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1 : L’AUTOMOBILITE AU QUOTIDIEN

Nous allons présenter trois aspects caractérisant la réalité de la mobilité quotidienne et locale auxquels l’automobilité doit être confrontée. Ce sont trois aspects qui pourraient mettre l’automobilité en défaut puisqu’ils font partie de la mobilité quotidienne mais n’entrent pas dans les éléments sur lesquels nous avons construit la définition de l’automobilité : la mobilité quotidienne hors régularité, pour des individus résidant dans le périurbain mais tous différents, soumis à la conjoncture économique et politique qui peut induire des changements soudains. En fait, tous ces aspects sont plutôt profitables à l’automobilité car ils témoignent aussi d’une construction des itinéraires selon une logique oeuvrant à la pérennité de l’espace habité.

Tout d’abord, nous les présenterons séparément puis, nous illustrerons leur pertinence dans la vie quotidienne.

Chap 6 - 1, 1 : La mobilité quotidienne n’est pas que routine

Le concept de régularité est très bien repéré par les auteurs s’intéressant aux formes de la mémoire géographique : cartes mentales et territorialité (c.f. chap 4 - 2, 1 et 2).

Or, cette régularité n’est pas présente dans tous les déplacements. La lenteur, accompagnant la régularité comme facteur de meilleure mémorisation, est limitée aux déplacements à pied ou à deux roues. Ces

déplacements concernent des espaces au coeur du quotidien (les alentours de la maison, du lieu de travail, etc.) ou bien alors totalement inconnu (comme dans la simulation de notre enquête, c.f. chap 5 - 1, 1 et 2). La régularité proprement dite est aisément repérable, installée par des temps sociaux tels que le travail ou encore la formation.

Mais la mobilité n’est pas que régularité. Une partie de la mobilité échappe totalement aux auteurs qui rapportent leurs observations quant à la mémoire géographique. Il s’agit de cette mobilité qui accompagne un motif relevant plus de l’opportunité que de la contrainte et qui ne se répète pas, ou de façon si ténue qu’elle ne peut être prise en compte : se rendre à un événement culturel ou à une brocante…

Cette mobilité, hors régularité, mais se déroulant dans la vie quotidienne relève de l’« univers de choix », propre à chaque individu : « L’existence de certaines régularités, tout comme le jeu des contraintes spatio-temporelles et interpersonnelles montrent que l’individu dispose de marges d’action limitées. Ces marges de manoeuvre définissent son univers de choix. Celui-ci est la résultante non seulement de ces contraintes qui pèsent sur lui, mais aussi des ressources (temps, argent, mode de locomotion…) dont il bénéficie. »380

A l’échelle individuelle, l’univers de choix porte sur des marges d’action faibles. Sous l’effet des déterminants individuels (ressources économiques, culturelles, psychologiques) et de contraintes de l’environnement (conjoncture économique et sociale, environnement spatial), les facteurs de remise en cause de ces marges existent et tendent à les réduire tout au long de la vie.381

A l’échelle collective, cela permet de créer des modèles de déplacement qui représentent de façon dynamique des stratégies de déplacement. C’est particulièrement le cas à propos des phénomènes d’heures de pointe, pour isoler des “populations cibles” qui réagissent aux modifications de l’offre de transport.382

380 Andan O., « Mouvements, déplacements, transport : la mobilité quotidienne » in Sous la direction de Auray

J.P. et al., Encyclopédie d’économie spatiale, concepts, comportements, organisation, 1994, p.251

381 Andan O. « Dynamique des comportements et univers de choix », Déplacements n°4, 1990, p.11

382 Andan O., « Mouvements, déplacements, transport : la mobilité quotidienne » in Sous la direction de Auray

Il est très difficile de repérer, à l’échelle individuelle, des déplacements entrant dans la catégorie « univers de choix ». Cependant, nous ne pouvons nous comporter comme si ils n’existaient pas. L’exemple des vacances l’illustrera (c.f. chap 6 - 1, 4) mais retenons que, les différents types de mobilité étant liés entre eux, une mobilité irrégulière peut avoir un écho dans le quotidien.

Chap 6 - 1, 2 : Le jeu des «

capacités d’action » individuelles

Au sein du schéma d’activité personnel, quel est le statut de la mobilité quotidienne ?

« L’individu participe à des activités pour satisfaire des besoins fondamentaux et des préférences ; les déplacements en sont une demande dérivée ; les activités utilisent un budget temps limité et des équipements disponibles en certains lieux et à certaines heures ; certaines activités sont fixées en horaire ou lieux et constituent autant de points spatio- temporels fixes, de même que les obligations interpersonnelles ; les libertés de mouvement et de choix d’activités ou de modes de transport sont contraintes par ces fixités spatio-temporelles et les limites du système des transports. »383 Résultante d’un choix selon de nombreuses données comme vu ci-avant ou reliquat de choix économiques ?

L’hypothèse de maximisation d’utilité qui renvoie l’homme à un un homo oeconomicus384 n’a une validité que très limitée dans le domaine de la mobilité en assujettissant cette dernière à n’être qu’un moyen d’atteindre un but, sans signification propre pour l’acteur concerné.385

A l’opposé de cette vision économique, il existe un discours portant sur l’analyse de la mobilité d’après les compétences individuelles de ses acteurs. Dans le cas français, nous considérons S. Juan comme l’auteur

383 Idem, p.250

384 Andan O., « Mouvements, déplacements, transport : la mobilité quotidienne » in Sous la direction de Auray

J.P. et al., Encyclopédie d’économie spatiale, concepts, comportements, organisation, 1994, p.250

ayant exploré le plus exhaustivement cette voie, en y consacrant notamment de nombreuses publications.

Chap 6 - 1, 2a) Définition de la « capacité d’action »

Avant d’aborder en détail ce qu’est la « capacité d’action » et son intérêt dans le cadre de notre recherche, nous voudrions resituer le cadre dans lequel se déroule la recherche de S. Juan. Ce sociologue se penche sur les activités quotidiennes et routinières personnelles. Il scrute la double lecture qu’offre ces activités. Ces activités, bien qu’influencées par des déterminismes sociaux, ont un sens pour les acteurs qui les réalisent et sont motivées par le projet ou la rationalité, orientées par l’affectivité ou la tradition. « Ainsi, dans les mêmes pratiques ou conduites se manifestent à la fois les exigences de fonctionnement du système institutionnel et celles de la vie quotidienne des acteurs. Tout acte a un double caractère : personnel et transpersonnel. »386 Se plaçant du côté des acteurs, il offre une lecture non- institutionnelle (en tant qu’elle ne fait pas référence aux institutions sociales) des associations, des régularités d’activités selon les catégories sociales. Il existe, globalement, pour un même âge de la vie, deux ou trois principaux genres de vie dans chacune des trois grandes classes sociales. Ils diffèrent les uns des autres par la fréquence des sorties ou des rencontres, la place de la vie domestique et de l’intimité, le mode de consommation.387 La sociologie des genres de vie s’avère d’un enjeu croissant puisque, d’une part, l’imaginaire a détrôné la morale en ce qui concerne les motivations quotidiennes et, d’autre part, la vie quotidienne fait appel de plus en plus aux marchandises et aux prestations publiques. Ce qui aboutit au fait suivant : « L’autonomie des acteurs augmentent en même temps que leur dépendance ».388 L’autonomie augmente dans les choix quotidiens grâce à la société de consommation. Mais les choix demandent toujours d’avoir recours aux mêmes circuits consuméristes. L’augmentation de l’autonomie induit donc un espace opératoire pour le concept de « capacité d’action ». Trois 386 Juan S., « Activités ordinaires : une regard sociologique », Sciences humaines n° 88, novembre 1998, p.25 387 Idem, p.27

aspects définissent cette capacité. La capacité d’action est l’hypothèse fondatrice de la sociologie des genres de vie de S. Juan qui elle-même se donne pour objectif de démontrer que l’individu ne se confond pas avec sa situation de classe389. La capacité d’action est stimulée par l’image du futur dont chaque individu est porteur. Enfin, on peut la définir comme étant une « capacité à projeter » et donc de donner lieu à une « moindre interprétation individuelle des situations en termes de chance, de destin ou de soumission à une force supérieure métasociale ».390

Chap 6 - 1, 2b) La « capacité d’action » appliquée à la mobilité quotidienne Deux grands types de trajet existent (tab.8). Ils se caractérisent en plusieurs niveaux dépendant les uns des autres : forme, rapport à l’espace, rapport au temps. De cette analyse, l’auteur déduit « que les trajets, parce qu’ils sont un usage composite, sont un des éléments de la capacité d’action des individus. »391

Dans ce tableau, nous avons récapitulé les principales caractéristiques du rapport à l’espace et au temps associées à une mobilité quotidienne et locale soit radiale, soit de forme bouclée.

389 Juan S., Sociologie des genres de vie : morphologie culturelle et dynamique des positions sociales, 1991,

p.132

390 Idem, p.189 (en note n°1)

391 Juan S.(sous la direction de), Les sentiers du quotidien. Rigidité, fluidité des espaces sociaux et trajets

Tableau 8 : Les sentiers quotidiens

FORME

RADIALE BOUCLEE

Usage quasi exclusif de la VP, domesticité du genre de vie

Parcours balisés par différents arrêts, usage non-exclusif de la VP