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3-1 L E FONCTIONNEMENT DE LA MÉMOIRE EN SITUATION D ’ ÉCRITURE

À LA GESTION DE LA PERFORMANCE

3-1 L E FONCTIONNEMENT DE LA MÉMOIRE EN SITUATION D ’ ÉCRITURE

Les recherches les plus récentes en psychologie cognitive se sont mises d‟accord sur l‟importance de la mémoire dans la réalisation des tâches aussi complexes que la compréhension ou la production d‟un texte écrit.

Effectivement, les modèles d‟écriture s‟appuient majoritairement sur cette faculté pour expliquer le cheminement de la pensée du rédacteur au moment de la transcription de son produit, sachant que toute entreprise d‟écriture fait appel à des connaissances emmagasinées auparavant dans la mémoire.

Selon les chercheurs ayant travaillé sur la question, la mémoire n‟est point homogène mais elle regroupe des catégories, et fonctionne selon trois niveaux hiérarchiquement classifiés : il s‟agit de la mémoire sensorielle, de la mémoire à court terme ou la mémoire de travail et de la mémoire à long terme.

3-1-1 La mémoire sensorielle

La mémoire sensorielle, nommée aussi la mémoire de perception, est celle qui est liée aux cinq sens (vue, ouïe, odorat, goût et toucher). Elle identifie des perceptions et fonctionne sans que l'individu en ait conscience.

Cette mémoire permet, par exemple, de retenir des sons, des images (visages, lieux...), des odeurs, sans s'en rendre compte. Ainsi, la mémoire sensorielle permet à quelqu'un de rentrer chez lui par habitude grâce à des repères visuels.

La mémoire sensorielle stocke assidûment mais d‟une façon brève l‟information fournie par les différents sens. Le temps d‟agir de cette mémoire est éphémère, elle est de l‟ordre de

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quelques dixièmes de millisecondes à deux ou trois secondes à la limite. Elle constitue un accès obligé pour parvenir à stocker dans la mémoire à court terme (MCT).

Or les informations sensorielles sont prélevées de manière sélective. Il nous est d‟ailleurs impossible de tout mémoriser. Nous retenons donc les informations signifiantes, c'est-à-dire uniquement si elles ont attiré notre attention. Par ailleurs, nous retenons d‟autres stimuli de manière non sélective ou inconsciente.

Il est clair que cette mémoire, de par son caractère éphémère, ne pourrait être la plus importante. Il est cependant déterminant dans la mesure où, comme nous l‟avons souligné, il constitue un passage obligé sans lequel l‟information ne saurait être transposée dans le cerveau ; d‟où la nécessité pour les chercheurs et les praticiens1 d‟accorder de l‟intérêt à la santé des sens dans l‟appréhension de la mémoire.

En situation d‟écrit, il est à constater que la mémoire sensorielle n‟intervient que dans l‟encodage de la consigne.

Cependant, en dépit de sa simplicité, ce processus de stockage n‟est pas toujours facile à activer. Il en est ainsi en ce sens que l‟acte même de lire pourrait ne pas être réussi par l‟apprenant ; s‟ensuit alors une mauvaise interprétation de la consigne et, par conséquent, une rétention de fausses information dans la mémoire.

Dans ce cas, c‟est moins l‟oubli qui est à craindre, mais c‟est paradoxalement, l‟emmagasinement définitif par la mémoire de niveau supérieur des informations erronées.

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3-1-2 La mémoire à court terme ou la mémoire de travail

La mémoire à court terme (MCT), appelée parfois mémoire de travail, représente pour les psychocognitivistes cet endroit au cerveau accordant la capacité de conserver et de réinvestir un nombre limité d'informations au cours d‟une période limitée, voisinant 30 secondes. Les cognitivistes ont cherché à déterminer ses aspects inhérents (potentialité, durée et organisation) et aussi sa fonction dans la cognition

L'information dans la (MCT) est activement conservée. Elle assure sa disponibilité la plus longue durée possible sous la forme d‟une reprise mentale tout en gardant les liens avec les informations accumulées dans la mémoire à long terme (MLT).

La mémoire à court terme est d‟une capacité limitée. Elle ne peut stocker qu‟un nombre très réduit d‟informations et pour un temps restreint. Alain Lieury souligne cet aspect de la mémoire à court terme en précisant :

« Un des phénomènes les plus étranges de la mémoire à court terme est sa capacité limitée

(en rappel immédiat). Si l'on présente à un sujet une séquence d'éléments à mémoriser et qu'on lui demande un rappel immédiat, on observe qu'un nombre moyen d'environ sept éléments pourront être rappelés. Le plus curieux est que le nombre des éléments rappelés est à peu près constant, que ces derniers soient des chiffres, des mots, des phrases significatives, ou toutes autres unités familières à la mémoire. L'analogie entre celle-ci et l'ordinateur suggère l'hypothèse que la mémoire à court terme fonctionne ici comme une mémoire fichier qui stocke non pas des quantités d'informations mais des " étiquettes" de programmes, chaque programme concernant des unités familières à la mémoire – chiffres, mots ou phrases » (Lieury, 2010).

C‟est cette même mémoire qu‟on appelle également mémoire de travail car c‟est elle qui est sollicitée au moment même où on exécute une tâche donnée. C‟est le cas de la situation d‟écriture où le rédacteur fait appel aux connaissances stockées dans la mémoire à long terme (MLT), qu‟on abordera plus loin, et les active en même temps qu‟il rédige.

En production écrite, cette mémoire de travail est d‟autant plus importante qu‟elle intervient comme un régulateur et un gestionnaire d‟informations. Ces dernières sont à l‟état brut dans le cerveau et elles doivent passer par la mémoire de travail pour être effectivement mises au service de la tâche à accomplir.

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Marin et Legros soulignent l‟importance de cette mémoire dans une activité de production écrite en affirmant : « Une activité aussi complexe que la production d’écrit sollicite fortement la

MDT qui joue un rôle essentiel dans la maîtrise de cette activité. La rédaction suppose en effet la gestion coordonnée de traitements dont le coût cognitif varie en fonction d’une multitude de facteurs. Ces traitements, très demandeurs en ressources attentionnelles, peuvent être économiques lorsqu’ils sont automatisés. La MDT permet de stocker temporairement des informations prélevées en MLT et de les rendre opérationnelles. Le rédacteur dispose de ressources attentionnelles et de capacités de traitement limitées, et variables en fonction de son niveau de connaissances, de sa motivation, de son état d’éveil et de sa concentration. Un sujet ne peut donc conduire en parallèle qu’un nombre d’opérations cognitives limité. En effet, le coût des traitements ne peut dépasser les ressources attentionnelles disponibles » (Legros & Marin, 2008 : 98, 99)

En outre, soulignons le caractère sélectif de la mémoire à court terme en ce sens qu‟elle ne retient pas les informations dans leur intégralité à cause de son espace limité. Elle ne garde que les données qu‟elle peut stocker (pas plus de 7 éléments comme nous l‟avons déjà montré plus haut), et qu‟elle juge nécessaires.

Cornaire Claudette & Raymond Patricia Mary affirment à ce propos : « La mémoire à

court terme est sélective. C’est ainsi qu’un texte lu à titre de document pour la préparation d’un article ne sera pas transféré dans son intégralité. De fait, la mémoire à long terme n’en retiendra que le sens global, un genre de résumé que l’on appelle aussi la macrostructure du texte ».

(Cornaire &Raymond, 1999 : 18)

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Enfin, il est à faire remarquer que la mémoire de travail pourrait être considérée comme une sous partie de la mémoire à court terme dans la mesure où, en plus du fait qu‟elle est sélective est d‟une capacité limitée, elle ne s‟occupe que du traitement de l‟information.

Cette dernière est fournie par la mémoire sensorielle mais également et souvent par la mémoire à long terme dont elle se distingue aussi bien par la capacité que par la fonction proprement dite.

3-1-3 La mémoire à long terme

La mémoire à long terme est d‟une capacité illimitée. Elle stocke les informations mais ne les traite pas, elle fonctionne comme un réservoir dans lequel on peut puiser l‟information voulue en la faisant passer dans la mémoire de travail.

Cependant, en dépit de sa capacité illimitée, cette mémoire n‟enregistre pas les informations de façon égale ; autrement dit, il y a des données qui sont susceptibles d‟être retenues plus que d‟autres, et ce, en fonction d‟un certain nombre de paramètres. Cornaire & Raymond, après avoir défini la mémoire à long terme, mettent l‟accent sur ces paramètres : « La mémoire à

long terme, qui contient tout ce que nous savons, les événements qui se sont produits il y a dix minutes comme ceux qui nous ont marqué durant notre enfance, ni limitée ni en capacité ni en temps. Toutefois, les données qui y sont inscrites sont dépendantes et en grande partie de l’habilité du traitement de l’information dans la mémoire à court terme, de l’intérêt des données, de la charge émotive qu’elles véhiculent, des techniques mises en œuvre pour s’en souvenir ».

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Par exemple, si nous lisons une série d‟articles en préparation d‟un test à venir, le stockage efficace de cette information importante exigera beaucoup d‟attention et de réflexion.

Suivant le cas, il faudra même utiliser des aide-mémoires : souligner certains mots clés, préparer plusieurs résumés écrits, dresser un tableau des éléments importants, etc. toutes ces opérations portent le nom de stratégies d‟encodage ou de traitement de l‟information.

« En diversifiant ces stratégies, en essayant d’en créer de nouvelles, selon nos besoins et

les situations qui se présentent, on devient habile à mémoriser davantage d’informations, plus facilement et plus rapidement ». (Cornaire & Raymond, 1999 : 19)

Lieury. A, abonde dans le même sens en affirmant : « Quelles que soient les activités

mentales qui accompagnent la mémorisation, le nombre de répétitions et le temps de présentation de ce qui est à apprendre et améliorent la rétention à long terme ; c'est ce qu'on appelle l'apprentissage par cœur. D'autres variables paraissent jouer un rôle facilitateur, telles la motivation et la tonalité affective : ainsi, les souvenirs qui peuvent être rappelés au bout de plusieurs années portent sur des événements qui sont soit très agréables, soit très désagréables ».

(Lieury, 2010)

En termes pratiques et en situation d‟enseignement-apprentissage, disons que les apprenants seront en mesure de mémoriser un grand nombre d‟informations pour peu que l‟enseignant veille à :

1- Présenter l‟information dans le cadre d‟une situation motivante pour l‟apprenant : par exemple, le sujet d‟une expression écrite devrait répondre aux attentes et préoccupations de l‟apprenant, et ne pas lui sembler totalement étranger.

2- Enseigner les stratégies de mémorisation en diversifiant les procédés pratiques, et en initiant les apprenants à la méthodologie du travail rédactionnel : prise de notes, schématisation, élaboration de plan, etc. …

3- Prévoir des situations dans lesquelles l‟apprenant sera amené à restituer sous des formes diverses, l‟information préalablement stockée dans la mémoire à long terme, et ce, pour lui permettre de l‟actualiser en la faisant passer dans la mémoire de travail.

Cela assurera une « survie » aux données emmagasinées compte tenu du fait que n‟échappera à l‟oubli que ce qui est régulièrement activé.

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Cela dit, entre la mémoire à court terme (ou la mémoire de travail) et la mémoire à long terme, il y a un va et vient permanent de sorte que ce qui est perçu par la première doit être transféré dans la seconde sous peine d‟être oublié.

De même que les informations stockées dans la mémoire à long terme doivent inévitablement passer dans la mémoire de travail pour être traitées et utilisées dans des situations de résolution de problèmes.

Cet échange entre les deux mémoires pourrait être schématisé comme suit :

Figure.3.3. L‟organisation de la mémoire

Ainsi, lorsque nous sélectionnons de l‟information à partir de la mémoire sensorielle (par exemple les mots en situation d‟écriture), nous le faisons grâce à des connaissances stockées dans la mémoire à long terme (MLT).

Nous savons par exemple que chaque lettre a un caractère distinctif avec des traits particuliers (par exemple, le L majuscule se caractérise par une barre verticale et une autre horizontale).

De la même façon, lorsque la mémoire à court terme attribue un sens au mot, par exemple lorsque nous sommes en train de rédiger un texte et que nous sélectionnons un mot plutôt qu‟un autre, nous le faisons par rapport aux données conceptuelles, syntaxiques, etc., qui, encore une fois, sont contenues dans la mémoire à long terme.

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Ainsi, s‟il est vrai que la mémoire se caractérise par sa complexité, il n‟en demeure pas moins qu‟elle fonctionne selon un système précis qui fait que l‟information passe par les trois niveaux avant d‟être utilisée dans une situation d‟écriture.

C‟est par cette capacité d‟emmagasiner aussi rapidement que possible des données dans la mémoire à long terme et de faire appel à elles en cas de besoin avec la même promptitude que se distingueraient les apprenants qui, confrontés aux problèmes de l‟écrit, ne réagissent pas de la même façon.

Ce type de mémoire possède des capacités phénoménales, en ce sens qu‟elle peut stocker une infinité d‟informations et pour une durée illimitée.

Cornaire & Raymond déclarent à propos de la mémoire à long terme : « C’est dans la

mémoire à long terme que le scripteur ira puiser toutes les connaissances nécessaires à la production de son texte : connaissances concernant le sujet à traiter, connaissances linguistiques, rhétoriques, etc. Ces connaissances seront ensuite actualisées à travers la mise en œuvre de trois grands processus d’écriture : la planification, la mise en texte et la révision » (Cornaire &

Raymond, 1999 : 28)

Abondant dans le même sens, Marin & Legros expliquent : «La deuxième composante du

modèle est la MLT. En effet, pour être en mesure de produire un texte, le rédacteur doit récupérer en MLT des informations afin de les organiser ou de les réorganiser en élaborant des plans d’action. Les informations stockées en MLT concernent les connaissances référentielles, le type de texte à produire, l’élaboration d’un plan de texte et les connaissances pragmatiques » (Legros &

Marin, 2008 : 97)

En effet, l‟importance de ce type de mémoire est telle qu‟il est impossible au rédacteur de produire un texte sans qu‟il la sollicite d‟une manière constante à des moments divers du processus. Cependant, même si cette mémoire est assimilée à un réservoir, l‟activation des données qu‟elle emmagasine diffère d‟un rédacteur à un autre, et c‟est là qu‟intervient la compétence de chacun et que l‟entraînement répétitif à l‟écrit prend toute sa valeur.