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l’autre, dépendant aussi de l’attitude de l’auteur face à son sujet d’étude

Waresquiel revient aussi sur les interprétations de Zweig. Il revient d’abord sur l’image

de Marie-Antoinette

« tête de linotte659 »

comme la décrivait sa mère ; ou son frère également qui

la nommait

« tête à vent660 »

. Il se refuse aussi à la définir comme une femme commune, à l’instar

de Zweig. Les images transmises jusqu’à présent ne semblent pas convenir à Waresquiel ;

toutefois, en n’adhérant pas à l’image donnée par Zweig, il confirme le sentiment que c’est la

part du destin qui pousse la reine à se révéler :

« Je ne crois pas que Marie-Antoinette ait été, adolescente, la tête de linotte, légère et imprévisible, que sa mère lui reprochait d’être. En tout cas pas seulement. Elle n’est pas non plus la femme ordinaire que Stefan Zweig a décrite […]. Ni bien sûr une sainte […]. Les circonstances extraordinaires auxquelles elle a été confrontée - son mariage, l’exil, la

657 WARESQUIEL, E. de (2016). Juger la reine. 14, 15, 16 octobre 1793. Editions Tallandier, Paris. « L’accusée », p.147.

658 Article paru sur le site du Huffpost, le 22/08/2016, écrit par O. PHELIP. Page consultée le 11/08/2017, disponible sur : http://www.huffingtonpost.fr/olivia-phelip/stefan-zweig-livre_b_11572418.html - « Stefan Zweig a consacré l'empathie et le lyrisme en littérature. On dirait qu'il ne résiste pas à ses personnages, reflet de ses propres émotions. L'écrivain assume cette fusion émotionnelle, au point de gommer tout le reste. Y compris lorsqu'il s'essaie à la biographie, il ne peut s'empêcher de jouer de la "subjectivité lyrique". Une posture qui s'est accrue tout au long du XXème siècle, mais qui n'était pas légion à la fin du XIXème siècle et au début du XXème. »

659 WARESQUIEL, E. de (2016). Juger la reine. 14, 15, 16 octobre 1793. Editions Tallandier, Paris. « L’accusée », p.148.

Révolution, la Terreur – l’ont profondément bouleversée et d’une certaine manière forcée à devenir ce qu’elle devait être.661 »

Malgré tout, près d’un siècle plus tard, c’est l’interprétation de Zweig qui perdure : de

nos jours, Marie-Antoinette n’est ni sacralisée, ni démonisée, elle est une femme et une reine

au destin unique. De plus, les auteurs aiment insister sur sa chute et les dernières images que

nous avons de la reine. Un exemple en est l’esquisse croquée par le peintre Jacques-Louis

David

662

. Elle est mentionnée par Zweig, mais également par Waresquiel ; elle sert aussi

d’illustration à la couverture pour une édition récente de l’ouvrage de Léon Bloy

663

. L’image

de cette femme, dont les cheveux ont subitement blanchi, frêle et malade, exposée aux yeux de

tous dans une charrette la conduisant à l’échafaud. Waresquiel porte un jugement négatif sur ce

portrait :

« Son portrait est une vengeance […]. David a tué la femme mundus muliebris d’autrefois. Une morte vivante passe sous nos yeux pour ne plus jamais revenir.664 »

Le lecteur sent l’empathie et la sympathie

de l’auteur vis-à-vis de la reine. Zweig, lui, se sert de cette esquisse pour étayer son avis :

« D’un coup de crayon il fixe, de manière impérissable, le visage de Marie-Antoinette allant à l’échafaud, esquisse d’un grandiose effroyable, d’une puissance sinistre […] : une femme vieillie, sans beauté, fière encore seulement […]. Une résignation qui s’est muée en fierté, une souffrance qui est devenue une force intérieure, donnent à cette figure tourmentée une nouvelle et terrible majesté.665 »

661 WARESQUIEL, E. de (2016). Juger la reine. 14, 15, 16 octobre 1793. Editions Tallandier, Paris. « L’accusée », p.148.

662 Dessin représentant Marie-Antoinette allant à l’échafaud, attribué au peintre Jacques-Louis DAVID (1748-1825), ancienne collection Edmond de Rotschild, aujourd’hui au musée du Louvre. Plume et encre brune sur papier crème (14,8 cm x 10,1 cm).

663 BLOY, L. (1896). La Chevalière de la mort. Editions Fata Morgana, 1989. Illustration de David.

664 WARESQUIEL, E. de (2016). Juger la reine. 14, 15, 16 octobre 1793. Editions Tallandier, Paris. « La chevalière de la mort », p.25.

665 ZWEIG, S. (1932). Marie-Antoinette. Paris : Bernard Grasset, Les Cahiers Rouges. 1ère édition : avril 2002. Nouveau tirage : mai 2011 – « Le dernier voyage », p.492. « In einem Riβ hält er auf flüchtigem Blatt das Anlitz der Königin unvergänglich fest, wie sie zum Schafott fährt, eine grauenhaft groβartige Skizze, mit unheimlicher Kraft […] : eine gealterte Frau, nicht mehr schön, nur noch stolz. […] Dulden, das sich in Trotz verwandelt, Leiden, das innen zur Kraft geworden ist, gibt dieser gequälten Gestalt eine neue furchtbare Majestät. », (Marie Antoinette. Bildnis eines mittleren Charakters. Frankfurt am Main, Fischer Taschenbuch Verlag, 29. Auflage, 2012 – p.553).

Cette esquisse montre Marie-Antoinette droite, un visage impassible. Une attitude

effectivement digne et fière. Le fossé entre les tableaux d’Elisabeth Vigée-Lebrun et ce dessin

est abyssal. Cette analyse opérée par Zweig est un pendant au résumé de sa vie dans

l’introduction, où Zweig brosse un tableau succint de la vie de la reine, trente années d’opulence

et de luxe, avant de tomber dans l’abîme et le malheur. Il conclut, avant son exécution, sur la

souffrance, la résignation et la dignité de la reine ; tout en soulignant la majesté de son attitude,

alors qu’elle est désormais tout sauf une souveraine. C’est lorsqu’elle n’est plus reine qu’elle

se comporte en tant que telle. L’analyse de cette esquisse a une autre fonction dans le chapitre :

marquer une pause sur le chemin à l’échafaud. Une pause dans le récit, un ultime moment pour

retarder la fin, et souligner l’évolution de Marie-Antoinette, ce dépassement de soi qui est au

centre des préoccupations de Zweig. Tout son récit est construit sur ce fil conducteur. Avec

pour objectif de susciter la compréhension, voire la sympathie du lecteur. Les dernières lignes

de son ouvrage insistent sur ce point : tenter d’analyser psychologiquement un être afin que ce