• Aucun résultat trouvé

L’enquête SUMER vécue par des médecins collaborateurs : des avantages

Partie 2 : Des collaborations essentielles mais parfois empêchées : le rôle des équipes

2) L’enquête SUMER vécue par des médecins collaborateurs : des avantages

Depuis 2009, le contexte des services interentreprises a évolué. L’équipe de SUMER a souhaité adapter le protocole de l’enquête à ces évolutions, notamment dans l’objectif de prendre en compte l’importance croissante des infirmières dans l’activité des services. L’arrivée des médecins collaborateurs est aussi une nouveauté qui affecte concrètement différemment les services en fonction de leur démographie : si certains services en ont recruté beaucoup depuis 2011, d’autres, situés dans des zones plus urbaines ou attractives, ont pratiquement réussi à s’en passer tout en conservant une activité jugée satisfaisante.

Le statut de collaborateur médecin est créé par le décret du 30 janvier 2012 (article R 4623-25 du code du travail). C’est un statut qui s’incarne uniquement dans une relation

contractuelle entre un médecin qui souhaite se reconvertir en médecine du travail et un service de santé au travail qui souhaite le recruter. Le médecin s’engage à suivre une formation universitaire de quatre ans dans le but d’être qualifié en médecine du travail. Si la formation universitaire est largement théorique, les médecins collaborateurs insistent sur la grande valeur du principe de tutorat sur lequel repose aussi leur formation : c’est avant tout auprès de leur tutrice ou tuteur qu’ils apprennent réellement leur métier.

Lors d’un entretien téléphonique, une praticienne au statut de collaboratrice m’explique qu’elle se rend en cours tous les quinze jours mais qu’elle n’apprécie pas cet aspect de sa formation. Pour elle, non seulement les cours sont très théoriques mais ils sont aussi désuets, déconnectés des problématiques actuelles : elle dit qu’ils parlent davantage de plomb et de mercure que de nanoparticules et de risques psychosociaux. Ce médecin me parlera ensuite de SUMER comme d’une expérience mitigée. Elle se heurte à beaucoup de refus et elle trouve le questionnaire trop long et difficile à insérer dans son quotidien professionnel :

Cette enquête, c’est un surcroit de travail et ça n’enclenche pas de réflexion en plus. Sauf pour avoir des données… mais pour nos entreprises ça n’a pas d’impact. C’est très lourd et ça se rajoute au reste16.

Une praticienne rencontrée émet le même type de jugement sur l’enseignement universitaire en médecine du travail qu’elle reçoit au titre de son statut de collaboratrice, mais une toute autre perception de sa participation à l’enquête SUMER. Dans ce contexte où la formation universitaire est vécue comme un passage obligé fastidieux, l’enquête se présente comme une expérience pédagogique très positive : il s’agit vraiment d’apprendre son métier sur le tas, en prenant pour appui un questionnaire perçu comme étant très exhaustif, élaboré par des spécialistes.

Moi je trouve qu’en terme de méthodologie, pour quelqu’un qui arrive… On voit dans le questionnaire la manière dont on devrait faire à chaque fois finalement, hein, en fonction des risques. Donc je trouve que ça a le mérite d’appuyer ce qu’on ne nous apprend pas à la faculté, pendant les quatre ans d’étude. On ne nous apprend pas comment on interroge une personne. Ca, on l’apprend sur le terrain, en allant vers nos collègues, avec nos prédécesseurs.

Le guide est tout à fait bien fait, surtout au niveau risques chimiques, moi c’était quasiment mon livre de chevet

(elle rit), je pense qu’il y a eu un groupe de travail très efficace. Ca apprend aussi à être un peu synthétique et

rapide : la durée d’exposition, les protections collectives… d’acquérir certains automatismes qui ne sont pas forcément… qui s’apprennent. Moi c’est très positif pour moi, pour nous, parce qu’aussi on a… je trouve très important qu’on prenne un peu de hauteur sur notre exercice, ça nous a permis de nous poser certaines questions.

D’après des discussions informelles avec d’autres praticiens, collaborateurs ou non, il ressort que ce positionnement est partagé par d’autres médecins nouvellement arrivés en médecine du travail, qu’ils soient jeunes médecins du travail ou jeunes reconvertis. L’aspect pédagogique

du questionnaire est également abordé par certains médecins plus anciens comme quelque chose dont ils ont bénéficié lors de précédentes campagnes.

Dans le cadre de l’enquête SUMER, l’implication des médecins collaborateurs prend deux visages différents : d’une part, les médecins collaborateurs qui fonctionnent encore sur l’effectif de leur médecin tuteur participent au titre de membres de l’équipe. Les questionnaires remplis le sont alors au nom du médecin tuteur. D’autre part, certains médecins collaborateurs en fin de formation ont déjà un effectif à part entière. Dans ce cas, ils s’impliquent dans l’enquête SUMER de leur propre chef et en leur nom propre : leur participation peut alors être comptée, visible.

Les médecins collaborateurs rencontrent-ils des difficultés, ou au contraire ont-ils des motivations qui leur seraient spécifiques dans leur recueil de données ?

Les entretiens pointent des éléments de plusieurs ordres.

Tout d’abord, en ce qui concerne les motivations de départ, d’après les entretiens, les médecins collaborateurs ont un regard souvent encore neuf sur la santé au travail et sur l’enquête SUMER, ils ont donc souvent été vers l’enquête avec curiosité et peu d’a priori. Nouvellement arrivés, ils sont aussi plus facilement susceptible de « suivre » un mouvement : ainsi si la CMT ou la hiérarchie incitent à la participation, ils iront en se posant moins de questions que leurs confrères et consœurs plus anciens dans les services. Il semble également, au vu des entretiens réalisés avec des médecins qui ont été tuteurs, que les médecins ayant exercé dans des fonctions ou des domaines qui utilisaient l’épidémiologie ou les statistiques de santé sont particulièrement enclins à s’engager.

En ce qui concerne maintenant les conditions de déroulement de l’enquête, comme tout médecin récemment arrivé sur un effectif, les médecins collaborateurs ne bénéficient ni d’expérience ni d’ancienneté sur un secteur donné, et ont donc un handicap commun : une connaissance des entreprises, des salariés, et des risques limitée. C’est à ce titre que la praticienne que j’ai joint au téléphone a identifié ses propres conditions de participation en tant que collaboratrice comme n’étant « pas idéales » :

Là, c’était pas les conditions idéales. C’est sûr que ça doit être mieux, plus facile quand on connaît bien les entreprises.

En revanche, la nouveauté dans ses fonctions ne décourage pas une autre praticienne interrogée. Au contraire, elle estime que l’enquête a été pour elle une source de motivation à se déplacer sur un terrain dont elle n’était encore que très peu familière :

Moi parce que je venais d’arriver ça m’a motivé pour aller approfondir certaines questions, d’abord parce que je ne savais pas y répondre, et parce que la personne en face de vous elle est loin de savoir, il y a 95 produits

chimiques, euh… Les gens ne savent pas quels produits ils manipulent… Alors comment, quand, c’est à peine s’ils le savent. donc il y a les trois quart d’heure avec le salarié et par exemple les deux heures que vous allez passer chez M. parce que vous avez eu un mécanicien M. qui vous a dit « on change les batteries », donc vous vous dites il doit y avoir de l’acide. Mais comment ? Donc il faut aller sur place.

Vous y êtes allées sur plusieurs dossiers ?

Oui, trois. Et comme vous êtes là, vous vous lancez dans la fiche d’entreprise, c’est l’occasion. Mais vous voyez, la fiche d’entreprise de M. elle n’est pas finie, il faut que je termine.

Ca lance des chantiers ?

Oui, ce qui est bien !

Pour comprendre ce témoignage, il faut revenir sur le fait que les médecins collaborateurs ont souvent exercé pendant des années dans des conditions bien différentes de la médecine du travail, en libéral, ou dans des hôpitaux ou des centres médicaux. Le monde du travail est alors pour eux un terrain inconnu et souvent intimidant, où trouver sa place et sa légitimité ne va pas immédiatement de soi. Dans ce contexte, on comprend que cette praticienne, âgée de plus de cinquante ans, ait pu avoir besoin de la « motivation » supplémentaire, du prétexte du questionnaire SUMER et de ses besoins, pour se lancer sur le terrain.

Autre conséquence de leur statut de médecin collaborateur sur la manière dont ils ont recueilli les données : l’absence de travail en binôme avec une infirmière. En effet, s’ils ont théoriquement le même accès aux ressources pluridisciplinaires de leur service que les autres médecins, il est rare qu’ils fonctionnent dès le départ en binôme car ils se sentent trop peu expérimentés pour chapeauter le travail d’une infirmière. Ils ont alors la charge du suivi de l’intégralité de leur effectif et, dans le cadre de l’enquête, effectuent la totalité des questionnaires eux-mêmes.

Ainsi, la participation à l’enquête des médecins collaborateurs a permis d’augmenter les chiffres de participation globale. En tant que membres d’équipe, ils ont permis aux médecins tuteurs participants de s’engager sans que leur exercice quotidien n’en soit trop affecté. En tant que responsables d’un effectif, les médecins collaborateurs participants se sont montrés curieux de tenter l’expérience de l’enquête SUMER. Si certains n’ont pas été convaincus par l’enquête, ses conditions de déroulement ayant été chaotiques (ils se plaignent notamment de refus) et contraignantes, d’autres ont pu en tirer une expérience qui a été perçue de manière positive et comme complétant de manière pertinente leur apprentissage du métier17.

3) Le recueil de données SUMER : un bon baromètre de l’intégration des infirmières dans