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L’EXIGENCE D’UNE RÉSISTANCE ACTIVE

L’injonction faite à la femme qui ne consent pas à la relation sexuelle d’opposer à celui qui semble vouloir lui imposer son désir toute la résistance dont elle est capable découle de l’idée selon laquelle une personne qui se débat ne peut être victime d’un viol, la lutte ne permettant pas à

180 M. BORDEAUX, B. NAZO, S. LORVELLEC, op. cit., p. 89. 181 À ce sujet, cf. V. REY-ROBERT, op. cit., p. 31

l’agresseur d’aller au terme de son dessein criminel. En effet, jusqu’au début du XXe siècle, il était

estimé qu’ « un homme seul ne peut violer une femme qui fait des mouvements énergiques du bassin

pour le repousser. Par conséquent, si l’acte a pu être commis, c’est que la femme ne s’est pas défendue »183. Ainsi, si la femme ne consentait pas à la relation, il lui suffisait de s’y opposer

fermement pour mettre en échec son agresseur. Si elle ne l’a pas fait, c’est qu’elle acceptait la relation. On ne remet donc pas tant en question le viol mais la volonté de la femme qui n’aura pas tout fait pour arrêter son agresseur et de fait, son consentement. Dans les encyclopédies, le viol était décrit au cours des siècles précédents comme le « crime que commet celui qui use de force et de violence sur

la personne d’une fille, femme ou veuve, pour la connaître charnellement, malgré la résistance forte et persévérante que celle-ci fait pour s’en défendre (…) »184. La résistance paraissait donc être

inhérente au crime de viol. Aujourd’hui encore, la tendance est à estimer que la femme qui n’agit pas n’a tout simplement pas envie de la faire.

Dans les faits cependant, la passivité de la femme violée ne fait pas exception. Il advient tout d’abord que la victime ne réagisse pas sous la contrainte exercée par son agresseur185. Certaines

femmes violées, revenant sur leur état psychologique au moment des faits, admettent qu’elles n’ont pas réagi et ce dans le but de se protéger. En effet, un homme capable de violer une femme, de lui infliger des souffrances de sang-froid, sans aucun motif autre que son plaisir personnel ne serait-il pas capable de la rouer de coups et ce jusqu’à la mort pour l’empêcher de crier ou de l’arrêter dans sa frénésie ? Dans l’esprit de la victime, le seul but du silence est que cela s’arrête le plus vite possible mais surtout de demeurer vivante. Elles comptent alors sur « “l’échange honnête” : viol contre vie »186. Parfois, la situation est telle que la contrainte est indéniable. Il peut s’agir d’un agresseur

particulièrement grand et fort qui par son physique imposant impressionnera la victime. Cela peut être le nombre d’auteurs, le contexte : un lieu isolé ou inconnu, la présence d’une arme, l’âge de l’agresseur ou encore son statut vis-à-vis de la victime. Pour beaucoup, la victime se voit retirer son statut pour celui d’une personne ayant eu des rapports consentis dans un contexte défavorable. Par ailleurs,un état de sidération est fréquemment rapporté par les victimes de viol. Elles disent avoir été figurantes dans cette agression, s’être vues de l’extérieur, comme si elles n’étaient pas dans leur corps et n’avoir pu de facto agir.Ce phénomène, réaction du cerveau à un danger particulièrement élevé, se traduit par l’arrêt de toute activité psychique, ne demeurent que les perceptions. Ainsi, la femme

183 P. BROUARDEL, Les attentats aux mœurs : Cours de médecine légale de la Faculté de Médecine de Paris, Paris, J- B Baillière et fils, 1909, p. 96.

184 D. DIDEROT, J. D’ALEMBERT et al., Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Volume XVII, Genève, Chez Pellet, 1765, [en ligne], p. 310a-b, disponible sur : <http://enccre.academie-

sciences.fr/encyclopedie/article/v17-510-1/>.

185 V. LE GOAZIOU, Viol, que fait la justice ?, op. cit., p. 99-100. 186 S. BROWNMILLER, op. cit., p. 435.

qui en est victime ne sera plus en mesure de se poser la moindre question sur les moyens dont elle dispose pour empêcher l’agression, ni de faire le moindre geste -la motricité étant reliée à la fonction cérébrale- pour se défendre187. Il convient de rappeler que cet état n’est pas un choix de la femme qui est victime d’un violeur mais un réflexe psychique qui vise à se protéger du danger que représente le viol. La femme ne dispose donc pas de ses capacités habituelles et ne peut passer outre cet état pour crier, appeler au secours ou se débattre. Mais « la sidération (…) au lieu d’être considérée comme un

élément de gravité et de preuve, est le plus souvent reproché à la victime »188. Nombreux sont ceux

qui ne connaissent ou ne comprennent pas ce mécanisme et se permettent de dire à la victime tout ce qu’elle aurait pu ou du faire pour éviter que le viol n’arrive à son terme. En effet, 41% des français estiment qu’il suffit de frapper assez violemment son agresseur pour éviter le viol. Ainsi la victime s’entendra dire qu’une autre aurait frappé, tenté d’appeler les secours avec son téléphone ou encore hurlé jusqu’à ce que quelqu’un l’entende.

N’avoir délibérément ou totalement involontairement rien fait pour éviter le viol est souvent reproché à la victime. La femme violée, consciente que son inaction n’a pas permis d’empêcher le viol, mais qui ne sait pas si son action aurait seulement pu avoir un quelconque impact sur la suite des événements, ni même jusqu’où auraient pu aller les choses si elle avait agi témoigne souvent un sentiment de culpabilité intense. Car la réaction la plus courante est de se laisser faire, de ne rien dire, de ne rien faire, d’attendre que cela s’arrête, que cela soit fini. Les stéréotypes largement diffusés sur le viol participent de cette responsabilisation de la femme violée qui aurait fait le choix de ne pas se défendre. Il semble primordial que l’intégralité des intervenants dans la chaîne pénale soient informés sur ce phénomène, et de manière plus générale, sur les violences sexuelles. Il convient de prendre en compte cette circonstance pour ne plus faire peser sur la victime la responsabilité de se défendre face à une agression. Qui plus est, cette absence de réaction face au viol a pour effet de déresponsabiliser l’auteur en jetant le doute sur le consentement de la victime.