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l’expertise des ONG : une dimension « grassroots-experts » très appréciée des acteurs

Chapitre 3. Quelle légitimité des ONG dans le système de gouvernance européen ?

A) l’expertise des ONG : une dimension « grassroots-experts » très appréciée des acteurs

La « République des experts » est une vision classique de la gouvernance contemporaine. Tout système de gouvernance repose en effet sur un système d’information développé, c’est un élément essentiel pour pouvoir décider et mettre en place des politiques efficaces. C’est la raison pour laquelle les institutions européennes, et la Commission notamment, sont traditionnellement très ouvertes aux informations venues de l’extérieur,

58 SAURUGGER (S.), « L’expertise : un mode de participation des groupes d’intérêts au processus décisionnel

d’autant plus que l’administration européenne est généralement plutôt sous-dimensionnée par rapport à l’ampleur des questions traitées59.

Le recours à l’expertise est à la fois une ressource et un répertoire d’action pour les groupes d’intérêts, qui est devenu un véritable moyen de représentation auprès des institutions européennes60. Le travail d'étude sur le terrain et leur expertise en matière d'analyse juridique, sociale et politique des ONG sont très précieux pour l’UE, tous les officiels interrogés pour cette étude l’ont reconnu, et ont mentionné comme premier rôle des ONG dans la politique étrangère européenne leur apport d’informations et leur expertise : « C’est important pour les

diplomates d’avoir les ONG, car elles apportent des informations valables, cela permet d’avoir un autre point de vue indépendant des questions politiques et diplomatiques »61.

La méthode employée par les réseaux d’ONG comme le REMDH, Aprodev ou Cidse, qui est fondée sur une approche « grassroots-experts » (c'est-à-dire base-experts), est particulièrement appréciée car elle permet de rendre compte très précisément des situations sur le terrain, à l'échelle locale : « La légitimité des ONG vient de leur expérience des

problèmes traités et de leurs relations de partenariat avec les communautés concernées »62. Leur capacité à récolter des informations précises et fiables sur le terrain, à les confronter aux informations sur les politiques européennes, et à les faire remonter sous formes de rapports et d’analyses construites jusqu’aux institutions nationales et internationales, est un avantage comparatif irremplaçable. En effet, comme le souligne P. Calane, cette faculté à faire le raccourci « entre l’action et la réflexion » est impossible au sein des administrations nationales comme communautaires du fait des lourdeurs hiérarchiques qui créent d’« inévitables filtres et étapes successives de traitement de l’information à l’échelle d’un

Etat et a fortiori à l’échelle internationale. De ce fait, le traitement de l’information au sommet se fait souvent sur des bases abstraites. »63

59 MASSIGNON (B.), « Les ONG confessionnelles à Bruxelles : une analyse en termes de lobbying »,

Communication au Colloque de l’Association Française de Sociologie religieuse (AFSR) sur Les ONG

confessionnelles. Action internationale et mutations religieuses, Paris, 2-3 février 2004, p. 4. 60

SAURUGGER (S.), Ibid.

61 Entretien avec une représentation permanente auprès de l’UE, 28/07/09. 62

ROUILLE d’ORFEUIL (H.) et DURAO (J. E.), « Rôle des Ong dans le débat public et les négociations internationales. Eléments pour la définition d’une « diplomatie non gouvernementale », Coordination Sud, septembre 2003, p. 9.

63 CALANE (P.) « les coalitions internationales d’ONG, du lobbying à la contribution à la gouvernance

Par ailleurs, les informations apportées par les ONG sont souvent jugées fiables et utiles du fait du haut niveau de technicité qu’elles ont nécessité, et de la parfaite connaissance des politiques et des dispositions juridiques européennes dont elles témoignent. L’analyse légale et juridique est de plus perçue comme « neutre », contrairement aux recommandations qui sont perçues comme plus « idéologiques » et politiques.

Aprodev par exemple sur le dossier israélo-palestinien s’est spécialisé sur des questions commerciales très techniques, avec l’aide du groupe Mattin64, comme la certification d’origine (labelling) des produits israéliens originaires des colonies exportés vers l’EU, sur la base des Accords d’Association et des engagements de l’UE en matière de respect des droits de l’homme. Elle suit en cela une stratégie de passive enforcement, ce qui signifie que cette organisation met en valeur les situations où l’UE ne respecte pas son propre droit commercial et de droits de l’homme. Dans ce cas présent comme les produits israéliens viennent de colonies, donc d’une situation d’occupation reconnue illégale par le droit international et par l’UE, ils ne devraient pas pouvoir bénéficier d’exemption de droits de douanes attribués aux produits venant du territoire reconnu d’Israël. Après avoir lancé ce débat en 2003 au sein des institutions européennes, l’analyse et les arguments de l’organisation ont été pris très au sérieux, le Conseil et la Commission se sont penchés sur la question, et même si l’UE n’est pas allée jusqu’au bout des recommandations d’Aprodev, puisque elle a refusé d’avoir recours à des instruments contraignants contre Israël, une sorte de compromis a été trouvé, avec un accord technique rédigé sous l’égide de Pascal Lamy (alors Commissaire au Commerce), et a été intégré à l’Accord d’Association UE-Israël en 2004. En ce moment Aprodev travaille sur la question d’Europol et de la transmission des données privées, avec l’aide d’ONG israéliennes comme PCATI65.

Le REMDH quant à lui s’est spécialisé sur la coopération euro-méditerranéenne, et a développé ainsi une expertise juridique très approfondie des instruments européens en matière de promotion de droits de l’homme, des accords d’association, de la PEV, des plans d’actions et surveille avec attention leur impact sur la situation des droits de l’homme dans les pays partenaires. Il a d’ailleurs continué, parallèlement à Aprodev, d’analyser le problème de la certification d’origine des produits israéliens avec l’aide du groupe Mattin66. De son côté

64 Le groupe Mattin est un cabinet de consultants basé à Jérusalem, spécialisé sur les relations entre Israël et

l’UE.

65

Entretien avec Aprodev, 13/07/09.

66

Pour de plus amples détails sur cette question complexe de la règle d’origine, voir REMDH, A Human Rights

Cidse fait un travail d’évaluation critique de l’aide au développement européenne versée à la Palestine. Des ONG comme Amnesty International ou Human Rights Watch sont connues pour leurs méthodes d’investigation rigoureuses et leur analyse légale pointue.

Enfin, les ONG ne sont pas de simples experts apportant une information « neutre », ils sont également et avant tout des experts militants, qui apportent leur propre vision des problèmes et des solutions politiques à apporter. Les ONG sont ainsi de véritables forces de proposition, et leurs recommandations, même si elles ne sont pas toutes adoptées par les décideurs, loin de là, ont au moins le mérite de montrer des alternatives possibles. Par ailleurs les propositions des ONG de plaidoyer à Bruxelles restent le plus souvent du domaine du réalisable, car elles reposent sur une très bonne connaissance du fonctionnement de l’UE et de ses instruments à disposition dans le cadre de la politique étrangère, de la position des acteurs du jeu politique, et du contexte géopolitique. Elles demandent en fait le plus souvent une bonne dose de volonté politique, et d’adopter l’optique « droits de l’homme » comme grille de lecture principale des relations extérieures de l’UE. C’est pourquoi leurs recommandations sont le plus souvent appréciées des officiels européens les plus « progressistes » sur le dossier israélo-palestinien67, car elles offrent un mode d’emploi décisionnel, une recette politique, donnant matière à réfléchir aux décideurs.

Ces compétences ont grandement contribué à renforcer la crédibilité des ONG comme acteurs valables dans les politiques publiques européennes, et c’est avant tout comme experts et fournisseurs d’informations du terrain que les ONG se sont fait une place dans la gouvernance européenne.

B) La dimension morale des ONG, « watchdog » des violations des droits