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CHAPITRE 3 : METHODOLOGIE

1. UNE MÉTHODOLOGIE QUALITATIVE

1.3. L’expérimentation didactique

Dans cette section, nous allons, dans un premier temps, décrire les modalités générales d’une expérimentation didactique et, dans un deuxième temps, expliciter les raisons qui nous ont amené à choisir cette méthodologie.

1.3.1. Bref historique

L’expérimentation didactique est une méthode dont certains éléments remontent à Vygotsky, un pédagogue soviétique, qui y eut recours dès la première moitié du XXe siècle. Par la suite, cette méthode fut, entre autres pour des raisons idéologiques, très répandue chez les chercheurs en éducation de l’Union soviétique. En effet, la doctrine communiste étant de nature égalitaire, les recherches en éducation des pays communistes se sont à cette époque concentrées essentiellement sur les effets de l’enseignement sur l’apprentissage, et non pas sur d’éventuelles différences interindividuelles ou socioculturelles.

L’expérimentation didactique comporte la mise en place, la réalisation et l’analyse d’une séquence d’enseignement sur un sujet déterminé auprès d’un certain nombre de participants à la recherche.

Comme le souligne Herscovics (1983, p. 12), les objectifs de recherche qui justifient l’utilisation d’une expérimentation didactique sont ceux qui s’intéressent aux transformations des connaissances lors d’une séquence d’enseignement : « L’expérimentation didactique vise à cerner la pensée de l’élève, alors que ses structures cognitives se transforment lors d’une intervention pédagogique. » Pour Steffe et Thompson (2000, p. 267), l’expérimentation didactique permet au chercheur d’accéder directement au processus d’apprentissage des participants.

« A primary purpose for using teaching experiment methodology is for researchers to experience firsthand students’ mathematical learning and reasoning. Without the experiences afforded by teaching, there would be no basis for coming to understand the powerful mathematical concepts and operations students construct. »

Par ailleurs, English et al. (2002, p. 803) soulignent que l’avantage de l’expérimentation didactique par rapport à d’autres méthodologies est qu’elle permet de cerner l’évolution de la compréhension de manière détaillée : « Teaching experiment methodologies […] offer considerable promise in providing micro and dynamic evidence of students’ learning, in contrast to research that offers only a series of discrete snapshots of students’ mathematical thinking. »

Dans ce contexte, Steffe (1991, p. 177) confirme que l’expérimentation didactique vise l’analyse de l’évolution des processus cognitifs de l’enfant dans une séquence d’enseignement, ce qui implique également un nouveau rôle pour le chercheur :

« The constructivist teaching experiment is a technique that was designed to investigate children’s mathematical knowledge and how it might be learned in the context of mathematics teaching. In a teaching experiment, the role of the researcher changes from an observer who intends to establish objective scientific facts to an actor who intends to construct models that are relative to his or her own actions. »

Héraud (1991) mentionne que l’expérimentation didactique se distingue par les caractéristiques suivantes : elle est une méthode de recherche dynamique parce qu’elle vise à cerner un mouvement, ici la construction d’un concept ou d’une relation; elle est une méthode essentiellement qualitative qui génère un grand nombre de données microscopiques sur un petit nombre de sujets au lieu de données macroscopiques sur un grand nombre de sujets ; elle est utilisée dans le cadre d’une étude longitudinale, dont la durée peut varier de quelques semaines à plusieurs années ; elle s’intéresse surtout aux processus cognitifs mis en jeu par les élèves dans le cadre de leur processus d’apprentissage. Comme nous nous apprêtons à analyser un processus de compréhension lié à un cadre d’enseignement, le choix d’une expérimentation didactique s’est donc imposé.

Si les caractéristiques mentionnées sont communes à toutes les expérimentations didactiques, Steffe et Thompson (2000) soulignent que cette méthode n’est cependant pas standardisée, mais existe sous différentes formes : « [The teaching experiment] certainly did not emerge as a standardized methodology nor has it been standarized since. Rather, the teaching experiment is a conceptual tool that researchers use in the organization of their activities » (p. 274).

Par ailleurs, l’expérimentation didactique ne vise pas uniquement à observer les connaissances et les procédures des participants, mais a aussi pour objectif de les faire progresser selon un plan d’intervention établi à partir d’un modèle d’analyse de construction du concept. Comme nous l’avons vu, c’est le modèle de compréhension de Bergeron et Herscovics (1988) qui a servi, dans notre recherche, à réaliser une analyse préliminaire de la construction des relations d’équivalence et d’égalité.

1.3.2. Choix de l’expérimentation didactique

Le recours à une expérimentation didactique nous semble particulièrement pertinent eu égard aux objectifs de la recherche. Ce choix méthodologique nous permet d’avoir accès aux processus cognitifs des enfants, tout en tenant compte des effets de l’enseignement sur la compréhension. Car, simultanément à notre séquence d’enseignement, nous pouvons engager des discussions avec les sujets sur la démarche utilisée pour résoudre les différentes activités.

Ici, on peut noter une différence substantielle avec l’entrevue clinique. Alors que cette dernière permet d’avoir accès aux processus cognitifs en confrontant les participants à des tâches, l’expérimentation didactique vise en plus à suivre les participants dans la compréhension de la notion visée. Ainsi, la compréhension des enfants progresse à travers différentes séances d’enseignement qui sont adaptées au fur et à mesure aux besoins spécifiques des participants et de la recherche. Nous serons donc en mesure d’analyser l’évolution des conceptions des enfants pendant que celles-ci se transforment.

Comme nous souhaitons cerner l’évolution de la compréhension, il nous faut également recourir à une méthodologie qui permet une recherche pouvant s’étendre sur plusieurs semaines. L’expérimentation didactique répond bien à ce critère, puisque sa durée peut varier de quelques semaines à plusieurs mois.

La flexibilité de l’expérimentation didactique constitue également un atout majeur. Tout en nécessitant la mise en place d’une séquence d’enseignement détaillée, des ajustements sont possibles afin de vérifier des hypothèses ou de poursuivre de nouvelles pistes de recherche. Une première analyse des données de recherche se faisant au cours de la collecte de données, le plan d’intervention subira donc des modifications en cours de route.

L’expérimentation didactique permet aussi de tenir compte des trois composantes de la relation didactique, à savoir de l’enseignant, de l’élève et du savoir, ainsi que des interactions entre ces éléments. En effet, le volet du savoir est directement touché par l’analyse conceptuelle que nous avons effectuée des

relations d’équivalence et d’égalité à l’aide du modèle de Bergeron et Herscovics (1988). De même, comme l’expérimentation didactique comporte l’élaboration et l’expérimentation d’une séquence d’enseignement, l’enseignant et ses interventions sont également pris en compte. Finalement, l’analyse des processus de compréhension mis en place par les sujets participant à notre recherche touche le rapport de l’élève au savoir.

Selon Brousseau (1998, p. 50), la prise en compte des trois composantes de la relation didactique est un avantage indéniable dans une recherche en didactique des mathématiques :

« Une des hypothèses fondamentales de la didactique consiste à affirmer que seule l’étude globale des situations qui président aux manifestations d’un savoir, permet de choisir et d’articuler les connaissances d’origines différentes, nécessaires pour comprendre les activités cognitives du sujet, ainsi que la connaissance qu’il utilise et la façon dont il la modifie. »

La prise en compte de l’enseignement dans l’expérimentation didactique constitue également une des raisons pour laquelle nous avons choisi cette méthodologie aux dépens d’un recours exclusif à l’entrevue clinique pour la partie principale de notre recherche. Alors que cette dernière aurait également aidé à dresser un portrait de la compréhension des participants, l’expérimentation didactique permet en plus de suivre l’évolution de la compréhension au moment même où les connaissances se construisent et d’analyser l’effet de l’enseignement sur la compréhension des participants.

Finalement, cette approche méthodologique s’inscrit tout à fait dans la thématique du doctorat en éducation à l’Université de Sherbrooke, à savoir l’interrelation entre la recherche, la formation et la pratique. Notre thèse doctorale comporte une partie importante d’analyse conceptuelle et de théorisation sur les processus de compréhension des relations d’équivalence et d’égalité. En même temps, le volet de la pratique est touché par le fait que nous avons élaboré une séquence destinée à enseigner les relations d’équivalence et d’égalité. La formation des enseignants est indirectement abordée par notre étude, puisque les résultats pourront avoir des retombées sur la façon de présenter cette matière aux enfants, et par le fait même être intégrés dans la formation en didactique des mathématiques.