atteindre les buts qui sont associés à cette tâche. Troisièmement, les individus évaluent si la tâche a un sens. Autrement dit, ils évaluent si les buts associés aux tâches qu’ils ont à compléter ont de la valeur pour eux et correspondent à certains standards ou idéaux qui leur sont personnels. Enfin, les individus évaluent s’ils possèdent de l’autonomie dans l’exécution de la tâche, ou dans le vocabulaire des auteurs, s’ils ont un choix dans la réalisation des activités de la tâche. En somme, pour Thomas et Velthouse (1990), l’habilitation psychologique est l’état mental qui résulte de l’évaluation que les tâches sont effectuées avec

compétence, qu’elles ont un impact et un sens selon l’individu, et que celui-ci a été en mesure

de faire des choix autodéterminés dans la réalisation de ces tâches.

La conception de Thomas et Velthouse (1990) a été reprise dans les travaux de Spreitzer (1995) qui a construit un questionnaire permettant de mesurer cet état mental. L’instrument comprend des questions sur les quatre dimensions énumérées ci-dessus et est une mesure auto- rapportée qui a été validée à de nombreuses reprises (pour une recension des écrits à ce sujet,

voir Maynard et al., 2012). L’instrument de mesure de Spreitzer est celui qui est utilisé pour mesurer le concept de l’habilitation psychologique dans la quasi-totalité des études au niveau d’analyse individuel (Maynard et al., 2012) et représente en ce sens la conception qui est généralement retenue pour examiner ce type d’habilitation.