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LA BANALISATION DU VIOL CONJUGAL

Le viol conjugal n’a pendant de très nombreuses années pas été reconnu par la justice comme tel. La définition du viol s’est longtemps restreinte à celle du « coït illicite avec une femme qu’on sait

ne point consentir »105, définition adoptée par la doctrine à défaut de définition légale, le Code pénal ne prévoyant pour ce crime que la sanction. Par conséquent, le défaut de consentement ne pouvait être recherché au sein du mariage, ce dernier rendant la relation licite et s’opposant donc à toute intrusion du droit pour qualifier la relation de viol et en condamner l’auteur. Ainsi la justice ferma les yeux sur de nombreux viols.

Il aura fallu attendre 1992 et une décision de la Cour de cassation pour que le viol entre époux soit enfin reconnu par la jurisprudence, la chambre criminelle affirmant que : « la présomption de

consentement des époux aux actes sexuels accomplis dans l'intimité de la vie conjugale ne vaut que jusqu'à preuve contraire »106, 2006 pour que la règle jurisprudentielle soit codifiée107. La

reconnaissance du viol entre époux par la loi et la justice pénale ne font cependant pas obstacle à la propagation de clichés sur la qualification de rapports sexuels forcés par une personne ayant déjà eu des relations sexuelles consenties avec la victime. En effet, selon environ 96% des français, forcer une personne à avoir un rapport sexuel alors qu’elle refuse et ne se laisse pas faire constitue un viol quand seulement 83% estiment que forcer sa conjointe ou sa partenaire à avoir un rapport sexuel alors

105 E. GARCON, Code pénal annoté, nouvelle édition refondue et mise à jour par M. ROUSSELET, M. PATIN et M. ANCEL, tome 2, Paris, Librairie Sirey, 1956 (cité par C. DUVERT, op.cit., p. 1422).

106 Cass., Ch. Crim., 11 juin 1992, pourvoi n°91-86.346, Rec. Une précédente décision avait reconnu le viol entre époux (Cass., Ch. Crim., 5 septembre 1990, pourvoi n°90-83.786, Rec.) mais la portée de cet arrêt ayant été contestée eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, une confirmation était attendue.

107 Loi n° 2006-399, 4 avril 2006, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs : article 11 : I. - Après le premier alinéa de l'article 222-22 du Code pénal, il est inséré un

alinéa ainsi rédigé : « Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu'ils ont été imposés à la victime

dans les circonstances prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l'agresseur et sa victime, y compris s'ils sont unis par les liens du mariage. Dans ce cas, la présomption de consentement des époux à l'acte sexuel ne vaut que jusqu'à preuve du contraire. ».

qu’elle refuse et ne se laisse pas faire est un viol108. Il existe donc un décalage entre ce que la loi

pénale réprime et ce que la population pense devoir faire l’objet d’une répression. Alors que les termes employés sont exactement les mêmes, la seule différence de formulation demeurant dans la personne auteur des faits, inconnue dans le premier cas, ayant un lien affectif fort avec la victime dans le second, le pourcentage de personnes considérant que les faits sont constitutifs d’un viol diminue de 13%. Ces chiffres démontrent le poids du devoir conjugal, encore bien présent dans notre société mais également l’ignorance de ce que contient réellement le texte d’incrimination du viol tel que défini par le Code pénal. Il peut s’agir de minimiser des faits commis par le conjoint, le partenaire ou le concubin de la victime, décréditant les faits de viol qui se transformeront en « amour résigné », caractérisé par un abandon de la victime devant la particulière ténacité « pour faire l’amour » du partenaire, les deux personnes concernées ayant par ailleurs des relations consenties. La minimisation du viol entre époux est une réalité, encore aujourd’hui, et peut non seulement empêcher une femme victime d’agir mais également la placer dans une situation critique, se voyant acculée de toutes parts par les défenseurs du « vrai viol », qui considèrent qu’il n’est tout de même pas si grave de se voir « un peu forcée » par son partenaire de vie, « même si on n’en a pas vraiment envie. »

Par ailleurs, cette banalisation du viol entre époux passe par la correctionnalisation de nombreux dossiers109. L’argument principal de cette requalification en agression sexuelle la plupart du temps, résidant dans l’absence de connaissance des jurés de la problématique du viol conjugal par un conjoint pervers110.

Enfin, cette confusion peut atteindre dans certains cas la femme violée, femme qui ne prendra pas conscience de la gravité de ce qu’elle a vécu, estimant que les rapports forcés sont inhérents à la communauté de vie. Elle le sera d’autant plus si le viol s’inscrit dans une violence habituelle. La femme qui décidera de poursuivre des démarches judiciaires devra affronter la disqualification des faits, nombreux seront ceux qui ne croiront pas qu’elle a été victime d’un viol, tel que perçu collectivement. La victime pourra également décider de ne pas porter plainte, ou vivre son action comme un enfer, sa parole étant décrédibilisée par l’acception commune de la définition du viol, créant un phénomène de relativisation de la portée de l’agression subie ainsi que de l’atteinte qui en est résultée.

108 E. MERCIER et A. BAREA, op. cit., s. p. 109 Cf. infra, la « disqualification » du viol, p. 69.

110 I. THERY-GAULTIER, présidente du tribunal correctionnel de Melun, ex-juge d’instruction (citée par S. BOUTBOUL, « Quand le viol n’est plus un crime », Le monde diplomatique, [en ligne], Novembre 2017, disponible sur : <https://www.monde-diplomatique.fr/2017/11/BOUTBOUL/58085>).