• Aucun résultat trouvé

5 L’analyse de la posture didactique du thérapeute :

Chapitre V : Analyse monographique d’un parcours familial

V- 5 L’analyse de la posture didactique du thérapeute :

« En me faisant le récit d’une existence dont je ne suis pas l’auteur quant à l’origine, je m’en fais le co-auteur quant au sens » Ricœur P. (citation Mugnier J-P, 2008).

V-5-1 La dévolution

« L’un des objectifs de la relation d’aide, qu’elle soit reconnue clairement ou non comme thérapeutique, est de donner à chacun la possibilité de se réapproprier le sens de ses actes. Que la référence soit systémique ou analytique, il s’agit toujours de permettre à un individu de se reconnaître comme l’auteur de son destin plutôt que de se croire agi par lui » (Mugnier J-P, 2004, p 58).

Pour reprendre la définition de la dévolution, pour que l’élève apprenne, l’enseignant ne peut dire ce qu’il attend de lui. (Marchive A., 2002). Par la dévolution didactique, l’enseignant refuse volontairement de faire son métier d’enseignant pour que l’étudiant fasse son métier d’étudiant et qu’il ait une responsabilité dans la construction de son savoir (Minder M., 2007). La dévolution consiste pour l'enseignant, non seulement, à proposer à l'élève une situation mais il doit susciter chez lui une activité, non pas pour faire plaisir à l’enseignant, mais pour servir son propre développement pratique et ses propres connaissances.

Nous avons vu que le lieu de la consultation familiale permettait un cadre non seulement thérapeutique mais aussi didactique. Il permet de mettre en place un contexte d’apprentissage sans le nommer.

Dans l’entretien, nous pouvons repérer quelques leviers qui favorisent la dévolution.

V -5-1-1 Essayer de ne pas savoir : le temps et l’autosolution

G.Ausloos parle d’activation du processus familial en sachant attendre que le temps du processus se fasse. « Notre désir de comprendre, notre désir herméneutique, notre désir de découvrir nous empêchent souvent de laisser les gens se réapproprier leur vécu. » (Ausloos G., 1995, p.33).

Les familles ont la compétence d’expérimenter leurs autosolutions pour peu qu’on active le processus qui les y autorise.

Par exemple, Jean-Marc reformule des propos de l’épouse à son mari et permet de comprendre plutôt que de transmettre sa compréhension. Par cette attitude, il propose des modes de communication prenant en compte les troubles cognitifs de Monsieur B.

La reformulation adaptée apporte une nouvelle forme d’entrer en contact. (VI, L.199 – 205). Monsieur B. : quoi ?

Madame B. est-ce que tu me demandes si j’ai des problèmes ? Mai aussi j’en ai mais ça lui passe par-dessus la tête … il s’en va dans son monde …

JMD vous avez entendu ce qu’elle a dit ? Vous n’avez pas entendu ce qu’elle a dit ? Elle demande si vous lui adressez de temps en temps des questions pour savoir comment elle va ? Comment elle va ?

Monsieur B. : Je m’en préoccupe un peu, pas tous les matins …

Dans le deuxième entretien, après un monologue du fils, il finit par s’adresser à son père. Manifestement le père répond à côté du discours de Patrick. Plutôt que de dire au fils d’améliorer son mode de communication, Jean-Marc interroge le père pour savoir s’il a compris. (VII, L. 620 – 624).

Monsieur B : pas tout

JMD Qu’est ce qu’il disait ? Est-ce que vous avez retenu ce qu’il disait ? Monsieur B rien du tout

JMD : rien du tout … (en regardant vers le fils) est-ce que vous avez conscience que lorsque vous parlez comme cela, il ne comprend pas ?

Il confirme la position de Monsieur B en l’incluant dans une discussion qui le dépassait et montre implicitement la capacité de Monsieur B. à se reconnecter de façon cohérente.

Progressivement, la discussion autour de la tutelle inclut Monsieur B, lui permet d’expliquer ses craintes sur l’héritage. Jean-Marc poursuit son rôle de « traducteur » entre l’épouse, le fils et le mari. Le fils perçoit la nécessité d’une « pédagogie à faire pour expliquer tout cela » (VII, L. 719).

La solution n’est pas de faire sans Monsieur B et de le mettre devant le fait accompli en demandant la tutelle, mais bien de prendre le temps nécessaire pour expliciter la situation à Monsieur B dans un lieu calme (la maison), avec un professionnel spécialisé qui peut faciliter la parole (l’assistante sociale), où chacun prend ses responsabilités.

V-5-1-2 La circularité :

« Nous appelons donc circularité notre conscience, ou mieux encore, notre conviction, d’être capables d’obtenir de la famille (et donc de lui donner) de l’information authentique […] chaque membre est invité à nous dire comment il voit la relation entre deux autres membres de la famille. » (Selvini M., 2008, p.150).

Dans le deuxième entretien, Jean-Marc demande au fils : (VII, L.631 – 641). JMD : Comment vous voyez la relation entre votre père et votre mère ?

Patrick : je sens beaucoup de tension entre eux, papa perd la mémoire et maman est très fatiguée, elle a du mal à accepter d’être aidée. Et moi je ne suis pas toujours là.

Madame B : oui mais tu as ta famille et quand j’ai un problème je téléphone. JMD : là vous parlez de la dette affective du fils envers ses parents et là nous ne pouvons rien là-dessus

Patrick : non

Madame B : il ne faut pas qu’il se …

Patrick : par ailleurs, je sens qu’il y a certains sujets qui amènent des désaccords, des tensions qui existent, qui, à mon sens, ne devraient pas exister et qui sont lourdes, je pense notamment à la question de la gestion financière de la maison …

Par cette circularité, Jean-Marc interroge le lien dans la famille. Il fait décrire les tensions dans le couple, les liens blessés, mises à l’épreuve. La verbalisation sur le couple amène Patrick à parler de lui, à identifier sa difficulté à accepter sa position « d’arbitre », un match se joue, celui de la vie malgré tout. Cette circularité oblige chaque protagoniste à se définir selon sa responsabilité.

V-5-2 L’institutionnalisation

De façon implicite lorsque le contrat se passe, le travail du thérapeute ne se résume pas à mettre en place une scène didactique pour permettre à l’aidant de rassembler ses connaissances, puis de réintervenir en fin de séance en institutionnalisant le savoir.

Le thérapeute doit pouvoir permettre le lien entre le problème et la famille. A travers les situations accessibles à son entendement, l’aidant devient apprenant en redonnant du sens aux savoirs nécessaires pour résoudre le problème.

G.Brousseau écrit à propos du professeur qu’ « il doit aussi donner les moyens à ses élèves de retrouver dans cette histoire particulière qu’il leur a fait vivre, ce qu’est le savoir culturel et communicable qu’on a voulu leur enseigner. » (Brousseau G., 1986, p38).

Il s’agit en systémique d’une attitude interventionniste où le thérapeute énonce certains savoirs pour ébranler les certitudes de la famille. (VII, L.649 – 658)

JMD si je me permets d’intervenir c’est qu’il va falloir que l’on soit là un peu limité dans le temps parce que votre père a des capacités d’attention et des efforts à faire pour comprendre et suivre une conversation surtout à plusieurs, cela impose des entretiens qui ne durent pas. Je reformule ce que vous venez de dire … La dernière fois que nous nous sommes vus avec votre père et votre mère sur la gestion de l’argent il y avait des difficultés … votre père avait un rôle auparavant et il n’est pas prêt de le lâcher

Patrick oui

JMD deuxième chose, il a peur par rapport à ses biens qu’il y ait des choses qui se passent mal. Et le troisième aspect, c’est qu’il y a des lois en France qui permettent de mettre des protections où une personne désignée peut être responsable de la gestion.

Jean-Marc définit l’impact des troubles sur l’attention de Monsieur B soulignant un principe de réalité qu’il est nécessaire que tout le monde prenne en compte durant l’entretien. Il parle de la nécessité de la prise en compte de la maladie dans le fonctionnement quotidien de la famille. Il donne sa lecture de ce que laisse voir la famille.