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UN CHOIX PROCÉDURAL ORIENTÉ

La correctionnalisation est une opération de requalification. L’alinéa 1 de l’article 469206 du

Code de procédure pénale semblait y faire obstacle, le tribunal correctionnel devant inviter le procureur à mieux se pourvoir dans le cas où une affaire lui ayant été déférée semblait relever de la compétence criminelle. Elle a cependant été codifiée par la loi Perben II207 qui introduit un quatrième

alinéa à l’article 469 du Code de procédure pénal208. Ce dernier prévoit des dérogations à l’application du principe et permet la poursuite de crimes sous une qualification délictuelle dans certaines conditions. Le procureur de la République, qui dispose de l’opportunité des poursuites peut décider de renvoyer l’affaire devant le tribunal correctionnel à l’issue de l’enquête. Le juge d’instruction peut décider du renvoi en correctionnel s’il l’estime opportun, à la fin de l’instruction.Dans ce cas, le viol est caractérisé, les éléments constitutifs sont réunis. Néanmoins, le parquet ou le juge d’instruction décide de correctionnaliser le dossier pour de multiples raisons qui ne tiennent en aucun cas à la constitution de l’infraction. Cette pratique, illégale du point de vue des règles de qualification qui commandent de toujours retenir l’infraction la plus grave, constitue une déqualification ou disqualification de l’infraction. En matière de viol, la correctionnalisation est fréquente. Cependant, la requalification en opportunité ne peut être réalisée que si la victime consent à ce que l’affaire soit renvoyée devant le tribunal correctionnel. Mais l’information en la matière est trop souvent biaisée, ne permettant pas à la victime d’opérer un choix libre de toute contrainte.

La correctionnalisation répond la plupart du temps à l’objectif de célérité de la justice - l’audiencement en assises étant considéré comme particulièrement long- mais également à celui du coût de la justice, le procès étant beaucoup plus onéreux que devant un tribunal correctionnel. Avant

205 S. BOUTBOUL, op. cit., s. p.

206 « Si le fait déféré au tribunal correctionnel sous la qualification de délit est de nature à entraîner une peine

criminelle, le tribunal renvoie le ministère public à se pourvoir ainsi qu'il avisera. ».

207 Loi n° 2004-204, 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. 208 Cf. infra, la déconsidération de la victime, p. 72.

de procéder à une requalification arbitraire des faits, le juge d’instruction doit recueillir l’assentiment de la victime. Très souvent, la femme violée est mal informée des conséquences du renvoi devant le tribunal correctionnel. Les magistrats font valoir les vertus du procès délictuel et tentent fréquemment de la décourager de porter l’affaire devant une cour d’assises. En effet, nombreux sont ceux qui considèrent que la rapidité du tribunal correctionnel est un avantage non négligeable pour la femme violée. De plus, l’épreuve que peut constituer un procès d’assises est souvent arguée. Le procès se déroulera en plusieurs jours, tout sera scruté, y compris la victime. Ce discours ayant pour conséquence d’encourager une requalification qui paraît opportune n’en est pas moins réel pour les magistrats qui estiment qu’il est préférable pour la femme violée de ne pas avoir à subir la lourdeur du procès en assises. Enfin, la méfiance envers le jury populaire, constitué de non-professionnels du droit, présent au sein des cours d’assises, motive fréquemment la correctionnalisation puisqu’il ne bénéficie pas toujours de la confiance des magistrats. Ils sont perçus comme pouvant avoir des à priori, des réactions inattendues. La victime sera donc invitée à choisir la voie délictuelle, composée de juges professionnels, considérés comme plus à même d’apprécier les faits.

Selon Isabelle Thery-Gaultier, ex juge d’instruction, « le premier guide est le respect de la

volonté de la victime »209. Pourtant, celle-ci est largement dirigée vers la correctionnalisation. Tous

ces avantages sont mis en avant alors que les conséquences de cette pratique sont occultées. Le choix n’est quasiment jamais libre et éclairé pour la victime qui n’est pas assistée d’un avocat pour la conseiller et ne dispose d’aucune autre information que celles communiquées par la juridiction. De plus, certains juges préviennent la victime en la donnant perdante aux assises, et vont parfois jusqu’à mettre en avant la menace d’un non-lieu si elle refuse la requalification. La femme violée n’a donc pas d’autre choix que d’accepter l’offre d’une éventuelle condamnation, bien que celle-ci soit moindre, au moins existera-t-elle. Elle est « contrainte à une décision qui la satisfait rarement »210.

Les parties peuvent néanmoins contester la qualification devant le tribunal correctionnel. Mais la loi en vigueur ne permet pas de faire valoir l’exception de compétence aisément, nombreuses étant les conditions qui font obstacle à cette requête. En effet, selon l’article 186-3 du Code de procédure pénale, « La personne mise en examen et la partie civile peuvent interjeter appel des ordonnances

prévues par le premier alinéa de l'article 179211 dans le seul cas où elles estiment que les faits renvoyés devant le tribunal correctionnel constituent un crime qui aurait dû faire l'objet d'une

209 S. BOUTBOUL, op. cit., s. p.

210 DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES, op. cit., s. p., audition de Maître Carine Durrieu-Diebolt du 14 décembre 2017.

211 Il s’agit d’une référence aux ordonnances de renvoi d’une affaire devant une juridiction prise par le juge d’instruction.

ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises. » Cependant, l’article 469 alinéa 4 du

Code de procédure pénale énonce que : « lorsqu'il est saisi par le renvoi ordonné par le juge

d'instruction ou la chambre de l'instruction, le tribunal correctionnel ne peut pas faire application, d'office ou à la demande des parties, des dispositions du premier alinéa212, si la victime était

constituée partie civile et était assistée d'un avocat lorsque ce renvoi a été ordonné (…). » En

combinant ces articles, il apparaît que l’incompétence du tribunal correctionnel ne peut être soulevée que lorsque la victime qui ne s’est pas initialement opposée à la requalification, qui n’était pas constituée partie civile, ni assistée d’un avocat lorsque le renvoi a été ordonné, réduisant drastiquement les possibilités de contester la qualification. Or, les règles de compétences, d’ordre public, ne peuvent souffrir d’aucune dérogation, celui-ci supplantant les intérêts particuliers. Pourtant, un accord de volonté semble possible pour y déroger en matière de correctionnalisation. Trois questions prioritaires de constitutionnalité213 ont été adressées à la Cour de cassation concernant l’alinéa 4 de l’article 469 du Code de procédure pénale. Cependant, celle-ci a refusé de les transmettre au Conseil constitutionnel214.

La femme violée est donc orientée vers une procédure simplifiée, celle du tribunal correctionnel, choix difficilement contestable par la suite. Seulement, la correctionnalisation la dirige vers une disqualification du statut de victime, passant de celui de victime de crime à victime de délit. « Elle a l'impression que le crime est sous-estimé, ce qu'elle ressent comme une injustice, alors qu'elle

sait pertinemment qu'elle a été victime d'un viol. »215