• Aucun résultat trouvé

6 – 1 L’autonomie de Monsieur B et la question de la contrainte ?

Chapitre V : Analyse monographique d’un parcours familial

V- 6 – 1 L’autonomie de Monsieur B et la question de la contrainte ?

Dès le premier entretien, les difficultés de gestion de budget sont mises en avant par Madame B. « oui parce que je suis obligée de faire les factures de téléphone, la comptabilité, il y a un conflit pour le rangement des papiers parce qu’on range d’une façon et lui il oublie et pose les papiers et ne sais plus où, c’est fatiguant pour moi …il ne reconnait pas ma façon de ranger … il n’a pas confiance en moi. C’est souvent la grosse discussion car je lui dis si tu ne peux pas avoir confiance après 52 ans de mariage, ça me fait mal au cœur. » (VI, L. 119 – 123).

Cette question de la perte d’autonomie dans le contrôle des finances familiales perturbe fortement la relation dans le couple mais aussi la relation familiale.

Monsieur B. a réellement une diminution d’aptitude pour ce type de mécanisme cognitif. Son épouse n’avait pas l’habitude de prendre ce type de décision et se retrouve dans un rôle non coutumier pour elle. Il existe un malentendu entre les deux, son mari ne perçoit pas tous les tenants et aboutissants liés à sa difficulté cognitive, son épouse se sent désavouée par l’attitude de son mari et l’interprète comme une défiance envers elle. La surcharge trop importante amène madame B à désigner son fils comme garant des finances de la famille.

V-6-1-1 Transposition didactique du thérapeute :

Il se soucie dans un premier temps de ce que peut comprendre Monsieur B. en mettant en avant la coutume familiale et le rôle du chef de famille. « C’est lui qui dirigeait beaucoup de choses avant, il conduisait seul la voiture, il prenait les décisions ? » (VI, L. 127 – 128). Puis il questionne la relation du couple et l’incertitude face à l’avenir. « Vous avez du souci pour l’argent pour le futur ? Vous pensez pour les héritiers ? » (VI, L. 281).

Ce questionnement ne fait pas bloc dans les interventions de Jean-Marc mais se pose en fonction des thématiques abordées par Madame B.

Nous pouvons remarquer que le thérapeute inclut une notion qui au premier abord n’est pas en lien avec la question de la tutelle : l’héritage. Cette question ne fait sens que si l’on interroge le rôle propre du chef de famille garant de la transmission.

Plus tard dans l’entretien, Madame B signale qu’elle a déjà pensé à une solution, son fils Patrick peut gérer le budget familial. Monsieur B est perturbé de cette situation expliquant que son épouse n’a jamais manqué de rien, qu’il ne lui a jamais refusé de prendre de l’argent, soulignant son discours de gestes significatifs comme sortir son portefeuille…

A la fin du premier entretien, Jean-Marc et la co-thérapeute ciblent comme prioritaire la question de la compréhension de la modification des rôles familiaux vis-à-vis de l’argent. Le cadre thérapeutique va s’élargir en invitant le fils à la prochaine séance un mois après. La notion du temps est très importante dans l’accompagnement systémique. La période d’un mois entre les séances donne la possibilité à la famille de réfléchir sur les questionnements et les injonctions durant la séance de thérapie familiale. La mise en place d’un suivi avec la co- thérapeute apporte un relais dans cette temporalité.

« Un système exige un certain laps de temps pour développer, en réponse à une intervention bien ajustée, ce tourbillon de rétroactions qui provoque un changement observable. » (Selvini M., 2008, p.130).

Lors du deuxième entretien, l’attitude de défiance de Monsieur B est très lisible analogiquement, il bouge et ne peut fixer son attention, il a des gestes brusques et regarde son fils interrogeant le pourquoi de sa présence ici.

Comme pour le premier entretien, Jean-Marc resitue le pourquoi de la rencontre après avoir pris en considération les tensions de Monsieur B.

Il fait connaissance de Patrick et soulève rapidement avec lui le problème : « Là vous parlez de la dette affective du fils envers ses parents et là nous ne pouvons rien là-dessus » (VII, L. 635 – 636).

Il souligne la culpabilité du fils vis-à-vis de sa situation géographique et de l’attachement de celui-ci envers le couple.

Implicitement en disant que sur la dette affective nous n’y pouvons rien, il souligne l’impuissance de pouvoir agir sur les événements passés, nous ne pouvons que les nommer pour faire avec … L’élément de la dette est un facteur qui n’avait pas été pris en compte par la famille dans le jeu relationnel.

Nous voyons à ce moment l’intérêt de l’institutionnalisation dont nous avons parlé plus avant. Jean-Marc prend son rôle de médecin psychiatre en clarifiant les craintes qu’il a perçues chez Monsieur B au sujet des aspects financiers, les dérèglements du couple en lien avec cette préoccupation et l’aspect légal de la protection des personnes.

Analogiquement Monsieur B est très attentif au discours, le fils acquiesce et Madame B regarde son fils et son mari comme pour s’assurer de la bonne attitude de chacun vis-à-vis du discours médical.

L’information pertinente de la procédure de protection permet une clarification qui semble rassurer chaque participant. Le fils ponctue le discours sur la protection de Jean-Marc par un « hum, hum, ça c’est excellent » (VII, L.667).

A la préoccupation du fils de ne pas faire de vague, de conflits, Jean-Marc réaffirme le principe de réalité en disant que tout changement provoque des tensions, des craintes. L’essentiel est de verbaliser la dimension émotionnelle et de permettre à Monsieur B de le verbaliser aussi.

L’effort d’adaptation et d’explication que peut faire le thérapeute envers Monsieur B est une illustration de la transformation nécessaire de la communication. « Je reprends, Monsieur B, la question que pose votre femme, c’est celle pour les comptes, comment le faire calmement pour préparer l’avenir ? Ça commence par une lettre de votre fils et de votre femme demandant que cette mesure, cette sécurité soit mise en place, elle est mise en place par la loi française. » (VII, L. 695 – 698).

Monsieur B finit sur le moment par comprendre, « alors c’est pour cela que j’ai été appelé ? » (VII, L. 742) et il devient réceptif à la proposition.

Cela ne veut pas dire qu’il n’oubliera pas dans quelque temps l’objectif de la procédure de protection, mais devant l’épouse et le fils, le thérapeute montre qu’il est possible encore d’atteindre une négociation avec Monsieur B autour de la contrainte et de la perte d’autonomie.

J-L Le Moigne parle d’une intelligence de la complexité, « faire avec » plutôt que de chercher à la maîtriser. (Le Moigne J-L, 2009).

V-6-1-2 Transposition didactique des aidants :

Nous notons une congruence entre l’hypothèse du thérapeute sur la notion de transmission et d’héritage lors du premier entretien et le discours en fin de deuxième entretien de Monsieur B sur la préférence familiale. « Il faut bien faire les choses pour l’héritage […] Pouf je ne peux pas m’expliquer, je ne peux pas dire ma préférence pour personne. […] sa mère était bien gentille […] elle est décédée trop jeune alors … (sanglots, silence) » (VII, L. 728 – 738). Monsieur B souligne le besoin de temps pour le changement, son changement (VII, L.722). Le fils a pu écrire la lettre avec sa mère en présence du père. Selon les dires de la co- thérapeute, lors du premier entretien avec Madame B, celle-ci souligne le changement d’attitude de son fils qui accepte beaucoup plus les comportements inadéquats de son père et fait un effort pour transformer sa communication pour la rendre plus accessible.

Pour l’épouse, il reste une marque, une déception quant à la confiance que peut apporter son mari depuis 52 ans.

Cependant entre le deuxième et troisième entretien, les tensions sur ce sujet ont diminué puisqu‘une lettre a été faite et que le temps pour la mise en place de la protection reste long (six mois) et permet une accommodation à cette nouvelle situation.