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2. I NTERDEPENDANCE DES AGENTS ECONOMIQUES , RAYONNEMENT ET ATTRACTIVITE DES VILLES

2.1. L’interdépendance des acteurs

2.1.2. L’effet multiplicateur

2.1.2.1. La propagation de la dépense : un concept ancien

L’effet multiplicateur repose sur le principe que toute dépense, qu’elle soit réalisée par les ménages, les entreprises ou les pouvoirs publics se propage entre les différents agents

économiques du territoire. Ainsi, la dépense publique ne profite pas seulement aux entreprises répondant directement aux commandes de l’Etat et des collectivités locales, mais elle profite également indirectement aux fournisseurs de ces entreprises et à leurs salariés qui à leur tour consomment, poursuivant la propagation de la dépense initiale. Cette propagation, ou circulation de la dépense, dans le système économique est possible parce que les agents sont interdépendants et que les dépenses des uns forment les revenus des autres.

François QUESNAY (1758) est sans doute le premier économiste à avoir mis en évidence l’existence d’un circuit au sein duquel l’ensemble des acteurs économiques sont interdépendants. Plus tard, au 20ème siècle, d’autres économistes parmi lesquels Richard KAHN (1931), dans un article consacré à la relation entre l’investissement privé et l’emploi,

John Maynard KEYNES et Wassily LEONTIEF vont poursuivre les réflexions sur la propagation de la dépense et l’interdépendance des acteurs. John Maynard KEYNES mettra

en avant le concept d’effet multiplicateur55 alors que, presque dans le même temps, Wassily LEONTIEF développera le modèle intersectoriel (input-output), mettant en évidence les liens de dépendance entre les différents secteurs d’activité. Le modèle intersectoriel permet donc d’observer la manière avec laquelle la dépense se propage au sein de l’économie entre les secteurs et donc comment l’effet multiplicateur se réalise.

2.1.2.2. Le concept de multiplicateur

Le chapitre 10 de la « Théorie générale de l’emploi de l’intérêt et de la monnaie » (KEYNES,

1936) est consacré à la propension marginale à consommer56 et au multiplicateur. Alors que Richard KAHN ne parlait que de multiplicateur d’emploi, Keynes commence dans son

chapitre 10 par le multiplicateur d’investissement en écrivant : « Appelons k, le multiplicateur

d’investissement. Il nous dit que, quand il y a une hausse de l’investissement, les revenus augmenteront d’un montant qui est k fois égal à la hausse de l’investissement ». Plus

généralement, selon KEYNES, le multiplicateur (k) indique que, lorsqu’un accroissement de la demande globale se produit (investissement, consommation, dépense publique ou exportation), le revenu augmente d’un montant égal à k fois l’accroissement de la demande. Si le multiplicateur du tourisme est égal à 1,25, cela signifie qu’un million d’Euros de

55

A l’inverse du principe du multiplicateur qui explique les effets d’une variation de l’investissement sur le niveau d’activité, le principe de l’accélérateur, développé au début du 20ème siècle par Albert Aftalion, explique les conséquences des variations de l’activité sur le niveau d’investissement.

56

La propension marginale à consommer est la proportion selon laquelle un supplément de revenu est affecté à la consommation.

dépenses touristiques génèrent au total 1 250 00057

Euros de revenus supplémentaires dans l’économie, soit le million de la dépense d’origine et les 250 000 Euros supplémentaires de l’effet multiplicateur58.

Il n’y a, a priori, aucune limite basse ou haute au coefficient. Son montant dépend de la propagation de la dépense au sein de l’économie qui peut être arrêtée par au moins trois phénomènes : l’épargne, la dépense auprès d’entreprises situées à l’extérieur du territoire et le versement de salaires aux non-résidents. Ainsi, pour simplifier, le coefficient est proche de 0 si par exemple l’investissement est réalisé par une seule entreprise extérieure au territoire employant du personnel étranger consommant des produits étrangers59. A l’autre extrême, un investissement réalisé en intégralité par des entreprises locales utilisant des matériaux et du personnel local aura un effet multiplicateur élevé.

Cependant, si la notion d’effet multiplicateur apparaît évidente, le calcul du coefficient permettant de mesurer cet effet l’est nettement moins.

LE COEFFICIENT MULTIPLICATEUR REGIONAL

Comme le souligne KEYNES (1936), l’effet multiplicateur d’un investissement est différent d’une région à l’autre. Par conséquent, son estimation demande d’utiliser un coefficient spécifique à cette région et non un coefficient national qui ne saurait être satisfaisant.

En effet, la notion d’effet multiplicateur est très liée à la question de la propension marginale à consommer développée par KEYNES et plus encore à la propension marginale à consommer

57 Soit l’augmentation (1 million) * le coefficient multiplicateur (1,25). 58

Il peut arriver que l’effet multiplicateur soit inférieur à 1, c’est à dire qu’une hausse de la demande entraîne une augmentation de revenu inférieure à la hausse initiale. C’est ce qu’affirme la commission du développement durable des nations unies (ONU, 1999) dans un rapport qui fait état de l’effet multiplicateur des dépenses touristiques dans un certain nombre de pays en voie de développement. Le document montre ainsi que le coefficient est de 0,42 dans les îles Tonga et de 0,96 à l’île Maurice, alors qu’il atteint 1,23 en Egypte et 1,72 en Irlande. Ainsi, une hausse des dépenses touristiques d’un million d’euros dans les îles Tonga génère un enrichissement total de 420 000 euros. Les raisons sont multiples : incapacité du pays à offrir les biens et services demandés par les touristes ; main mise des firmes multinationales sur l’infrastructure touristique (hôtels, restaurants, etc.) dont la direction est souvent assurée par des étrangers offrant quasi exclusivement des produits d’importation ; refus de la part de la majorité des touristes de consommer les produits locaux, surtout ceux alimentaires, etc.

59 Pour exemple nous pourrions prendre la construction en 2005 d’un palais des sports à Yaoundé au Cameroun.

Ce stade est intégralement financé par le gouvernement chinois. La main d’œuvre participant à sa construction est intégralement chinoise, elle vit dans des baraques importées de Chine, les besoins de première nécessité sont également importés de Chine tout comme les matériaux, les engins et les outils nécessaires à la fabrication du bâtiment. Par ailleurs, les ouvriers n’ont aucun contact avec le reste de la population et ne risque donc pas de faire des achats auprès des commerçants locaux. Ainsi, au mieux, ce projet de construction ne peut, au moins au stade de la construction, que générer un surplus d’activité au niveau du port de Douala.

des biens produit localement (Harvey ARMSTRONG et Jim TAYLOR, 1985). Plus cette

propension marginale à consommer des biens produits localement est élevée, plus le coefficient multiplicateur est élevé.

Cette propension est fonction de la taille du territoire de référence et de sa structure économique. Concernant sa taille, de toute évidence, plus le territoire de référence est petit, plus la propension à consommer des biens produits localement est faible. Le niveau de cette propension est très lié à la dimension de la région étudiée (Harvey ARMSTRONG et Jim TAYLOR, 1985). A l’échelle de la planète, à long terme, la propension à consommer les biens

produits localement est égale à 1, c’est à dire que tout supplément de consommation se traduit uniquement par une dépense terrestre, parce que la terre n’importe de bien d’aucune autre planète (il faut cependant compter le temps pour que l’épargne se réinvestisse en activités productives). Par contre, à l’échelle d’une petite ville où sont localisées quelques entreprises, la propension à consommer des biens produits localement risque d’être faible, car plus l’échelle territoriale se réduit, plus l’appareil productif se restreint, moins celui-ci est donc capable de répondre à la diversité de la demande.

La structure économique du territoire étudié est également de nature à faire varier le niveau de cette propension. Le territoire qui vit d’une mono-industrie aura peu de chance de profiter d’un supplément d’activité issu d’un investissement. A l’inverse, une région où le tissu économique est très diversifié pourra répondre à la hausse de la consommation que pourrait susciter, par exemple, la création d’un grand musée.

LE COEFFICIENT MULTIPLICATEUR SECTORIEL

Si l’utilisation d’un coefficient multiplicateur a pour objet de mesurer l’effet économique total d’une dépense supplémentaire pour l’ensemble d’un territoire, à savoir le cheminement de cette dépense entre les différents acteurs de l’économie, il ne peut être envisageable d’utiliser un même coefficient pour des dépenses différentes. En effet, une dépense issue de la création d’une usine automobile ne peut avoir les mêmes conséquences que celles induites par la construction d’un musée ou l’afflux de touristes. Pour simplifier, l’usine de voitures emploiera plusieurs centaines de travailleurs locaux mais achètera des machines outils fabriquées par exemple en Allemagne ; les touristes consommeront dans des restaurants de la nourriture produite localement, etc.

Un coefficient sectoriel doit, en théorie, pouvoir être appliqué à l’ensemble des investissements réalisés dans ce secteur. La question est de savoir jusqu’où faut-il aller dans le découpage du tissu économique pour arriver à des secteurs d’activité homogènes quant à l’effet multiplicateur. Peut-on alors imaginer un coefficient applicable à tous les investissements culturels ? Existe-t-il un coefficient pouvant être appliqué au montant de l’investissement nécessaire à la construction de n’importe quel musée ? Bref, l’effet multiplicateur de la construction des musées est-il homogène ?

La pratique indique que dans ce domaine, l’homogénéité semble peu réaliste et que l’effet multiplicateur de la construction d’un musée dépend complètement de son contenu architectural. L’exemple de la construction prochaine du Louvre constitue à ce titre un exemple remarquable. Les architectes japonais Kazuyo SEJIMA et Ryue NISHIZAWA, qui ont été retenus, proposent un bâtiment nécessitant une quantité importante de verre aux caractéristiques techniques très particulières, très coûteux et n’étant pas produit dans la région Nord – Pas de Calais, ni même en France. Une partie de l’effet multiplicateur issu de la construction du musée se réalisera donc à l’étranger. La construction d’un musée utilisant un savoir-faire maîtrisé par les entreprises locales et nécessitant des matériaux fabriqués dans la région aurait eu un effet multiplicateur local ou régional plus élevé.

Cet aspect purement technique montre qu’un « coefficient multiplicateur type » ne saurait prendre en compte les particularités de chaque projet et ne saurait donc être efficace pour évaluer l’effet multiplicateur de manière précise.

LE COEFFICIENT MULTIPLICATEUR DEPEND DE LA CAPACITE DES ENTREPRISES A CAPTER LA DEPENSE

Le montant du coefficient multiplicateur dépend également de la capacité des entreprises locales à capter les dépenses.

Cet élément tient d’abord du contexte de la compétition nationale et internationale dans laquelle les entreprises locales travaillent. En effet, un investissement nécessite la fourniture de biens d’équipement, la construction de bâtiments, etc. Or, n’importe quel maître d’ouvrage procède par appels d’offre auxquels peuvent répondre toutes les entreprises, locales ou non. Ainsi, même si une entreprise locale est en mesure de répondre à la demande générée par un investissement, il n’est pas certain qu’elle sera choisie. Le choix dépend de la qualité de la prestation offerte, mais également des coûts et des préférences des élus.

Ensuite, il peut arriver que le tissu économique local ne soit pas capable, faute de capacité de production, de répondre à l’ensemble de la demande générée par un projet. La création d’un Louvre à Lens générera de l’activité dans le domaine de l’organisation de grandes expositions. Les projections font apparaître qu’en l’état actuel, les entreprises locales ne pourront offrir ce type de prestations faute d’expérience.

Enfin, il peut arriver que l’offre locale existe mais ne soit pas suffisante pour capter la dépense. En effet « l’existence temporaire d’un festival peut saturer l’infrastructure existante

et donc limiter son impact économique » (Joëlle FARCHY et Dominique SAGOT-

DUVAUROUX, 1994). L’offre d’hôtels, de restaurants ou encore de services aux touristes ne sont pas élastiques à la demande. C’est à dire que l’offre ne s’adapte pas forcément à la demande, ni à court terme, parce qu’il faut du temps pour construire un hôtel ou un restaurant, ni à long terme parce que le festival implique le remplissage des établissements mais sur des périodes trop courtes pour que les investisseurs envisagent d’élargir l’offre.

2.1.2.3. Le modèle intersectoriel ou input-output

La construction de modèles intersectoriels permet d’obtenir des informations précises, quant à la propagation de la dépense entre les différents secteurs d’activités d’une région, grâce à la connaissance de l’ensemble des liens existant entre ces différents secteurs. En effet, grâce à ce modèle, il est possible de mesurer les effets de l’augmentation de l’activité dans un secteur sur l’activité des autres secteurs (HarveyARMSTRONG et JimTAYLOR, 1978).

C’est Wassily LEONTIEF (1941) qui construira le premier modèle input-output pour représenter les relations entre les différentes industries américaines et, par-là, l’interdépendance des industries entre elles. Ainsi, pour une industrie donnée, ce modèle doit permettre de déterminer l’ensemble des flux économiques entre cette industrie et les autres, avec les flux qui partent de cette industrie à destinations des autres, c’est à dire de ses fournisseurs, et les flux qui proviennent des autres industries, c’est à dire de ses clients. C’est donc l’ensemble des achats de biens intermédiaires entre industries qui est recensé. L’intérêt de ce modèle réside dans les possibilités offertes en matière de prévisions concernant par exemple les effets d’un accroissement de l’activité dans une industrie sur les autres industries. Dans l’évaluation de l’impact, ces modèles permettent de comprendre comment les variations d’activité dans un secteur sont transmises dans l’économie à travers les autres secteurs (Saul PLEETER, 1977). Par exemple, si le secteur de l’hôtellerie voit son chiffre d’affaires

augmenter de 50%, le modèle input output permet de dire de combien le chiffre d’affaires des secteurs fournisseurs de l’hôtellerie augmentera.

2.2. La question de l’image et de la notoriété des villes dans la