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3 : CAPITALISATION DE LA PRATIQUE SPATIALE : IMPACT DU MODE DE TRANSPORT SUR LA MÉMOIRE GÉOGRAPHIQUE

Chap 4 - 3, 1 : Définition

Nous nous sommes intéressés à la cognition dans le but de comprendre comment s’organisait la sélection des données spatiales et d’en dégager le rôle de l’automobile ou de tout autre mode de transport.

C’est pourquoi, afin de préciser le processus dont nous pensons qu’il régule au niveau personnel la mobilité quotidienne, nous parlons de capitalisation de la pratique spatiale. Nous le définissons comme le mode selon lequel les représentations, mémorisées lors de la mobilité quotidienne, s’ajoutent à l’expérience déjà acquise et participent à leur tour à son déroulement.

Nous comprenons “capitalisation” au sens financier : ajout des intérêts au capital comme si toute expérience laissait une trace que l’on peut mettre à profit ailleurs, à un autre moment.

Avec cette définition, nous ne dérogeons pas au cercle vertueux décrit plus haut et respectons les fonctions de perception et représentation ainsi que les liaisons entre elles. Nous avons dépeint ce cercle vertueux sous les “couleurs” de la mobilité quotidienne. C’est-à-dire avec les tenants et aboutissants propres à ce domaine.

On peut admettre que l’on ne s’est pas encore engagé pour une étude de la capitalisation de la pratique spatiale de l’automobile car nous n’avons parlé que de capitalisation de la pratique spatiale dans la mobilité quotidienne. C’est une façon pour nous d’avancer que ce concept est opérant pour l’ensemble des modes. Il nous faut donc encore justifier le fait de parler de la capitalisation de la pratique spatiale de l’automobile plutôt que de celle des autres modes.

Chap 4 - 3, 2 : Capitalisation de la pratique spatiale et modes de transport Chap 4 - 3, 2 a) Tous les modes de transport sont concernés

Notre hypothèse de “capitalisation de la pratique spatiale” pourrait s’appliquer à tous les modes indifféremment. Cela entre en concordance avec les réflexions développées auparavant. En effet, cette hypothèse, propre à décrire l’influence des modes de transport, découle de références à caractère général sur les mécanismes cognitifs appliqués à la mobilité quotidienne. Le reste n’est que choix d’orientation de nos travaux.

En revanche, il faut remarquer que nous ne pourrions traiter de front la “capitalisation de la pratique spatiale” de tous les modes de transport et cela du fait qu’à l’échelle de chaque mode, il faut repérer les perceptions et représentations particulières. « Il faut opposer les moyens de transport en commun et les moyens individuels. (…) Il est certain que le trajet en autobus focalise l’attention sur les stations ; les espaces intermédiaires sont souvent des « couloirs » plus ou moins inaperçus. A.S. Bailly remarque déjà, à propos de cette enquête, que la perception de l’automobiliste est plus « soutenue », par obligation, car le passager de l’autobus « n’a qu’à descendre à un arrêt perçu ». »319

Chap 4 - 3, 2 b) Capitalisation de la pratique spatiale et véhicule particulier La dimension individuelle des mécanismes cognitifs d’appréhension de l’environnement humain plaide pour qu’on associe leur analyse dans la mobilité quotidienne, par simplification, à un moyen de transport individuel. D’une part, l’automobile - pour le cas du conducteur - offre la possibilité d’être acteur de son déplacement sur le réseau. Cela n’est pas sans contrainte (stress par exemple). S’intéresser à la mobilité quotidienne effectuée avec un mode de transport collectif nécessite une approche autrement plus compliquée pour dégager les facteurs explicatifs. D’autre

part, avec le mode automobile, les interactions entre la technique et l’homme sont plus aisées à cerner.

On peut, en dernier lieu, nous objecter le fait que nous aurions pu aussi étudier le vélo. Au delà de l’automobile, il faut noter, à la suite de W. Sachs, que c’est l’ensemble des moyens de locomotion mécanisés et personnels qui modifie la relation de l’homme à l’espace en lui procurant une sensation de pouvoir par amplification de ses possibilités physiques : il n’y a pas que l’automobile qui ait permis à la société civile de découvrir ce sentiment de liberté de déplacement. La bicyclette est cet autre invention qui, par l’action combinée des muscles et du pédalier, permet de dépasser les marcheurs, d’établir un autre rapport à l’espace. Alors que les automobilistes accomplissent des trajets de plus en plus longs, les cyclistes découvraient une accessibilité dans des lieux environnants.320

Alors, pourquoi associer plus spécifiquement la capitalisation de la pratique spatiale et le mode de transport automobile ?

Le mode automobile offre la meilleure “conquête spatiale”. De tous les modes utilisables pour la mobilité quotidienne, en un temps donné, c’est l’automobile qui permet de se rendre le plus loin. L’échelle actuelle des bassins de vie et les données indiquant que la mobilité quotidienne effectuée en voiture particulière est devenue la norme ont aussi poussé à ce choix (c.f. chap 2 - 2,2).

320 Sachs W., For the love of the automobile : looking back into the history of our desires, 1984, p.101 et

Chap 4 : Conclusion :

Tout le pari, dans ce chapitre, consistait à reconnecter des pans de savoir qui ont des intersections communes mais dont la vision d’ensemble n’avait pas été proposée, du moins de façon exhaustive.

Lorsque nous avons lu les travaux de Moles et Rohmer, nous espérions trouver là un appui. Or, la question automobile est rapidement traitée. Reconnaissant que les télécommunications pourraient perturber le schéma décrit en substituant un « voisinage sociométrique » à la densité géographique321, pour ces auteurs, l’automobile et les autres modes de transport sont opérants à partir de la sixième coquille, « coquille d’anonymat et terrain de chasse : la ville centrée »322. C’est alors l’image exploratoire323 de cet objet - que le profil des pratiques les plus souvent rencontrées met à mal - qui domine : « Emergence moderne du marginal, réconcilié avec la société, se situe l’homme automobilisé, caravanisé : l’homme escargotique, mentalité profonde du trailer et du campeur, dont « l’homme automobilisé » cherche à saisir l’esprit, dans la mesure où l’espace personnalisé et privé de l’intérieur de sa voiture, lui apparaît comme une coquille mobile, indépendante du centre urbain et de toute contrainte que la juridiction du parking. »324 Dès lors, nous avons réalisé que nous devrions mener nous-mêmes ce regroupement de travaux.

Concluant le chapitre 3 sur le constat d’une géographie individuelle de la mobilité où l’automobile est un moyen d’habiter à travers sa fonction transport, il nous fallait poursuivre en tentant de comprendre en quoi, pour l’individu, l’automobile intervient dans la réalisation de cette logique géographique.

Ce chapitre constitue le premier temps de notre réflexion. Il s’agissait de poser les repères théoriques : lois générales dont on peut se prévaloir, concepts géographiques et apports d’autres sciences humaines, à travers

321 Moles A. et Rhomer E., Psychologie de l’espace, 1978, p.20 322 Idem, p.51

323 Ibid, p.58 324 Ibid, p.59

lesquels la question peut être traitée. Nous avons ainsi proposé une procédure, la capitalisation de la pratique spatiale, selon laquelle les informations géographiques concernant la mobilité quotidienne pourraient être sélectionnées, retenues et utilisées.

Cependant, nous notons quelques limites à cette démonstration.

D’une part, nous n’avons étudié que le mode automobile dont on voit que l’accès est plus ou moins nécessaire et / ou envisageable selon l’environnement résidentiel et selon les caractéristiques socio-économiques. Tout cela crée des fluctuations dans l’empreinte de la capitalisation de la pratique spatiale.

D’autre part, nous pouvons estimer que nous avons dégagé, avec la capitalisation de la pratique spatiale, un canevas, assimilable à un processus de fonctionnement mais la matière sur laquelle il repose, ne peut être atteinte ; ce qui limite l’analyse que l’on peut en faire. En effet, il nous est impossible de définir précisément le capital dont chacun est doté au début de sa mobilité autonome325 et qu’il entretiendra durant toute sa vie. Nous avons parlé de capitalisation, c’est-à-dire de fructification du capital mais ce capital de base nous ne le connaissons pas. En revanche, si on ne peut pas parler du capital en tant que tel, on peut dire que sa constitution se fait pour une grande part durant l’enfance avec l’acquisition de différents mécanismes auxquels on fait appel tout au long de la vie (perception et représentation). Ainsi, l’approche cognitive de l’espace permet de comprendre que chacun est doté de mécanismes de découverte de l’espace qui, suivant l’ensemble des conditions de vie, sont plus ou moins mis à contribution et, par la suite, entraînés.

Le mode de transport recouvre une importance particulière au sein de la capitalisation de la pratique spatiale car, de lui dépend le style d’informations retenues, bases des représentations mentales.

C’est en se penchant sur la question de la réutilisation des représentations dans la vie quotidienne, que nous espérons comprendre pourquoi le mode

325 Mobilité autonome que nous fixons à 16 ans et que nous définissons par le fait que la décision de se déplacer