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L’esprit du projet Costa : l’utopie d’une ville des services

Dans le document Brasilia, quarante ans après (Page 41-44)

3. Une réalisation idéologique

3.3. Un grand concours d’idées

3.3.3. L’esprit du projet Costa : l’utopie d’une ville des services

L’urbanisme du « Plan Pilote »6, la partie de la ville de Brasília planifiée lors du

concours est, comme on l’a souvent dit, chargé de symboles. Il représente la vision d’un groupe restreint d’individus, au premier rang desquels le président, J. Kubitschek, sur ce que doit être une ville.

Ainsi, le président identifie la modernité au programme développementaliste, c'est-à- dire à la diffusion rationnelle et généralisée de l'industrialisation et de l'urbanisation sur l'ensemble du territoire. L'avenir du Brésil est celui d'un pays capitaliste organisé autour d'un mode de vie urbain et industriel. Il choisit alors comme symbole de sa politique gouvernementale la construction de Brasília. Bien plus qu’une simple nouvelle capitale, Brasília se voit d’emblée instituée comme un instrument de transformation sociale. Nous avons donc affaire au projet d’une ville nouvelle pensée non pas en fonction de la situation du pays au milieu des années 1950, mais bien plutôt d’un avenir que l’on estime radieux - celui d’un pays industriel, moderne… N’oublions pas qu’au même moment, sur la côte nord-est des Etats-Unis, Mégalopolis s’impose comme la forme caractéristique des sociétés industrielles avancées, sociétés complexes dans lesquelles prédomine le secteur tertiaire. Mégalopolis n’est pas à proprement parler une ville ou une agglomération, mais plutôt une « région urbanisée où

toute l’utilisation du sol aussi bien que les occupations de la main d’œuvre sont dérivées du fait urbain » (GOTTMAN – 1957). Brasília se veut aussi une ville nouvelle de l’ère du tertiaire, puisqu’elle doit abriter les services nobles de l’administration d’Etat. Ville des services, elle s’offre donc comme un complément naturel de Mégalopolis, démontrant que le Brésil peut aussi apporter sa contribution à la modernité. Le défi est alors de donner forme à

cette ville des services. Ce défi est d’autant plus utopique que la société brésilienne est loin d’être une société industrielle avancée. Le secteur tertiaire n’est pas encore aussi affirmé qu’aux Etats-Unis ou en Europe. Aussi, plutôt que d’attendre que la société évolue par elle- même, est-il préférable de la forcer à se transformer par l’invention de formes nouvelles, adaptées à ce nouveau temps urbain qu’appelle Kubitschek de ses vœux.

L’organisation de l’espace proposée par le projet Costa est tout à fait caractéristique de cette vision : « une ville modèle, belle et monumentale, d’un urbanisme et d’une architecture novateurs, remplie de verdure, et organisée selon des conceptions nouvelles de manière à proposer et garantir une meilleure qualité du milieu urbain, sans pollution ni stress, où travailler et habiter seraient des occupations compatibles » (Madaleno, 1996, citant J. Kubitschek).

Le plan de la ville (Figure n°7) détermine de manière rigide des zones fonctionnelles dans lesquelles ne se mélangent pas travail et habitation. Les aires résidentielles Nord et Sud

Carte 6 : La répartition des activités dans le plan de Brasília.

unique, et pourvues de différentes infrastructures (éducation, santé, loisir, religion et petit commerce). Les entreprises, elles, sont localisées le long des axes Est-Ouest, leur éloignement d’avec les zones d’habitation ne devant pas dépasser 5 miles. On y accède par le biais de voies rapides, les axes L2 (Est), W3 (Ouest) et l’axe central autoroutier. La séparation de l’espace dévolu à la circulation automobile et de celui des piétons fut un autre élément essentiel de l’urbanisme développé à Brasília. Les organes du gouvernement sont disposés le long du « bec d’avion », alors que les activités commerciales, les hôtels, les banques et diverses autres installations (armée, communications, parc) sont localisés dans le « corps de l’avion ».

Pour Lucio Costa (1973:12-13), le point de départ du plan de la ville, comme en témoignent ses croquis (figure n°5) est le croisement des axes sur des niveaux différents : « Le centre administratif ne pouvait être absorbé par la ville, de ce fait, la composition urbanistique fut poussée à l’extrême; la localisation de la Place des Trois Pouvoirs à l’extrémité permettait qu’elle demeure toujours une place, où les Trois Pouvoirs de la démocratie sont offerts au peuple, comme la paume ouverte d’une main dont le bras serait l’Esplanade des Ministères. […] Une autre caractéristique est la convergence des routes dans le centre, au cœur de la ville, de telle manière que les voyageurs n’aient pas besoin de se déplacer de la périphérie vers le système routier du centre. […] La troisième caractéristique fut l’innovation représentée par les quadras, définies comme aires de voisinage, dans lesquelles les habitants doivent être en parfaite sécurité et se sentir déconnectés de la zone urbaine. Pour ce faire, les quadras seront densément arborées, de manière à leur donner un aspect complètement différent de la ville. […] La ville fut conçue pour exprimer l’entrée du Brésil dans une nouvelle phase de son histoire, celle d’un Brésil entièrement tourné vers le futur ».

Niemeyer, bien des années plus tard (1988: 261-262) faisait de cette conception la clé de ce qu’il voyait comme la principale réussite de la ville : « l’architecture de Brasília est un succès car les habitants aiment leur ville, surtout parce qu’ils peuvent voir leurs enfants se déplacer en sécurité, jouer dans des jardins, parce qu’ils peuvent se déplacer facilement en voiture. Elle fut planifiée pour toutes les classes sociales, les logements des classes populaires se trouvant aux mêmes endroits que ceux des autres classes.

Brasília aurait dû en effet être, pour ses concepteurs, la concrétisation d’une utopie : une ville symbole de modernisme, égalitaire, où se réaliserait l’égalité des chances, où chaque citoyen pourrait occuper un espace similaire à celui d’un autre, dans le même immeuble et dans une quadra semblable (Madaleno, 1996). Ainsi, Niemeyer affirmait-il : « La ville est fait pour l’homme. […] J’ai traité la ville comme la liberté des formes, comme la Place des Trois Pouvoirs, respectant cependant l’unité de l’ensemble, avec les mêmes formes, les mêmes dimensions, les mêmes couleurs ».

Dans le document Brasilia, quarante ans après (Page 41-44)