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L E  CAPITAL  SOCIAL  LIANT   ( BONDING  SOCIAL  CAPITAL )

8.2.1. Le manque de capital social liant entre les équipes des mutuelles et la popula-tion-cible

Malgré la taille réduite des mutuelles, leurs responsables ne sont pas largement connus de la po-pulation-cible (que ce soit les membres ou les non-membres). Sous cet éclairage, on remarque qu’ils ne sont pas en mesure d’exploiter leurs relations sociales afin d’attirer de nouveaux membres, de transmettre des informations, de bénéficier de la confiance ou des normes de réciprocité et de con-fiance existantes au sein de la population. Reflétant et aggravant cette déconnexion, il y a un faible taux de participation de la population aux activités formelles organisées par les responsables des mu-tuelles, telles que les assemblées générales (AG) organisées annuellement. Dans le but de dépasser ces obstacles, les responsables des trois mutuelles ont recruté des équipes locales (par village ou quartier).

Les principales fonctions de ces équipes sont de recruter de nouveaux membres, de diffuser les infor-mations et/ou collecter les cotisations. Cependant, le processus de décentralisation a été confronté à de nombreuses difficultés. A plusieurs reprises, les équipes locales sont injoignables et/ou absentes et dans des cas extrêmes ont même fraudé. Certaines mutuelles ont répondu à cela en re-centralisant cer-taines fonctions. Cependant, ces fonctions restent aussi inefficaces (p. ex. : les personnes doivent parcourir de longues distances pour payer leurs cotisations au niveau central).

En résumé, les faiblesses de l’organisation du personnel ont été à l’origine de la collecte des co-tisations, mais aussi ont rendu difficiles la transmission d’information. Il en est de même du développement de la confiance, de valeurs communes et de l’autonomisation de la population locale.

Cela a finalement contribué au faible taux d’adhésion et au taux important d’abandon des mutuelles de santé.

En terme d’informations transmises à la population-cible, il y a plus spécifiquement des insuffi-sances comme :

! L’information de base sur la mutuelle (p. ex. le montant, la méthode et la périodicité de la col-lecte des cotisations, les soins couverts,… Les ex- et actuels adhérents ont besoin d’information lors de changement de l’un de ces aspects de base de la mutuelle).

! Les indicateurs de performance : p. ex. la réserve financière, le nombre de personnes bénéficiant des services ainsi que ceux utilisés, le degré de protection offert par la mutuelle.

! L’information sur la manière dont la mutuelle prévient et traite les cas de fraude.

! L’information sur l’étiologie des maladies et les bénéfices engendrés par la prévention et le trai-tement des maladies.

! L’information sur les services qui sont disponibles gratuitement auprès des prestataires de soins publics et ceux qui ne le sont pas, mais également sur les montants qui restent encore à charge des patients dans le public ou le privé, ainsi que les différences entre les deux.

! L’information sur les problèmes de qualité des soins (p. ex. : ruptures de stock, temps d’attente, réactivité).

Le manque de collecte des informations de la part des équipes des mutuelles en provenance de la population sur :

! les problèmes de payement des cotisations

! les insatisfactions vis-à-vis de la mutuelle

! les problèmes de qualité des soins et de manque de réactivité des prestataires de soins

! les réunions et événements qui ont lieu au sein de la communauté et qui pourraient aider la mu-tuelle à trouver de nouveaux adhérents.

Une priorité pour les équipes des mutuelles est de ce fait la nécessité d’établir un meilleur mé-canisme de transmission d’information.

En ce qui concerne la confiance, la littérature sur les mutuelles de santé défend l’idée que les organisations de faible envergure vont automatiquement promouvoir la confiance et de ce fait aug-menter la propension de ses membres à payer. Cependant, puisque la majorité de la population ne connaît pas les responsables des mutuelles, elles ont eu très peu l’occasion de construire ou développer de telles normes de confiance. De façon similaire, comme déjà mentionné, certains membres des équipes sont injoignables ou absents, ce qui est incompatible avec l’élaboration de la confiance. Par conséquent, une priorité des équipes est de développer des mécanismes systématiques dans le but de développer des relations de confiance avec la population-cible.

Analysons à présent le manque de compréhension des valeurs sous-jacentes aux mutuelles de santé.

Les responsables des mutuelles et les acteurs voient les mutuelles de santé comme un méca-nisme de solidarité en raison des subventions croisées entre les malades et les biens portants. Ils croient que de nombreux membres qui n’ont pas adhéré ou qui ont quitté la mutuelle, manquent de solidarité. Cependant, notre recherche suggère que cette perception est injustifiée. Elle montre que de nombreuses personnes de la population-cible ne perçoivent pas la mutuelle comme telle. Ce n’est pas un mécanisme de solidarité car lorsqu’un de ses membres ne peut plus payer, il sera contraint de quit-ter la mutuelle. En effet, les résultats de la recherche confirment que les adhérents sont en meilleure santé que les non-adhérents. Plusieurs personnes interrogées ont déclaré que si la mutuelle était un mécanisme de solidarité, l’organisation devrait puiser dans ses ressources pour subsidier les ménages qui étaient dans l’incapacité de régler leurs cotisations. En outre, l’enquête-ménages révèle un large consensus concernant le fait de subventionner les plus pauvres. En d’autres termes, la population-cible pense que « l’équité verticale » (la subvention croisée des riches vers les pauvres) est une notion qui manque et qui devrait être améliorée dans les mutuelles. Alors que les acteurs des mutuelles de santé pensent que la population n’est pas solidaire, la population pense que l’organisation ne l’est pas assez ! En réalité, les mutuelles de santé sont vues, par la majorité de la population comme une forme de réciprocité. En effet, les membres ont payé pour que les autres bénéficient de soins, mais espèrent aussi bénéficier eux-mêmes des services de la mutuelle dans le futur. Le fait de quitter la mutuelle semble être le fruit d’un calcul des ménages. Après une période de temps et d’investissement donnée, ils pensent que la collectivité (en l’occurrence la mutuelle) n’est plus en mesure de disposer de suffi-samment de ressources pour satisfaire les normes de réciprocité. L’intérêt personnel tient, de ce fait, une part importante dans la notion de réciprocité. La réciprocité est soit non reconnue, soit considérée par les parties prenantes comme une motivation légitime de la population pour adhérer et rester dans la mutuelle. Ce sont des idées complexes qui doivent être débattues entre le personnel de la mutuelle et la population-cible. Mais de telles discussions n’ont pas eu lieu de manière systématique dans les mu-tuelles des trois sites analysés. Les organisations ont donc besoin de mettre en place des mécanismes visant à faciliter les dialogues permanents avec la population-cible sur les valeurs qui sous-tendent à la mutuelle.

Le manque de capital social liant a également limité la capacité des mutuelles de santé à trans-former les relations de pouvoir au niveau local, malgré l’autonomisation de certains responsables de mutuelles. De façon générale, on peut considérer la dynamique de pouvoir au sein des mutuelles avec la perspective de la théorie du capital social de Bourdieu (Bourdieu, 1986). Ce qui signifie qu’au ni-veau local, il y a eu peu d’actions collectives, d’influences significatives ou puissantes visant les acteurs institutionnels établis. Etant donné que de nombreuses parties prenantes pensent que l’autonomisation du niveau local est un objectif important pour les mutuelles, cela a pu être perçu comme un frein aux mutuelles. Cela suggère que celles-ci auraient bénéficié de mécanismes préétablis pour faciliter le dialogue direct entre les membres de la mutuelle et les équipes locales d’une part, et les parties prenantes d’autre part (p. ex. : développer le capital social qui crée des réseaux au niveau local).

En somme, l’organisation des équipes mutualistes doit atteindre les objectifs suivants qui peu-vent, tous ensembles, être considérés comme étant susceptible d’améliorer le capital social qui crée des liens entre la population et les équipes mutualistes :

! faciliter le flux d’informations entre la population-cible, les équipes locales et les gérants de la mutuelle.

! développer systématiquement des relations de confiance avec la population

! faciliter un dialogue permanent avec la population-cible sur les valeurs et normes qui sous-tendent la mutuelle, tel que la solidarité, la réciprocité et l’autonomisation de la population locale, ainsi que l’impact de celles-ci sur le choix (ou non) d’adhérer ou rester dans la mutuelle.

À la fois les gérants et les équipes locales (en particulier celles qui collectent les cotisations) doivent atteindre ces objectifs par l’intermédiaire des différents mécanismes que nous discutons ci-dessous.

8.2.2. Mécanismes pour augmenter le capital social qui crée des liens entre les équipes des mutuelles de santé et la population

Afin d’atteindre ces objectifs, il est nécessaire d’augmenter le capital social liant, entre les équipes de la mutuelle et la population-cible, en développant les mécanismes suivants :

Mécanismes au niveau des responsables des mutuelles

! Créer une administration des ressources des mutuelles plus développée et plus performante : o Les responsables ont besoin de ressources (véhicules et fonds) pour se déplacer « sur le

ter-rain » et rencontrer la population

o Les responsables ont besoin d’être payés pour ne pas dépendre d’un autre travail pour leur subsistance et avoir plus de temps à consacrer à la gestion de la mutuelle.

! Evaluation périodique des réseaux sociaux qui sous-tendent la mutuelle :

o Les responsables des mutuelles doivent construire la confiance sur la durée et impliquer la po-pulation-cible ainsi que leurs équipes locales à travers leurs propres réseaux sociaux. Le but est de promouvoir les mutuelles auprès de la population avec des informations perti-nentes et compréhensibles et/ou travailler pour la mutuelle. Changer fréquemment de responsable de la mutuelle n’est, dès lors, pas nécessairement bénéfique pour atteindre et maintenir des taux d’adhésions élevés. Cependant, en même temps, trop compter sur les réseaux sociaux d’un responsable de la mutuelle pour améliorer le taux d’adhésion n’est pas une bonne stratégie sur le long terme. Les responsables de mutuelles ont, dès lors, be-soin d’évaluer périodiquement les réseaux sociaux existants dans la mutuelle, particulièrement lors des changements de direction.

! Recourir à des moyens incitatifs afin d’augmenter la fréquentation aux AG annuelles (p. ex. en remboursant les frais de voyage)

Les mutuelles n’ont pas généré assez de revenus pour financer ce type d’activité. Elles ont, de ce fait, besoin de ressources en provenance de l’extérieur (cf. ci-dessous).

Mécanismes au niveau des équipes locales

Afin de relever certains des défis liés à la centralisation de la gestion, les trois mutuelles ont dé-veloppé des modèles décentralisés dans lesquels les responsables locaux sont recrutés au sein des villages/quartiers. Le but est qu’ils gèrent certains aspects de la mutuelle au niveau local. C’est poten-tiellement une bonne évolution, mais, à Soppante et Ndondol, les équipes ont eu des difficultés avec les normes de réciprocité, de solidarité et la diffusion d’information auprès des ménages et villages.

Par ailleurs, pour la plupart, ces équipes locales n’avaient pas de liens entre elles ou avec les respon-sables de la mutuelle. Des mécanismes sont donc nécessaires pour renforcer les organisations décentralisées.

La nécessité de développer une stratégie de recrutement des équipes locales et de nouveaux membres se fait ressentir. Actuellement, à Ndondol et Soppante, cela a été instauré de façon adéquate.

Nous proposons qu’une telle stratégie ait pour objectif de mobiliser le capital social préexistant au sein de la population locale.

o En terme de recrutement du personnel local, l’atteinte des objectifs, fixés par la stratégie, con-duit à recruter systématiquement des personnes qui :

+ savent lire et compter

+ possèdent des réseaux sociaux étendus + qui inspirent la confiance à la population

+ ont suffisamment de temps à consacrer à ce travail + sont des défenseurs passionnés des mutuelles de santé

+ sont capables d’écouter et de trouver des solutions aux contraintes financières ou autres de la population-cible, afin de les aider à payer leurs cotisations.

Cette impressionnante liste de compétences nécessaires illustre les difficultés et la complexité des tâches à accomplir pour gérer une mutuelle, ainsi que les difficultés de recrutement auxquelles les gérants font face.

o En termes d’adhésion de nouveaux membres, la stratégie a besoin :

+ d’identifier les manières de faire adhérer les gens en grand nombre. Par exemple. en utili-sant les réseaux sociaux des équipes locales et les associations, plutôt que ménage par ménage.

+ d’identifier les moyens de faire adhérer les ménages marginaux, qu’ils le soient sur le plan économique, social, culturel et/ou politique.

o En termes de collecte des cotisations mensuelles, cela doit également être fait en masse plutôt que ménage par ménage. Par exemple, en intégrant les cotisations dans un système pré-existant de payement au niveau communautaire.

Le système de GMS des femmes de WAW est un bon exemple de stratégie a) de recrutement d’équipes locales qui ont déjà la confiance des adhérents de la mutuelles, b) d’adhésion de masse de nouveaux adhérents par le biais d’associations déjà existantes et c) de collecte des cotisations par un mécanisme de payement préexistant. Suivant ce modèle, une stratégie que pourrait suivre les mu-tuelles de santé, est celle du partenariat avec d’autres associations (à savoir, le recrutement de responsables d’associations locales comme responsables locaux et les encourager à faire adhérer les membres de leur association et collecter les cotisations). Un modèle similaire pourrait également être envisagé à d’autres niveaux de la communauté, les unions, les confréries musulmanes, les familles élargies (elles peuvent être vraiment importantes) et ainsi de suite, tout comme les écoles et les groupes professionnels informels qui collectent des charges, des taxes diverses,…

Il est cependant important de ne pas ignorer les inconvénients liés aux GMS de WAW, les clans, ou ensemble de personnes, qui dominent l’administration mutualiste. En outre, le système est confiné aux groupements de femmes, ce qui exclut de fait une large partie de la population qui ne fait pas partie de ce système de groupement. Alors que nous recommandons ce type de stratégie de décen-tralisation à Soppante, Ndondol ou pour d’autres mutuelles (stratégie intégrant les associations et organisations locales dans la mutuelle), nous reconnaissons qu’il s’agit d’un processus complexe. En suivant ce modèle, les mutuelles deviennent vulnérables aux politiques internes et luttes de pouvoir entre les associations qui dépassent le pouvoir de contrôle de leurs dirigeants. Il est donc nécessaire de cheminer prudemment dans cette voie.

Il est fondamental de noter que l’étude sur les ménages a révélé qu’il existe une tendance parta-gée par les trois mutuelles. Les ménages avec plus de ressources financières et un plus grand capital social adhèrent plus facilement aux mutuelles. Une stratégie d’adhésion et de recrutement de person-nel possédant un important niveau de capital social liant aurait tendance à augmenter l’exclusion des groupes socialement marginalisés et les iniquités. Il est donc important que cette première stratégie soit contrebalancée par une seconde stratégie visant l’adhésion de personnes possédant peu de capital financier et/ou social. Le but est de promouvoir la solidarité et l’équité au sein de la mutuelle. Les responsables des mutuelles doivent donc travailler avec les équipes locales afin d’identifier :

+ les ménages exclus socialement qui n’ont pas adhéré à la mutuelle.

+ un mécanisme de communication dont le but est d’attirer ces ménages et comprendre les barrières qui les empêchent d’adhérer.

+ les moyens de surmonter les barrières identifiées, par exemple, en subventionnant les coti-sations.

Afin de parvenir à ces objectifs, nous suggérons que les responsables ont besoin de :

+ travailler avec les équipes locales pour identifier et attirer divers types de réseaux sociaux qui vont permettre les adhésions (ne pas se reposer sur un seul réseau comme ce fut le cas à WAW avec les GMS)

+ bénéficier d’un partenariat avec les ONG, bienfaiteurs, les organisations religieuses qui tra-vaillent avec les personnes marginalisées, le but étant d’atteindre les groupes vulnérables + fournir des moyens financiers appropriés aux équipes locales

+ fournir du personnel avec des ressources leur permettant de tenir des réunions et voyager au sein de sa zone pour promouvoir la mutuelle.

+ fournir du personnel qui est formé à la gestion financière, qui a des compétences en matière de leadership, de réseaux sociaux, de communication, de développement et de participation communautaire

+ tenir des réunions d’équipes régulières afin que : o le personnel local se rencontre régulièrement

o le personnel local communique régulièrement avec les responsables de la mutuelle Cependant, comme pour le renforcement du leadership examiné plus haut, les mutuelles ne gé-nèrent pas assez de ressources pour financer ces différentes activités. Elles ont besoin de fonds en provenance de l’extérieur.