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L’empathie des soignants : trait de personnalité, expérience ou processus ?

Dans le document Empathie et odontologie (Page 50-52)

Duan et Hill (1996) [75], après avoir effectué une revue de la littérature, ont mis en évidence la dimension floue du concept d’empathie.

En effet, la plupart des auteurs retenus (Book, Buie, Danish, & Kagan, Easser, Feshbach, Hoffman, Hogan, Kerr, Mead, Rogers, Dymond, Aronfreed, Davis, Farber & Sroufe, Kestenbaum, Barett

Lennard, Greenson, Bateson & Coke, Katz, Stotland, Truax & Carkhuff, Basch, Emery, Reik) envisagent l’empathie selon l’une des trois perspectives suivantes :

- L’empathie comme disposition définie comme un trait de personnalité, une capacité stable, une compétence générale de la personne

- L’empathie comme expérience, qui s’inscrit dans un contexte dépendant de l’état cognitif et affectif de la personne vivant cette expérience

- L’empathie comme un processus qui comporte plusieurs phases : la résonnance empathique, l’empathie exprimée et l’empathie reçue (Barret Lenard, 1978).

Cette absence de distinction dans ces différentes perspectives dans la littérature a été mentionnée par Cinar et al (2007) [76].

7.4.1 L’empathie, définie comme trait de personnalité ou expérience

Les deux premières perspectives rejoignent le débat sur le caractère inné ou acquis de l’empathie. Bennet (1995) [77], tout comme Decety (2004) [78], considèrent qu’elle existe à la fois comme un trait (inné) et comme un état (acquis).

Mais si l’on considère que l’empathie est un trait de personnalité, alors on peut très bien faire la déduction suivante, comme cela se fait dans certains pays anglo-saxons (Lumsden, Bore, Millar, Jack et Powis, 2005) [79] : pour améliorer la prise en charge des patients en institutions hospitalières, il faut donc sélectionner les étudiants avant leur formation initiale en fonction de leurs traits de personnalités, notamment de leurs qualités empathiques.

Cependant si ce mode de sélection est séduisant, il est toutefois illusoire pour deux raisons :

7.4.1.1 Baisse de l’empathie au cours des études médicales

De nombreuses études scientifiques citées dans [80] montrent que l'empathie décline durant les études médicales et plus précisément :

- l'empathie décroît plus significativement en première et troisième années des études médicales. - l'empathie diminue significativement durant l'internat de médecine.

- l'approche strictement biomédicale.

- l'« hidden curriculum » ou « enseignement off » : c'est l'enseignement oral entre les enseignants et les étudiants en dehors du cadre des cours ou travaux pratiques/dirigés (ex : cafétéria, couloirs de l'université...). Ce sont aussi les idées partagées entre les étudiants. Et de façon générale, les idées transmises par la conception qu'a une société, une culture, de chaque profession de soin.

- le manque de modèle positif d'identification : c'est-à-dire d'enseignants présentant des qualités empathiques sur qui les étudiants pourraient prendre exemple.

- la désillusion traumatique vécue par les étudiants lors de leurs premiers stages cliniques. Il s'agit de la confrontation à la réalité de la pratique médicale qui ne correspond pas à l'idée que peuvent s'en faire les étudiants et qui est souvent moins gratifiante (peur du patient, traitement ne fonctionnant pas, etc).

- l'anxiété du praticien et l'influence du contexte de soin. - le stress de la pratique clinique.

- le fait de ne pas considérer que les émotions soient au cœur de la relation de soins.

- le fait de ne pas avoir conscience de ses propres sentiments négatifs envers certains patients. - le fait de considérer que pour être un bon praticien, il suffit d'être un bon technicien.

- un certain cynisme des étudiants.

- la dépendance technologique qui déshumanise la relation entre soignant et soigné. - le changement de paradigme du système de soins où les contraintes financières sont plus importantes et où l'autonomie du soignant diminue.

Ainsi, on a observé dans la littérature le déclin des qualités empathiques des étudiants au fur et à mesure de leur cursus (Shapiro, Morrison, et Boker, 2004). On peut considérer que la baisse d'empathie des étudiants au cours des études médicales est un comportement d'ajustement ou «coping» face à une situation qu'ils gèrent comme ils peuvent, faute d'outils adaptés pour y répondre [81].

On peut donc penser que sélectionner à l’entrée de sa formation ne sera pas un bon prédicteur de l’empathie dont fera preuve l’étudiant dans sa pratique professionnelle future.

7.4.1.2 Biais dans les mesures d’auto évaluation

De plus, une étude (Jarski, Gjerde, Bratton, Brown, & Matthes, 1985) [82] a montré que les mesures d’auto évaluation d’empathie des étudiants ne correspondaient pas aux mesures d’empathie basée sur le comportement. Ainsi, on niveau de la sélection, il existerait un biais.

7.4.2 L’empathie définie comme processus

La seconde perspective est celle selon laquelle l’empathie est une compétence acquise. Si l’on adhère à cette perspective, on peut considérer alors que les programmes de formation à l’empathie devraient y pallier. Or avec ce raisonnement, on fait peser toute la charge d’une mauvaise prise en charge relationnelle du patient sur l’individu, le personnel soignant et médical faisant ainsi

alors forcément, la qualité relationnelle sera améliorée, ce qui n’est évidemment pas une relation de causalité linéaire.

La prise en charge d’un patient, c’est la rencontre (ou la non rencontre) entre deux individus, entre deux histoires distinctes. Ainsi, on ne peut affirmer que le soignant fera preuve d’autant d’empathie avec le patient x qu’avec le patient y.

C’est pourquoi nous pensons qu’il existe des éléments irréductibles et insaisissables de la relation, la perspective expérientielle est donc celle qui correspond le mieux à la situation de soins.

Nous pensons ainsi que l’empathie dans la relation de soin constitue un processus perceptif,

identificatoire, projectif et intersubjectif qui permet au soignant de se représenter l’état émotionnel du patient, de le différencier du sien et de le lui restituer [24].

Dans le document Empathie et odontologie (Page 50-52)