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ÉVOLUTIONS DE LA STRUCTURE DU SECTEUR HLM ET DE SON CIRCUIT DE

CHAPITRE 3. STRUCTURATION DU CIRCUIT DE FINANCEMENT ET DU SECTEUR HLM

1. L’AUTONOMISATION DU CIRCUIT DE FINANCEMENT

DU LOGEMENT SOCIAL (FIN DU XIX

ÈME

SIÈCLE – 1977)

Pendant près d’un siècle, des années 1890 aux années 1970, le circuit de financement du logement social a été progressivement mis en place. Il a d’abord permis, jusqu’au début des années 1950, la production d’un nombre de logements relativement faible. Au cours des deux décennies suivantes, plus d’une centaine de milliers de logements ont été livrés chaque année. Cette augmentation a été permise par la formulation progressive de réponses à trois problèmes.

Le premier est celui du rôle joué par le logement social dans la société, et de la mesure dans laquelle il est en conséquence légitime d’y investir des fonds publics. De façon très schématique, on passe de ce point de vue d’une volonté de proposer une solution de logement aux ménages ouvriers à celle de moderniser les conditions d’habitation de l’ensemble des Français : en s’universalisant, le logement social devient une dépense pertinente.

Le deuxième problème concerne le niveau de cette dépense. Les modalités et le volume de l’engagement financier de l’État sont questionnés tout au long de la période. Néanmoins, le principe du recours au prêt, qui permet au financeur de récupérer au moins en partie les fonds investis, est très tôt retenu et a perduré jusqu’à nos jours.

Enfin, le troisième problème touche à l’identité et à l’organisation des opérateurs autorisés à produire les logements sociaux : opposant à ses débuts les tenants de l’initiative privée à ceux qui prônent l’intervention publique, l’histoire du circuit de financement du logement social est marquée par l’émergence d’acteurs hybrides, cherchant à profiter des avantages du soutien de l’État et des collectivités territoriales tout en conservant des formes d’indépendance.

Afin d’explorer la façon dont un consensus s’est progressivement structuré vis-à-vis de ces problèmes, je présente d’abord la situation du secteur du logement social jusqu’en 1950, alors que la production est très faible, puis lors de la période 1950-1977, pendant laquelle elle est au contraire très forte.

1.1. Une insuffisance du soutien public à la construction d’habitations à bon marché (fin du XIXème siècle – 1950)

De la fin du XIXème siècle au lendemain de la fin de la Seconde Guerre mondiale, des

décisions successives permettent, en France, « la naissance d’un modèle » en matière de construction et de gestion de logements sociaux (Flamand, 1989, p. 85). Pendant l’ensemble de la période, plusieurs caractéristiques de ce modèle restent néanmoins fréquemment remises en question : celui-ci doit-il reposer exclusivement sur l’accès à la propriété ou permettre le logement

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de tous, y compris par la location ? quels types de ménages doit-il permettre de loger ? doit-il le faire dans des maisons individuelles ou des immeubles collectifs ? quels opérateurs peuvent être chargés de la construction des logements neufs, et en mobilisant quelles sources de financement ? (Carriou, 2010, p. 54). En plus de ces questions, l’intervention publique dans le secteur du logement, jusqu’alors quasi-inexistante, suscite une importante controverse. En effet, de nombreux acteurs souhaitent s’assurer que la réponse aux difficultés que rencontrent les classes populaires à se loger ne conduise pas à la constitution d’un « État social » qui limiterait l’« initiative privée » (Guerrand, 1967). Dans ce contexte, les lois, réformes et plans qui se succèdent consistent en un ajustement progressif : les démarches résultant du positionnement idéologique libéral formulé ci- dessus sont modifiées face au constat de leur échec à susciter la construction d’un nombre important de logements. Cet ajustement peut être qualifié, comme le propose M. Roncayolo (1998, p. 154), de « bricolage social ».

1.1.1. La nécessité de l’intervention publique face à un usage insuffisant du dispositif HBM (fin du XIXème siècle – 1928)

À la fin du XIXème siècle, l’habitat populaire « redevient la grande inquiétude », dans la

mesure où « loyers élevés et surpeuplement vont de pair » dans la plupart des villes françaises (Roncayolo, 1998, p. 137). Les transformations haussmanniennes, l’intervention patronale et le jeu du marché libre ne sont en effet pas parvenus à améliorer les conditions de vie des ménages les plus modestes, souvent héritées de l’Ancien Régime. La situation touche cependant une part de plus en plus importante de la population du fait de l’expansion urbaine, et elle est mieux connue suite au développement de la statistique et des enquêtes sociales (Roncayolo, 1998, p. 134‑138 ; voir aussi : Guerrand, 1967). Cette situation motive la proposition, formulée par les milieux réformateurs libéraux, de développer des « habitations à bon marché » (HBM), qui permettraient de satisfaire les besoins en logement des ménages modestes. Ces HBM reposeraient sur « un projet social et des valeurs morales : la réhabilitation de la famille autour de son foyer » (Carriou, 2012, p. 36). Les porteurs de ce projet, rassemblés au sein de la Société française des habitations à bon marché (Magri, 1999), parviennent à le défendre devant les institutions de la IIIème République,

malgré des réticences et moyennant quelques concessions. La loi Siegfried, qui en découle, est promulguée le 30 novembre 1894.

Un premier cadre est ainsi conçu pour des interventions privées en faveur du logement populaire, qui permet à l’État « d’‘encourager’ les initiatives, mais nullement d’intervenir directement » (Flamand, 1989, p. 83). Son but n’est pas la production de logements locatifs, mais surtout « la multiplication des petits propriétaires » (Guerrand, 1967, p. 294). En conséquence, l’éligibilité au statut juridique de HBM est ouverte à un éventail très large de personnes physiques et morales, qui ne se limite pas aux seules sociétés privées spécialisées. Seules deux contraintes sont en effet posées pour l’obtention de ce statut : que la personne occupant le futur logement ne soit pas propriétaire d’un autre logement et que la valeur du futur logement ne dépasse pas un plafond prédéfini, différencié en fonction des communes (Guerrand, 1967, p. 264). L’obtention du statut HBM donne alors droit à deux types d’avantages, qui sont des leviers d’incitation proches de ceux qui sont encore mobilisés aujourd’hui : le propriétaire du logement et le constructeur, qui peuvent être la même personne physique, sont exonérés de certains impôts, tandis que plusieurs institutions

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se trouvent autorisées à céder des prêts aux constructeurs de HBM. Il s’agit d’établissements charitables (bureaux de bienfaisance, hospices, hôpitaux), de la Caisse des dépôts et consignations (CDC)1 et, à partir de la loi du 20 juillet 1895, des caisses d’épargne (Guerrand, 1967, p. 294‑296).

Ainsi, dès l’origine, une part de l’aide apportée à la construction du logement social n’est pas à fonds perdus : les emprunts souscrits, même à des taux d’intérêt réduits, doivent en effet être remboursés par le constructeur, qu’il loue le logement ou qu’il l’occupe lui-même. Il lui importe donc d’équilibrer le coût de production, qui dépend de la qualité du logement et du coût du terrain, avec la nécessité du remboursement (Brun, Roncayolo, 2001, p. 313).

Le système mis en place par la loi Siegfried ne permet cependant pas une production de logements significative à court terme : huit ans après sa promulgation, des évaluations font état de la construction de seulement 1 360 HBM (Guerrand, 1967, p. 303). Plusieurs auteurs expliquent cette situation en soulignant le fait que peu des comités départementaux chargés par la loi d’en favoriser la mise en œuvre ont été établis. De plus, le secteur du bâtiment connaît depuis les années 1880 une dépression durable. Il reste aussi peu profitable pour les investisseurs aisés de s’impliquer dans la construction d’HBM au regard d’autres investissements et ce malgré les avantages consentis. Surtout, les institutions prêteuses font preuve d’une grande frilosité : les caisses d’épargne, entre 1895 et 1906, n’ont ainsi distribué que 5 à 6 millions de francs, alors que la loi les autorisait à mobiliser jusqu’à 35 millions (Guerrand, 1967, p. 305 ; voir aussi : Flamand, 1989, p. 107). La CDC, pour sa part, se montre très prudente. Cette institution, fondée en 1816, est chargée de gérer et de rémunérer « les consignations juridiques et un certain nombre de dépôts volontaires qui lui sont confiés par la loi ». Parmi ces dépôts volontaires, la CDC est notamment chargée, depuis 1837, de la gestion de l’épargne que les ménages déposent dans les caisses d’épargne. La CDC a été conçue comme un établissement « intermédiaire entre l’État et les détenteurs de capitaux, visant à assurer que le premier se comportera bien vis-à-vis des seconds » (Frétigny, 2015, p. 48). Cela contribue à expliquer le fait que, à la fin du XIXème siècle, ses instances dirigeantes sont soucieuses du sérieux

des personnes publiques et morales souhaitant emprunter pour construire des logements HBM. En conséquence, la CDC n’accepte de prêter sans intermédiaire aux sociétés d’HBM des sommes importantes qu’à partir de 19052. Elle instaure à cette fin « une véritable administration spécialisée

dans le traitement des dossiers HBM », qui repose sur un étroit contrôle des sociétés, invitées pour obtenir des fonds « à fournir leurs statuts, les noms de leurs administrateurs, l’état de leurs recettes » ainsi que « la description des plans du projet » (Frouard, 2008).

Le vote de plusieurs lois, au début du XXème siècle, a pour but de fluidifier ce système. La

loi Strauss du 12 avril 1906 autorise notamment les communes et les départements à « employer

1 La CDC est dans un premier temps réticente à un usage des « dépôts des épargnants à destination de dépenses sociales » (Frouard, 2008). Des discussions permettent cependant d’arriver à un compromis, qui consiste en la possibilité pour la CDC de « placer un cinquième des fonds qu’elle détient en provenance des caisses d’épargne sous forme d’obligations négociables des sociétés de construction et de crédits » (Flamand, 1989, p. 83). La CDC n’a par contre aucune obligation : elle est la seule juge des demandes qui lui sont soumises (Frouard, 2008).

2 En 1897, la Société des HBM, qui surveille l’application de la loi Siegfried, fait pression sur la CDC, qui a jusqu’alors refusé toutes les demandes de prêt pour la construction de HBM. Est en conséquence mise en place une société de crédit ad hoc en 1898 « pour servir d’intermédiaire entre la CDC et les emprunteurs dont elle se porte garante ». La CDC consent l’ouverture de crédits à cette société à hauteur de 5 millions de francs et à un taux de 2 %, ce qui permet à celle-ci d’accorder en retour des prêts à 3 ou 3,25 % aux constructeurs de HBM. Le système fonctionne, mais l’ouverture de crédits prévue est rapidement atteinte et l’on s’inquiète du fait que « le recours à un intermédiaire renchérit le coût des capitaux » : à partir de 1905, la CDC accepte finalement de prêter directement aux sociétés d’HBM (Frouard, 2008).

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leurs ressources propres en prêts, obligations, actions et terrains offerts aux sociétés d’HBM, de même qu’à leur faire des dons en terrains » (Flamand, 1989, p. 108). Le coût nul ou réduit du foncier cédé par les collectivités territoriales apparaît comme l’un des principaux leviers pour élaborer des opérations équilibrées financièrement. La loi Ribot du 10 avril 1908 crée pour sa part les sociétés de crédit immobilier. Celles-ci peuvent offrir des prêts à des particuliers ou à des sociétés d’HBM, en empruntant auprès de la Caisse nationale des retraites (Flamand, 1989, p. 108‑109). Ces nouvelles possibilités entraînent une augmentation modeste du nombre de HBM produits, mais les trois-quarts environ sont réalisés par des particuliers et par des sociétés non agréées (Carriou, 2012, p. 34‑35). Les premiers ont principalement recours à l’épargne familiale et aux prêts des sociétés de crédit immobilier, surtout pour réaliser des pavillons individuels (Peythieu, 1991, p. 21). Les secondes, qui ne sont pas spécialisées dans la construction de HBM et pas reconnues comme telles par le gouvernement, ne peuvent avoir accès de ce fait aux prêts de la CDC. On suppose en conséquence qu’elles mobilisent des fonds cédés par les patrons des grandes sociétés industrielles français (Carriou, 2012, p. 34‑35).

Dans ces conditions, non seulement le dispositif mis en place par la loi Siegfried est peu efficace, mais il profite en plus surtout à des acteurs qui ne sont pas agrémentés par l’État et qui n’ont pas recours aux prêts de la CDC. Le vote de la loi Bonnevay, le 11 juillet 1912, prend acte de cette situation, en posant la nécessité d’une intervention publique. Elle autorise alors la création d’offices publics d’HBM, sous la responsabilité des communes ou des départements. Ce faisant, elle ne change ni les modalités d’encadrement du dispositif HBM par l’État, ni les conditions de financement et les avantages fiscaux qui en découlent (Flamand, 1989, p. 109). Tout est en outre fait pour éviter une « municipalisation » excessive du logement social : les offices d’HBM sont en effet des établissements publics autonomes, dont la gouvernance n’est que partiellement assurée par la collectivité qui en est à l’origine1 (Brouant, 2014a).

Les difficultés de financement des opérations d’HBM neuves subsistent pendant les années 1910 et le début des années 1920. Accentuées par les nécessités de la reconstruction suite à la Première Guerre mondiale, ces difficultés motivent le vote de deux lois, qui font progressivement passer la responsabilité du financement des HBM de la CDC vers l’État. La loi du 24 octobre 1919 améliore les conditions selon lesquelles les sociétés constructrices d’HBM empruntent auprès de la CDC : elles profitent dorénavant d’un taux réduit (de 2 à 2,5 % en fonction des opérations), « l’État prenant à sa charge la différence entre le taux d’intérêt normal de l’ensemble des placements de la CDC et le taux réduit auquel les avances sont consenties ». Néanmoins, cette mesure ne suffit pas à calmer les réticences de la CDC, qui continue d’offrir des volumes de prêts très inférieurs aux possibilités. L’État décide en conséquence d’octroyer directement les prêts aux organismes par la loi du 26 février 1921. Il prend ainsi à sa charge les risques d’insolvabilité de l’emprunteur, « les fonds pouvant provenir ou non de la CDC ». C’est le début de la production HBM à l’aide des « prêts du Trésor », qui restent bonifiés. Malgré cela, le volume de prêts pouvant être consentis ne connaît qu’une augmentation modeste : des réticences de la CDC, l’enjeu devient la volonté des parlementaires à ouvrir des crédits suffisants lorsqu’ils votent le budget, ce qu’ils ne font à leur tour qu’avec une très grande prudence (Effosse, 2003, p. 21).

1 À titre d’exemple, le conseil d’administration de l’office HBM de Nantes, qui en élit le directeur général, comprend dans l’entre-deux-guerres six représentants de la collectivité, six représentants de l’État et six experts extérieurs. C. Carriou (2010, p. 66‑67) note qu’on peut « s’étonner des libertés d’action de l’office », qui n’est pas « une simple direction des services municipaux ».

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1.1.2. Effets de la loi Loucheur, crise économique et Seconde Guerre mondiale (1928 – 1950)

Le début du XXème siècle a vu l’implication croissante des pouvoirs publics en faveur du

développement de logements HBM : l’État a pris directement en charge les prêts aux constructeurs, tandis que les communes et les départements ont acquis la possibilité de se doter d’offices pouvant réaliser des opérations HBM. Le vote de la loi Loucheur, le 13 juillet 1928, active ce système qui, jusqu’alors, vivotait, en y engageant financièrement et stratégiquement l’État. La conversion des élites politiques à une intervention publique plus résolue en faveur du logement des classes populaires s’explique par une atonie durable du secteur de la construction pendant les années 1920, résultant à la fois des destructions de la guerre, du blocage des loyers mis en place pour limiter les risques d’inflation, des incertitudes financières et monétaires que traverse le pays ainsi que d’une hausse des prix de la construction. Le souci devient moins de promouvoir un certain « ordre social » par l’accès au logement que de mettre en place « un vaste projet de transformation des conditions de vie des masses populaires, qui implique la multiplication du nombre de logements construits » (Carriou, 2012, p. 36 ; voir aussi : Flamand, 1989, p. 243).

La loi Loucheur consiste principalement à programmer, sur cinq ans, la construction de 260 000 logements à bon marché et à poser les conditions nécessaires pour l’atteinte de cet objectif. La mise en œuvre du plan exige notamment de l’Ètat qu’il augmente les volumes de prêts mis à disposition des constructeurs d’HBM (ce qui est fait via un accord avec la CDC) et qu’il encourage la réalisation effective de programmes, ce dont sont chargés les représentants locaux de l’État (Kamoun, 1999, p. 62‑63). Des conditions de financement relativement souples sont de plus prévues, tandis que les départements, les collectivités territoriales et l’État sont incités, sous certaines conditions, à apporter aux opérations un financement complémentaire (Kamoun, 1999, p. 67). Le programme envisagé est assez diversifié : 120 000 des logements prévus doivent être en accession à la propriété, 80 000 en locatif, et 60 000 logements doivent être « à loyers moyens » (Kamoun, 1999, p. 63). Cette nouvelle catégorie de logements, introduite par la loi, est plus confortable que les HBM classiques, mais elle bénéficie de prêts à des taux moins avantageux et est donc plus chère à la location : c’est le début de la différenciation de la production du logement social selon l’articulation entre le mode de financement du logement et les moyens de ses occupants (Roncayolo, 1998, p. 152).

Dans les faits, la loi favorise surtout l’accession à la petite propriété, en améliorant notamment les conditions du recours aux sociétés de crédit immobilier. Dans le même temps, elle structure cependant un secteur HBM aux « frontières » de plus en plus nettes1. La loi du 5 décembre

1922, qui codifie l’ensemble des textes relatifs à l’activité HBM, y avait déjà contribué en créant en quelque sorte un label : seules les sociétés anonymes d’HBM (SA d’HBM), les sociétés coopératives

1 Y participe aussi la création, le 5 juin 1925, de l’Union nationale des fédérations d’organismes d’HBM, qui ne rassemble que des sociétés agréées. Elle est en concurrence directe avec la Société française des HBM qui continue, pour sa part, à « vanter les mérites de l’initiative privée » et finit par disparaître dans la deuxième moitié des années 1920 (Kamoun, 1999, p. 64). La loi Loucheur prévoit aussi que les départements doivent obligatoirement créer un office d’HBM s’ils n’en sont pas dotés et qu’une société HBM ou une société de crédit immobilier n’intervient pas au sein de leur périmètre (Kamoun, 1999, p. 66).

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d’HBM, les offices publics d’HBM et les sociétés de crédit immobilier peuvent dorénavant utiliser le sigle dans leur titre ou dans leur argumentation commerciale. À cela s’ajoute en 1928 le fait que, pour réaliser des HBM, la loi Loucheur impose à une exception près de passer par un des types d’organismes agréés cités ci-dessus (Kamoun, 1999, p. 63). La diversité des producteurs d’HBM se trouve ainsi considérablement réduite.

Une autre décision contribue à la différenciation entre l’ensemble des constructeurs et ceux qui, parmi eux, ont été « agréés HBM ». Ces derniers n’ont en effet pas accès au système mis en place par le décret-loi du 15 août 1937. Ce texte vise à relancer la construction en France, sans pour autant engager un volume de fonds publics comparable à celui que nécessite la réalisation d’HBM. Outre des mesures visant à améliorer les conditions du crédit et l’octroi d’exemptions et de réductions fiscales, il donne « aux personnes contractant un emprunt en vue de la construction d’habitations » la possibilité de jouir de bonifications d’intérêts. Il s’agit d’une aide consentie par l’État aux organismes bancaires prêteurs (et notamment au plus important d’entre eux à l’époque, le Crédit Foncier), qui permet ensuite à ces derniers de proposer des prêts à des taux abaissés. Ce système profite particulièrement aux ménages de classe moyenne capables d’orienter leur épargne vers l’immobilier (Effosse, 2003, p. 55). Dans la mesure où le dispositif apparaît comme attractif, il détourne certains ménages souhaitant construire une maison des offres des producteurs d’HBM (Carriou, 2010, p. 73). Surtout, il contribue à créer, à côté de la construction « libre » et des HBM, « un troisième secteur de financement du logement mêlant capitaux publics et capitaux privés », souvent qualifié de « secteur aidé » (Effosse, 2003, p. 56). Trois circuits de financement du logement deviennent ainsi plus clairement indépendants.

Dans ce contexte, le système mis en place par la loi Loucheur aboutit à des réalisations relativement importantes : 180 000 logements HBM sont ainsi construits entre 1930 et 1933, dont 50 000 logements pour la seule année 1932 (Carriou, 2012, p. 40)1. Cependant, la loi n’engage pas

systématiquement les crédits nécessaires à la réalisation du plan, et exige que ceux-ci soient votés chaque année par le parlement. En 1933, alors que les répercussions de la crise économique de 1929 motivent une concentration des investissements publics sur l’appareil productif, les crédits