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Défense professionnelle et culture de métier

Dans le document Empathie et odontologie (Page 87-89)

7.12 Obstacle à la mise en place de l’empathie

7.12.3 Défense professionnelle et culture de métier

La relation soignant/soigné met en relation deux personnes, et ce n’est pas la fonction ou le titre de soignant qui vont permettre d’éviter les écueils et les risques qu’implique cette rencontre. Afin d’éviter un trop plein d’affects mortifères, les soignants adoptent des mécanismes de défense. Il est tout à fait normal et nécessaire que le personnel soignant mette en place des mécanismes de défenses : « Si son psychisme (le praticien) était totalement capturé par les objets de perception qui lui tendent en miroir la dégradation, l’infirmité, la douleur ou la mort de l’autre, il maîtriserait difficilement l’atteinte narcissique. Les sentiments dépressifs, les conduites agressives, ou les troubles de l’anxiété deviendraient son lot » (Renault, 2000, p78) [155]. Ainsi, l’utilisation de mécanismes de défense est fondée.

La question des défenses professionnelles est en mettre en lien avec la culture de métier des soignants. Ils sont mis dans une position tout à fait paradoxale. Ils doivent être en effet

« émotionnellement impliqués et en même temps maintenir une certaine distance émotionnelle » (Dale et Larson, 1993, p41), sans avoir le bagage nécessaire pour y parvenir [156].

Les soignants se retrouvent ainsi dans une impasse, ils sont censés s’occuper du relationnel sans avoir les moyens de le faire et pour ne pas montrer leur faille aux collègues, vont prendre sur eux, pour faire face, même s’ils sont en difficulté. Cette culture de ne pas dévoiler leur problèmes vient les mettre en difficulté lorsqu’ils sont touchés par une situation. Reconnaître que la situation les a affectés vient remettre en cause leur capacité à savoir prendre de la distance par rapport aux patients, ils se sentent fautifs et ne peuvent pas en faire part à leurs collègues. Ce phénomène de dissimulation se nomme le « self-concealment » (Larson et Chastain, 1990), c’est-à-dire la

dissimulation active vis-à-vis des autres informations personnelles qui seraient perçues comme pénibles ou négatives [157].

Ainsi, « parce qu’ils ont peur d’une évaluation négative des autres ou d’une comparaison défavorable avec une image interne, beaucoup de soignants cachent leur difficultés vis-à-vis des autres et sentent qu’ils sont fautifs quand de tel problèmes arrivent. (…) Ils ont le désir de maintenir une estime dans

les yeux des autres, ils ont peur en révélant leur détresse de projeter une image indésirable d’eux même aux autres » (Dale et Larson, 1993, p7).

La présence de normes et la passation de ces normes des anciens vers les plus jeunes jouent aussi le rôle de vecteur et de contrôle de la profession, les défenses professionnelles sont donc transmises d’une génération à l’autre : « L’expression des émotions est régulée par des normes très partagées dans ces milieux : la maîtrise de soi est une valeur apprise dès le premier contact avec l’hôpital. On doit s’avoir se tenir, ne pas s’effondrer en larmes devant un malade, une famille, un médecin ou un collègue » (Cosnier, 1993, p341) [158].

Les soignants doivent avoir une certaine maîtrise d’eux même : ressentir ou avouer ses émotions vient remettre en cause les normes professionnelles et met en péril l’équilibre du soignant. Il est alors difficile en adoptant une telle maîtrise de ses émotions, de pouvoir se laisser toucher par ce que vit le patient.

Car relater ses propres angoisses peut révéler les angoisses des autres soignants, et mettre en péril l’équilibre psychique groupal.

Afin de faire face à des situations difficiles que les soignants ne peuvent élaborer, ils vont mettre en place toute une batterie de stratégies défensives. Les mécanismes de défense repérables dans le cadre de l’activité du soin sont l’absentéisme (évitement), l’indifférence (isolation), la parcellisation, la suractivité et la rationalisation.

« La fonction défensive des représentations du patient se manifeste par sa réification (il est considéré, manipulé comme un objet) et par une déshumanisation de la relation. Quant à la suractivité, elle relève d’une défense maniaque qui permet de substituer du faire à l’être avec, de surinvestir la dépense énergétique dans les activités multiples afin d’éviter la relation aux patients. L’auto-accélération du rythme de travail contribue aussi à un épuisement et à un rétrécissement des capacités de pensées » (Lhuillier, 2006, p165) [159].

Les praticiens sont confrontés à la souffrance des patients imputable à la maladie elle-même, mais également à celle dont ils sont responsables directement de par les différents traitements et examens qu’ils leur infligent.

Il est difficile pour un soignant de voir un patient avoir mal « à cause de lui ». Le soignant est à la fois un bon objet car il est celui qui soigne et le mauvais objet car il dispense des soins parfois douloureux aux patients (difficulté à anesthésier, avulsion difficile…). Pour supporter cela, certains soignants « gomment » l’aspect souffrance que pourraient leur renvoyer les patients. Ils relativisent la douleur ressentie par ces derniers en les qualifiant de « douillets » (par exemple : personne très sensible lors d’un détartrage réclamant une anesthésie de confort). Ainsi, les soignants ne se sentiraient plus comme étant de « mauvais objets ». Ce type d’attitude, selon Dale et Larson (1993), amène les soignants à omettre ou à avoir tendance à minimiser la détresse des patients et induire chez eux en retour une tendance à masquer leur détresse. Les patients ont le sentiment d’être incompris et pensent que s’ils se permettent de se manifester, ils bénéficieront d’un moins bon support de la part des soignants en retour. Les patients ont ainsi peur de se faire taxés de mauvais patient ».

Delhaye et Lostra (2007, pp. 53-54) [160], montrent combien il est difficile pour le soignant

d’instaurer une véritable relation empathique avec les patients. Ce qui est au cœur de ces difficultés, c’est la prise de distance par rapport aux émotions exprimées par le patient, la dimension du

« comme si ».

Ces auteurs résument ce qu’il se passe pour les soignants tout au long de leur parcours

professionnel. Ils proposent ainsi l’existence de 3 stades « d’empathie » par lesquels peuvent passer les soignants au cours de leur carrière.

Le premier stade appelé « pseudo empathie », est caractérisé par le fait que « le soignant est empêché d’être empathique de façon optimale de par sa subjectivité défensive et des émotions envahissantes teintées de projection » [160]. Ce premier stade s’éprouve typiquement dans les premiers stages effectués. Ainsi, le soignant ne veut pas se laisser atteindre par les émotions du patient.

Dans un second stade, il fait preuve « d’une conscience plus fine, plus aigüe aussi du mal qui assaille le patient. Le soignant se trouve sous l’emprise d’une sorte de « commisération », le centrant d’avantage sur la personne en souffrance ». Ce stade est nommé celui de l’ « empathie souffrante ». Le soignant annihile la séparation qui existe avec le patient, il souffre avec ce dernier.

Dans un troisième stade, pour se protéger émotionnellement, le soignant va adopter une attitude défensive envers le patient. « Une position de repli émotionnel est adoptée. Le soignant se centre sur l’acte technique, sur la démarche professionnelle ».

Les mécanismes de défenses sont présents tout au long du parcours professionnel du soignant et l’empêchent donc d’être en empathie avec le patient [24].

Dans le document Empathie et odontologie (Page 87-89)