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L’ ESSOR DES COOPÉRATIVES (1840-1860)

LA CONQUÊTE DES CLIENTS : DES BOUTIQUES AUX CHAÎNES

1. L’ ESSOR DES COOPÉRATIVES (1840-1860)

1.1. Les premières coopératives

Le commerce de détail, on l’a vu, n’est pas qu’une affaire de spécialistes de la vente : les paysans et les artisans se sont longtemps occupés d’écouler leurs marchandises auprès des clients. À partir du tournant des années 1830 et 1840, un troisième acteur intervient sur la scène marchande helvétique, après les producteurs et les détaillants indépendants : les consommateurs.

Ces derniers décident de contrôler leur approvisionnement en créant eux-mêmes des boutiques. Toutefois, leur démarche diffère de celle des détaillants indépendants : au lieu de se lancer dans la vente à titre individuel, ils établissent des coopératives, appelées aussi sociétés de consommation. Ils rassemblent des fonds pour acheter des marchandises, puis organisent la distribution. Les articles sont généralement vendus au prix du marché aux membres des coopératives. Ceux-ci reçoivent ensuite une partie du bénéfice : le montant de la ristourne est proportionnel au volume de leurs achats289. La clientèle de ces commerces provient de différents milieux. Des coopératives recrutent leurs membres dans des cercles restreints : Bernard Degen mentionne par exemple « celle des ouvriers de Bremgarten, celle des employés français de la gare de Vallorbe, celle des ouvriers italiens de Rorschach ou celle du groupe socialiste Vorwärts de Berne »290. Si certaines coopératives sont liées au mouvement ouvrier, la majorité s’en distancie291. Il en est ainsi des sociétés qui s’ouvrent à toutes les classes de la population, comme l’Allgemeine Consumverein de Bâle292 – le terme Consumverein, également orthographié Konsumverein, signifie « association de consommation ». Même le Konsumverein de Zurich, proche des milieux ouvriers293, compte parmi ses

289 TRENTMANN, Empire of Things, op. cit., 2016, pp. 205 -206. DEGEN Bernard, « Coopératives de

consommation », in: DHS, 27.04.2007. En ligne: <http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F16414.php>, consulté le 20.11.2014.

290 DEGEN, « Coopératives de consommation », art. cit., 2007.

291 DEGEN, « Consumerism in Capitalism », art. cit., 2005, pp. 247 -248. 292 BOSON, Coop en Suisse, op. cit., 1965, p. 137.

293 Cette entreprise est établie en 1851 par huit membres de la Société suisse du Grutli, une association

patriotique qui réunit principalement des artisans et des ouvriers. On trouve parmi les fondateurs deux représentants du mouvement ouvrier suisse : Johann Jakob Treichler et Karl Bürkli. Cf. MÜLLER Felix, « Grutli (société) », in: DHS, 11.03.2008. En ligne: <http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F17397.php>, consulté le 19.05.2014. BOSON, Coop en Suisse, op. cit., 1965, p. 96.

clients de nombreux paysans, ainsi que des médecins, des enseignants, des musiciens, des prêtres et des propriétaires294.

La naissance des coopératives de consommation s’inscrit dans le cadre plus général du mouvement coopératif, qui prône l’aide mutuelle et la création d’entreprises associatives. Celles-ci voient le jour non seulement dans le commerce de détail, mais aussi dans d’autres secteurs économiques : il existe des coopératives de production, des coopératives agricoles, d’habitation, d’épargne et de crédit295.

En ce qui concerne la chronologie, les coopératives de consommation sont précoces en Angleterre, où des friendly societes achètent de la nourriture pour leurs membres durant les années 1760 déjà. On peut citer les Union shops du médecin William King à Brighton, dès 1828. Mais c’est surtout à partir de l’ouverture du magasin des Équitables pionniers de Rochdale, en 1844, que le phénomène s’amplifie, dans le pays et au- delà296. Les « pionniers » du Lancashire deviennent rapidement une figure du mouvement – vigoureux également en France et en Allemagne notamment297 – à l’échelle internationale.

En Suisse, la Boulangerie par actions de Schwanden, fondée en 1839 dans le canton de Glaris, est considérée comme la première coopérative de consommation. Elle vise à lutter contre les prix élevés pratiqués par les boulangers privés. Au cours des années suivantes, des sociétés semblables se répandent dans la région, ainsi que dans les cantons de Saint-Gall, Schwytz, Bâle, Berne, Vaud et Genève298. Des coopératives proposent aussi d’autres denrées que le pain, mais elles se limitent à l’alimentation. Leur offre reflète les besoins de base des clients de la première moitié du XIXe siècle,

dont une grande partie du budget est consacrée à la nourriture299.

Au début des années 1850, les coopératives se multiplient. Le phénomène est particulièrement important dans le canton de Zurich : en novembre 1853, le Neues

294 DEGEN, « Consumerism in Capitalism », art. cit., 2005, p. 247.

295 BRASSEL-MOSER Ruedi, « Mouvement coopératif », in: DHS, 28.01.2010. En ligne: <http://www.hls-

dhs-dss.ch/textes/f/F16412.php>, consulté le 15.05.2014.

296 TRENTMANN, Empire of Things, op. cit., 2016, p. 206. BOSON, Coop en Suisse, op. cit., 1965, p. 60. 297 FURLOUGH, Consumer Cooperation in France, op. cit., 1991. SPIEKERMANN, Basis der

Konsumgesellschaft, op. cit., 1999, p. 241 sq.

298 BOSON, Coop en Suisse, op. cit., 1965, p. 80 sq. DEGEN, « Coopératives de consommation », art. cit.,

2007.

Schweizerisches Volksblatt en recense quarante. Mais ces entreprises sont pour la plupart éphémères : vingt-cinq disparaissent après moins d’un an d’activité, et dix ne survivent que quelques années. Le Konsumverein de Zurich, fondé en 1851, est l’un des rares rescapés de la période300.

Durant la décennie suivante, le mouvement continue de se diffuser en Suisse alémanique et en Suisse romande. En 1863, la Société de consommation de Schwanden est la première entreprise helvétique qui s’inspire directement des principes établis à Rochdale, à savoir : l’adhésion ouverte à tous, la neutralité politique et confessionnelle, la gestion démocratique, le paiement au comptant et la distribution d’une ristourne301. En Suisse italienne, les coopératives apparaissent plus tardivement que dans le reste du pays, avec l’ouverture en 1867 de la Cooperativa di consumo de Bellinzone302.

1.2. Un projet avorté d’association de coopératives : l’assemblée

de Zurich (1853)

Parmi les coopératives du milieu du XIXe siècle, le Konsumverein est particulièrement

dynamique. En 1852, après une année d’existence, il approvisionne déjà plusieurs petites sociétés de consommation indépendantes des environs de Zurich303. Il se fait rapidement un nom : ses activités, évoquées dans de nombreux journaux, sont connues loin à la ronde304.

Les dirigeants du Konsumverein profitent de cette notoriété pour mettre en œuvre un projet inédit : ils désirent former une union pour défendre les intérêts des coopératives au niveau national305. En novembre 1853, le comité du Konsumverein publie dans plusieurs journaux un appel « Aux sociétés suisses de consommation » : celles-ci sont invitées à envoyer des délégués à une assemblée prévue le 4 décembre à Zurich306. Trente-six coopératives, toutes alémaniques, répondent favorablement. Vingt-six sont

300 Ibid., p. 110.

301 DEGEN, « Coopératives de consommation », art. cit., 2007. 302 Ibid.

303 HANDSCHIN, L’union suisse des coopératives, op. cit., 1955, pp. 15 -16. 304 Ibid., p. 14.

305 BOSON, Coop en Suisse, op. cit., 1965, p. 102.

zurichoises, les autres sont établies dans les cantons d’Argovie, de Bâle-Ville, de Berne, de Lucerne et de Saint-Gall307.

Les résultats des discussions ne sont pas concluants. Les participants renoncent à former une union, mais chargent le Konsumverein de Zurich de constituer un comité central. Le rôle de cet organisme est « de faire des achats en gros au moment favorable pour approvisionner l’ensemble du mouvement, de conseiller les nouvelles sociétés en formation, bref, de coordonner une action commune »308. Cette mission n’a toutefois jamais été remplie : le comité ne s’est réuni qu’une seule fois, sans entreprendre d’action concrète.

Comment expliquer cet échec ? Les documents de l’époque n’apportent guère de réponse. L’historien Hans Handschin émet l’hypothèse suivante : les dirigeants du Konsumverein n’auraient pas le temps de mener à bien les tâches qui incombent au nouveau comité. Karl Bürkli et Johann Jakob Treichler seraient trop absorbés par leurs activités politiques et professionnelles respectives309.

Une seconde explication, moins circonstancielle, peut être avancée. Elle prend en compte non seulement les entrepreneurs (leur situation, leurs compétences, leurs stratégies), mais aussi les éléments matériels et les réseaux qu’ils mobilisent. En d’autres termes – ceux de Michel Callon et de la « nouvelle nouvelle sociologie économique »310 –, il s’agit d’envisager les « agencements sociotechniques »311 des marchés.

Cette approche est tout indiquée dans le cas de Bürkli et Treichler. De fait, leur projet repose en grande partie sur les infrastructures et services de transport et de communication : le comité central est censé acheminer les marchandises, commandées à distance par les coopératives, jusqu’aux lieux de vente. Ces échanges de biens et d’informations s’effectuent dans des délais raisonnables au sein d’une ville et de ses environs, ce qui permet au Konsumverein de ravitailler ses affiliés zurichois. Mais

307 BOSON, Coop en Suisse, op. cit., 1965, pp. 102 -103. 308 Ibid., p. 103.

309 HANDSCHIN, L’union suisse des coopératives, op. cit., 1955, pp. 21 -22. 310 Cf. supra, p. 59.

311 ÇALIŞKAN et CALLON, « Economization, part 2 », art. cit., 2010, p. 9, traduction de l’auteur. Cf.

également CALLON Michel, « Qu’est-ce qu’un agencement marchand ? », in: CALLON Michel, AKRICH

Madeleine, DUBUISSON-QUELLIER Sophie et al. (éds), Sociologie des agencements marchands. Textes choisis, Paris, Presses des mines, 2013 (Sciences sociales), pp. 325 -440.

passer à l’échelle supérieure, en mettant en lien des coopératives dans plusieurs régions du pays, tient encore de la gageure.

D’une part, en effet, les transports demeurent lents malgré les progrès accomplis durant les décennies antérieures. Sur les routes, rendues plus sûres et plus rapides grâce à la généralisation des chaussées durant la première moitié du XIXe siècle, les véhicules à

traction animale ne dépassent pas les 9 km/h312. Sur l’eau, la navigation à vapeur atteint les 20 km/h depuis les années 1820, mais les voies navigables sont peu nombreuses en Suisse : elles se limitent pour l’essentiel aux lacs313. Quant aux chemins de fer, ils sont très peu développés. Le premier tronçon du pays a été ouvert en 1844, soit moins de dix ans avant la tentative du Konsumverein, entre Bâle et sa voisine française Saint-Louis. Long de 1 900 mètres seulement, il relie la ville au réseau international314.

D’autre part, les communications reposent majoritairement sur les différentes administrations postales qui se partagent le territoire helvétique. Or cette structure fédéraliste, adaptée au courrier régional – la livraison est garantie en vingt-quatre heures dans le canton de Lucerne par exemple –, pose problème sur les distances plus importantes. Ainsi, une lettre expédiée à Genève à destination de Romanshorn passe par six zones autonomes qui perçoivent toutes des taxes315. Un tel système ralentit la transmission et renchérit le service : il arrive que le coût des envois à l’intérieur du pays soit plus élevé que le tarif pour l’étranger316.

Comment, dans ces conditions, coordonner efficacement plusieurs sociétés éloignées les unes des autres ? Ce contexte défavorable commence à changer vers 1850, avec la réorganisation des services postaux et l’invention des télécommunications. En accélérant les flux d’informations, ces innovations simplifient la conduite des affaires. Combinées à l’amélioration des transports, elles favorisent l’évolution du commerce de

312 FRITZSCHE et al., Historischer Strukturatlas der Schweiz, op. cit., 2001, p. 55. SCHIEDT Hans-Ulrich,

« Chausseen und Kunststrassen: der Bau der Hauptstrassen zwischen 1740 und 1910 », Revue suisse

d’histoire 56 (1), 2006, pp. 15 -16.

313 FRITZSCHE et al., Historischer Strukturatlas der Schweiz, op. cit., 2001, pp. 52 -53.

314 BAIROCH Paul, « Les chemins de fer suisses dans le contexte européen », in: DURAND Roger (éd.),

Guillaume-Henri Dufour dans son temps (1787-1875), Genève, Société d’histoire et d’archéologie, 1991,

p. 218. BALTHASAR Andreas, Zug um Zug. Eine Technikgeschichte der Schweizer Eisenbahn aus sozialhistorischer Sicht, Basel & Boston & Berlin, Birkhäuser, 1993, p. 21.

315 FREY Thomas, « Les cent premières années de la Poste suisse, 1849-1950 », in: KRONIG Karl (éd.),

L’épopée de la Poste. 150 ans de la Poste suisse, Berne, Musée de la communication, 1999, pp. 23 -24, 37.

316 BONJOUR Ernest, Histoire des postes suisses. 1849-1949. Les postes fédérales, vol. 1, Berne,

détail : comme l’a montré Chandler pour les États-Unis317, des entreprises utilisent ces nouveaux réseaux pour s’agrandir, ou pour mener des opérations en commun avec d’autres sociétés.

2. L

A MISE EN RÉSEAU DE LA SUISSE

2.1. La modernisation des transports

La modernisation des transports à partir du milieu du XIXe siècle est en bonne partie liée

aux chemins de fer. Leur développement, tardif mais rapide, permet d’augmenter significativement la vitesse de déplacement des marchandises comme des personnes318.

2.1.1. La construction du réseau ferroviaire

En 1850, suite à l’ouverture trois ans plus tôt de la ligne Zurich-Baden, les 27 kilomètres de voies ferrées suisses font pâle figure en comparaison internationale. Au même moment, l’Italie en compte 400, l’Autriche-Hongrie 1 500, la France 3 100, l’Allemagne 6 000. Au Royaume-Uni, qui abrite le réseau le plus étendu d’Europe, le chiffre atteint 10 700 ; il est de 14 500 aux États-Unis319.

Selon Paul Bairoch, le décalage helvétique s’explique par quatre facteurs320. Le premier est d’ordre géographique : le relief impose des contraintes difficiles à dépasser pour les ingénieurs de l’époque. Le second est démographique : dans un pays exempt de grandes villes de plus de 100 000 habitants, l’impact du nouveau mode de transport est limité. En raison de la dispersion de la population, l’ouverture d’une ligne ne profite qu’à un nombre réduit d’usagers ; cette caractéristique pèse également sur la rentabilité d’une telle entreprise321. Le troisième, énergétique, est lié à la rareté du charbon en Suisse, facteur qui joue « à la fois dans l’alimentation des locomotives et dans l’absence de besoins de transport de ce combustible en vue du ravitaillement des villes »322. Le

317 CHANDLER, La main visible, op. cit., 1988, p. 233 sq. 318 BALTHASAR, Zug um Zug, op. cit., 1993, p. 44.

319 BAIROCH Paul, « Les spécificités des chemins de fer suisses des origines à nos jours », Revue suisse

d’histoire 39 (1), 1989, p. 39.

320 Ibid., pp. 36 -38.

321 TISSOT Laurent, « Les chemins de fer en Suisse au XIXe siècle : état des lieux », Revue d’histoire des

chemins de fer (42 -43), 2012, p. 70.

quatrième est politique : dans le système institutionnel décentralisé de la première moitié du XIXe siècle, les cantons souverains peinent à trouver des solutions valables à

l’échelle nationale.

Ces différents obstacles commencent à tomber aux alentours du milieu du siècle. La barrière politique, en particulier, est ébranlée par l’avènement de l’État fédéral en 1848. Si les cantons conservent d’importantes prérogatives, les nouvelles autorités prennent des dispositions visant à désenclaver le territoire : elles choisissent une monnaie unique (le franc), établissent un système commun de poids et mesures, suppriment les douanes intérieures, créent une administration postale centralisée et se penchent sur le problème du sous-développement du rail323.

Certes, sur ce dernier point, l’interventionnisme fédéral est d’abord limité. Le secteur privé est chargé de concevoir et d’exploiter les futures lignes, sous le contrôle des cantons324. Le jeune État central n’en a pas moins un rôle décisif dans le « démarrage ferroviaire suisse », comme le souligne Laurent Tissot :

« L’équilibre du pouvoir, même s’il reste très incertain entre les parties prenantes du milieu du XIXe siècle (…), est tel qu’il autorise, sous le nouveau régime constitutionnel, des concessions mutuelles dont le chemin de fer, quoique tardivement, est un des grands bénéficiaires. »325

La situation politique, plus stable, rassure également les investisseurs326. L’argent afflue pour financer les compagnies ferroviaires qui voient le jour au début de la décennie 1850. Leurs choix en matière de tracés sont un enjeu majeur pour les milieux économiques et les autorités locales, qui font pression pour que leurs régions respectives soient desservies.

C’est dans ce climat de concurrence territoriale que, dès 1854, des lignes sont ouvertes entre les principaux centres urbains et industriels327. L’expansion est rapide : en 1860, la Suisse a déjà rattrapé son retard. Ses 1 100 kilomètres de voies, rapportés à sa superficie

323 BERGIER Jean-François, Histoire économique de la Suisse, Lausanne, Payot, 1984, p. 210.

324 PAQUIER Serge, « Options privée et publique dans le domaine des chemins de fer suisses des années

1850 à l’entre-deux-guerres », Revue suisse d’histoire 56 (1), 2006, pp. 22 -24.

325 TISSOT, « Les chemins de fer en Suisse », art. cit., 2012, p. 74.

326 HUMAIR Cédric, « Industrialisation, chemin de fer et État central. Retard et démarrage du réseau

ferroviaire helvétique (1836-1852) », Traverse. Revue d’histoire 15 (1), 2008, p. 25.

et à sa population, la placent au troisième rang du continent, derrière la Belgique et le Royaume-Uni328.

À partir des années 1870, le réseau s’étend sous la supervision croissante de la Confédération. Les ramifications se multiplient pour toucher les petites localités. Le tunnel du Gothard, mis en service en 1882, permet d’atteindre le Tessin. Au sein des villes, le tramway connaît un essor rapide après 1890. C’est ainsi qu’à l’aube du

XXe siècle, au moment de la nationalisation partielle du secteur, 4 000 kilomètres de

chemins de fer couvrent l’essentiel du pays (Figure 1)329. Il reste à déterminer comment ces infrastructures, au fur et à mesure de leur déploiement, peuvent être mises à profit par les commerçants.

Figure 1. L’extension du réseau ferroviaire suisse (1860-1914)

Source. WALTER François, Histoire de la Suisse, tome 4. La création de la Suisse moderne (1830-

1930), Neuchâtel, Alphil-Presses universitaires suisses, 2010, p. 89.

328 BAIROCH, « Les spécificités des chemins de fer suisses », art. cit., 1989, pp. 38 -39, 41. 329 Ibid., pp. 39, 41. BALTHASAR, Zug um Zug, op. cit., 1993, pp. 42, 53. FRITZSCHE et al., Historischer

Strukturatlas der Schweiz, op. cit., 2001, p. 67. RESEARCH CENTER FOR SOCIAL AND ECONOMIC HISTORY,

« N.4. Voies normales, voies étroites, voies à crémaillère, funiculaires et tramways : nombre d’entreprises de chemins de fer, longueurs réelles des lignes et sections électrifiées, de 1844 à 1945 », in: Historical

Statistics of Switzerland Online, 2008. En ligne: <http://www.fsw.uzh.ch/histstat/main.php>, consulté le

15.12.2016. WALTER François, Histoire de la Suisse, tome 4. La création de la Suisse moderne (1830- 1930), Neuchâtel, Alphil-Presses universitaires suisses, 2010, pp. 85 -86.

2.1.2. L’usage des chemins de fer

Tous les détaillants ne voient pas d’un bon œil l’arrivée des chemins de fer, loin de là. Nombreux sont ceux qui, au même titre que les producteurs qui visent un marché de proximité, craignent l’irruption sur leur territoire d’entreprises auparavant trop éloignées pour les menacer330. Car le nouveau mode de transport améliore considérablement la circulation des biens grâce à sa rapidité et à sa capacité de chargement sans précédent, ainsi qu’à des tarifs abordables331. Au fil de son développement, il démultiplie les chances de succès de projets analogues à celui du Konsumverein, qui étaient encore voués à l’échec vers 1850 : approvisionner des points de vente sur de vastes espaces devient plus facile.

Malheureusement, le degré d’utilisation du train par ces commerçants désireux de s’étendre n’est guère mesurable. Les données, parcellaires avant 1913332, ne permettent pas de reconstituer précisément l’évolution du trafic de marchandises, encore moins d’isoler la part de la distribution de celle d’autres secteurs économiques. On sait cependant que les tonnages augmentent au cours du temps, malgré des reculs ponctuels comme celui provoqué par la grande dépression de 1875 (Graphique 1).

Certes, ces estimations semblent basses, en regard de celles qui portent sur les autres pays industrialisés. En 1875, par exemple, la densité du trafic en Suisse représente moins de 25 000 tonnes-kilomètres, contre respectivement 265 000 et 420 000 en Allemagne et en France333. Il ne faut pourtant pas en déduire une sous-exploitation du réseau helvétique. La faiblesse des volumes est due à la prédominance des industries légères : les montres et le textile « pèsent » peu, dans les wagons comme dans les statistiques334.

330 HUMAIR, « Industrialisation, chemin de fer et État central », art. cit., 2008, p. 19.

331 BALTHASAR, Zug um Zug, op. cit., 1993, pp. 25, 44. DUC Gérard, Les tarifs marchandises des chemins

de fer suisses (1850-1913). Stratégies des compagnies ferroviaires, nécessités de l’économie nationale et évolution du rôle régulateur de l’État, Bern, Peter Lang, 2010, p. 28.

332 BAIROCH, « Les spécificités des chemins de fer suisses », art. cit., 1989, p. 48. 333 DUC, Les tarifs marchandises, op. cit., 2010, pp. 187 -188.

Graphique 1. Le trafic de marchandises des chemins de fer (1868-1910)

Source. RESEARCH CENTER FOR SOCIAL AND ECONOMIC HISTORY, « N.7. Tous les chemins de fer (1868-

1947) », in : Historical Statistics of Switzerland Online, 2008. En ligne :

<http://www.fsw.uzh.ch/histstat/main.php>, consulté le 15.02.2016.

Les chemins de fer n’affectent pas seulement le commerce de détail en matière de fret.

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