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4.1 Premier constat : Les usagers de l’aire de restauration

4.1.4 L’aspect interactionnel

L’appropriation des usages

Tout type d’espace se voit régi par des usages que l’individu s’approprie et qu’il peut à terme, détourner. Au cours de nos observations de l’aire de restauration du centre

commercial Laurier Québec, de nombreux usages sont apparus et nous avons donc décidé de dresser la typologie des plus récurrents.

Figure 22 – Typologie des usages au sein de l’aire de restauration Laurier Québec

Cette typologie se voit attribuer le code U, pour usage, suivi d’une numérotation. Elle se décompose en dix classes, comme nous pouvons le voir ci-dessus. Chacune de ces classes se décompose elle-même en sous-usages.9 Ces dix usages ont été vus comme les principaux régissant l’aire de restauration. En effet, la récurrence de certains n’était pas suffisamment marquée pour pouvoir être répertoriée. Ici, nous retrouvons ce qui

rythme principalement l’espace et qui peut être attribué aux différentes classes d’usagers ainsi qu’aux différentes classes horaires. Une fois de plus, cette typologie vient enrichir celles déjà mis en exergue précédemment et permettre la mise en œuvre d’équations davantage précises. Notons que certain de ces usages peuvent autant être employé par un individu « passant » dans la zone, que par un individu décidant de marquer un arrêt et d’user pleinement de l’aire de restauration.

Rappelons que dès lors qu’une place, qu’elle soit plus publique ou privée, met des services à disposition des usagers, cela génère des pratiques et des usages. En effet, selon de Certeau (1990), l’espace social ne correspond pas à un système fermé limitant les possibilités d’action, mais peut au contraire offrir de multiples opportunités de pratiques qu’il est alors intéressant d’inclure dans un système. Pour commencer, il semble donc important de définir ce qu’est une pratique ainsi qu’un usage dans le but de comprendre ce qui les différencie. En effet, ces termes ont longtemps été employés comme synonymes, mais possèdent toutefois des approches différentes. En effet, un usage peut contenir plusieurs pratiques. Une pratique se voit donc comme un principe d’émancipation de l’individu. Au contraire, l’usage va contraindre l’utilisateur via des modalités d’usages.

Finalement, la notion d’usage permettrait de rendre compte du degré d’appropriation des individus, capables de détourner les dispositifs. Pour cela, des études d’usages peuvent être menées. Pour Marcela Patrascu, ces études vont se pencher sur ce que les usagers font avec les objets techniques, s’intéresser à leur capacité à détourner les usages prescrits (JAHJAH 2015). L’appropriation des usages se voit donc assez paradoxale. L’usage serait donc rélgé et fondamentalement contraint, mais pourrait à la fois représenter un espace de liberté où les usagers détournent ces usages et s’affranchissent des dispositifs. D’après Bordini, qui s’accorde avec Gibson et sa théorie des affordances, on ne peut pas voir le dispositif uniquement comme un simple texte qu’il suffirait de lire. Au contraire, il accorde à l’usager la capacité d’interprétation, c’est-à-dire la possibilité d’utilisation très variée selon le but recherché. La mise en place d’un usage s’orchestre donc principalement en fonction de l’objectif visé (JAHJAH 2015).

Toutefois, nos observations nous permettent de mettre en exergue un nombre assez important d’usagers qui semblent déambuler plus que marcher avec un but en tête. Nous pourrions qualifier les trajectoires des individus de vagabondages. La flânerie est souvent

présente. Ce qui nous amène à évoquer, pour commencer, la déambulation des individus dans l’espace. Cette dernière fait partie des usages répertoriés au sein de la zone et rentre donc dans notre typologie des usages.

Figure 23 – Représentation spatiale de l’usage U1 (déambuler)

Pour mieux visualiser chaque usage, voici un exemple d’une représentation spatiale qu’il est possible de mettre en œuvre en regroupant les sous-usages sur la carte de l’aire de restauration. Ceci nous aide à comprendre la manière d’agir de l’usager dans l’espace. Nous avons donc pris pour exemple l’usage U1, à savoir l’action de déambuler. Nous pouvons remarquer que cet usage se répartit en zone 2 (zone d’arrêt) et 3 (zone de transit), c’est-à-dire au sein des allées et des zones regroupant le mobilier. Les usagers peuvent déambuler à travers ces dernières de manière libre et y effectuer diverses actions comme par exemple interagir que ce soit avec d’autres usagers ou encore avec des objets technologiques, manger et/ou boire, écouter de la musique, etc.

Certaines actions comme l’interaction (U1.b), ou encore la recherche d’une place où s’asseoir (U1.c)10 peuvent mener, à terme, à d’autres usages généraux comme le fait de commander à manger (U4)11 ou le fait de s’asseoir, de s’attabler (U7) par exemple, et également mener à user de la zone 1, à savoir la zone de service. La décomposition de chacun de ces dix usages nous aide donc à mieux comprendre les divers comportements des usagers ainsi dont s’organise son passage dans l’espace. Via le fait de traverser la zone d’arrêt (U1.d), nous remarquons d’ailleurs que l’individu arrive à s’approprier sans difficulté l’espace. En effet, des allées sont mises à sa disposition et permettent (afford) qu’on les emprunte, toutefois, il arrive que l’usager traverse la zone 2 (zone d’arrêt), à savoir la zone dont la caractéristique principale se veut d’être l’arrêt. Logiquement, les individus l’empruntant doivent avoir pour but de s’y installer et non de juste traverser la zone. Nous remarquons donc une réelle appropriation spatiale. Les usagers, et notamment les habitués, intègrent l’espace avec beaucoup de facilité. L’interprétation de l’usage U1 (déambuler) va nous permettre de soutenir ces affirmations12.

Cette interprétation de l’usage nous permet de mettre en avant sa complexité. En effet, un même usage se voit décomposé en sous-usages que nous pourrions d’ailleurs qualifier de pratiques. Et ces pratiques se voient toutes orchestrées de manière unique, découlant de l’appropriation spatiale évoquée précédemment. Effectivement, reposons notre propos sur le fait que dans la mise en œuvre de cet usage, l’individu utilise à la fois les zones 2 (zone d’arrêt) et 3 (zone de transit), alors que d’un point de vue logique, il se voudrait qu’il n’utilise qu’uniquement la zone 3 à savoir la zone de transit. Logiquement l’action de déambuler ne devrait pas s’intégrer à la zone de repos/d’arrêt, sauf dans le cas où l’individu y déambule pour y trouver une place. Toutefois, ici il nous a été possible d’observer des usagers déambuler à de nombreuses reprises dans la zone 3, sans pour autant avoir l’intention de s’y arrêter.

Cette interprétation de l’usage U1 nous permet également de mettre en exergue l’appropriation matérielle. En effet, l’individu dans la réponse à cette action utilise différents dispositifs pouvant être la signalétique, le wifi, ou encore différents types de mobilier. Nous pouvons donc remarquer à travers cet usage que chaque pratique se repose sur l’utilisation d’un dispositif. Ces dispositifs se voient donc importants, voire primordiaux,

10 Voir Figure 29 – Représentation spatiale de l’usage U1 (déambuler), page 86.

11 Voir Figure 28 – Typologie des usages au sein de l’aire de restauration Laurier Québec, page 84. 12 Voir ANNEXE D : Détail et interprétation de l’usage U1 (déambuler), page 120.

dans l’atteinte du but visé par l’usager. L’appropriation matérielle se réfère à l’ensemble des pratiques sociales associées à un site, incluant les usages, les habitudes de fréquentation ainsi que l’accessibilité (SIMARD et coll. 2009).

Le fort développement connu par nos sociétés mène désormais les places à être régies par diverses conventions diversifiant les pratiques et les usages. En effet, les lieux ont tendance à posséder des usages préconçus et préalablement assimilés par l’individu, que ce soit de manière culturelle ou que cela découle tout simplement de ce que permet (afford) le lieu dans sa globalité. Comme nous l’avons vu, l’usager peut toutefois en détourner les usages et prendre quelques libertés. Pour Michel de Certeau, l’espace social ne correspond pas à un système formé limitant les possibilités d’actions, mais peut au contraire offrir de multiples opportunités de pratiques qu’il est alors intéressant d’inclure dans un système.

C’est alors que nous pourrions évoquer le concept d’appropriation (KAMMER 2006). « L’appropriation est une construction sociale qui se réalise dans le temps, à travers la fréquentation des lieux et en fonction de diverses variables, notamment les attributs géoarchitecturaux du paysage et de l’environnement » (SIMARD et coll. 2009 : 3). Pour Serfaty-Garzon, « l’appropriation est ainsi à la fois une saisie de l’objet et une dynamique d’action sur le monde matériel et social dans une intention de construction du sujet » (SIMARD et coll. 2009 : 3). Finalement, par le processus d’appropriation, l’usager va passer par une étape de saisie de l’objet lui octroyant une dynamique d’action sur le monde matériel et social, et ceci dans une intention de construction du sujet. Cela signifie qu’il va développer un véritable pouvoir créatif sur le dispositif en question dans le but de le coordonner à ses envies, ses valeurs, ses manières de voir le monde, etc. Dans ce contexte, la notion de propriété se rattache donc à des aspects spatiaux, matériels et culturels.

Pour de Certeau, « […] face à l’ordre dogmatique organisé par les autorités et les institutions et face à une culture de masse dominante, des modèles d’actions se révèlent » (KAMMER 2006 : 55). De Certeau va alors parler d’arts de faire, correspondant aux manières d’agir autres que celles auxquelles on pourrait s’attendre. Il va également soulever la question de l’autonomie de l’usager face aux divers dispositifs de

ne se voit toutefois pas pleinement conditionné par le système, que ce soit au sein de la sphère politique, économique, culturelle ou encore urbanistique, etc. L’individu garde une marge de manœuvre non négligeable lui permettant de s’adapter et de générer de nouvelles pratiques auxquelles nous verrons s’y rattacher des affordances.

Interactions et affordances

Les usages que nous venons d’évoquer génèrent leur lot d’interactions que nous allons elles aussi pouvoir classer et rattacher à une typologie spécifique.

Figure 24 – Typologie des interactions se rattachant à l’aire de restauration Laurier Québec

Au sein de l’aire de restauration de Laurier Québec, nous avons pu remarquer la présence de nombreuses interactions, et avons donc décidé de les classer. Cette typologie se voit attribuer le code I, pour interaction, suivi d’une numérotation. Elle se décompose en 3 classes principales à savoir l’interaction humain-humain, l’interaction humain-objet, ainsi

que l’interaction humain-lieu. Chacune de ces classes se voit rattacher à une modalité à savoir haptique, visuelle ou encore sonore auxquelles nous attribuons également une typologie à savoir, EI1, EI2 et EI3.

La dénomination EI correpond à « État Interactionnel ». Notons également que l’interaction peut être désirée comme non-désirée. C’est-à-dire que l’usager peut lui-même provoquer l’interaction, via un objet, comme une borne interactive par exemple, ou en abordant un autre usager. Dans ce cas, l’interaction est désirée et provoquée par l’individu que nous ciblons. Cependant, nous avons observé que parfois l’interaction peut ne pas être désirée et venir à l’usager sans que celui-ci n’ait rien provoqué. Cela peut par exemple émaner d’une tierce personne, ou encore d’un dispositif mis en place par le lieu, comme les écrans dynamiques, qui délivre de l’information en tout temps. Le lieu en lui- même peut également provoquer des interactions non désirées via la diffusion d’annonces sonores par exemple, ou encore via le fond musical qui y passe. Ces derniers pourraient être qualifié de facteurs d’ambiance. En effet, ces derniers créer des interactions principalement permanentes, non voulues et intangibles.

De nombreuses interactions rythment donc l’évolution de l’usager dans l’aire de restauration. Cela peut se traduire par des interactions d’usager à usager relatif à I1. Ces dernières peuvent apparaître lorsque les individus se trouvent en groupe, mais aussi quand ces derniers passent une commande au comptoir des restaurants, ou encore lorsqu’ils provoquent la conversation avec d’autres usagers inconnus, comme souvent le font les retraités. Par exemple, ils leur arrivent de discuter avec le personnel de service. L’usager peut également interagir avec les objets, c’est-à-dire avec les dispositifs présents au sein du lieu. Prenons l’exemple des bornes interactives que nous retrouvons chez Mcdo. Certains usagers vont utiliser cette borne afin de passer leur commande générant donc une interaction. L’objet peut aussi correspondre au mobilier présent dans la zone par exemple. La dernière interaction répertoriée concerne l’interaction entre l’individu et le lieu en lui-même. En effet, cela peut passer par l’interaction générée avec le sol ou de manière plus générale avec ce que permet (afford) le lieu.

Lorsque l’individu pénètre dans l’aire de restauration, il aperçoit l’espace dans la globalité. Ce dernier malgré de multiples dispositifs en son sein, possédant tous leurs affordances propres, possède lui aussi ses potentialités d’actions, vu de manière générale. En effet,

surface afford, ce que la surface nous permet (GIBSON 2014). En corrélation avec la notion d’appropriation que nous venons de voir, Gibson avance que c’est l’homme lui- même qui va modifier son environnement. Pour cela, il va se servir des affordances dans son propre intérêt, afin de faciliter son quotidien. Toutefois, notons que certaines composantes de l’environnement sont non modifiables et que l’individu doit alors s’adapter.

Les prémisses du concept d’appropriation pourraient se référer à cette notion d’adaptation de quelque chose à un usage défini. En effet, l’individu, malgré le fait qu’il puisse s’approprier un objet, un dispositif, ou toute autre chose, débutera toujours par prendre en compte les qualités propres de l’objet en question ainsi que les potentialités d’actions qui en découle. Ce qui mène à la notion d’affordance. L’affordance peut être vue comme « la faculté de l’homme (et de l’animal en général) à guider ses comportements en percevant ce que l’environnement lui offre en termes de potentialités d’actions. Ce néologisme vient en fait du verbe anglais to afford qui peut se traduire comme offrir, permettre ou encore fournir » (LUYAT et REGIA-CORTE 2009 : 298).

Notons que l’affordance d’une chose n’est pas censée se modifier lorsque le besoin ou le désir change. Pour Gibson, c’est l’affordance qui est perçue et non l’objet. C’est une fois que celle-ci est perçue que l’individu prend conscience de l’objet et peut donc se l’approprier et en détourner l’usage initial s’il le souhaite. « The psychologists assume that objects are composed of their qualities. But I now suggest that what we perceive when we look at objects are their affordances, not their qualities » (LUYAT et REGIA-CORTE 2009 : 307). Toutefois, précisons qu’il est possible pour un objet de posséder plusieurs affordances dépendamment de l’individu qui le perçoit. L’émergence de la perception de ces affordances proviendrait, selon Eléanor Gibson, de l’exploration de l’environnement » (LUYAT et REGIA-CORTE 2009).

La prise en compte de ces quatre sphères, à savoir sociale, temporelle, spatiale, ainsi qu’interactionnelle via diverses typologies va permettre de faciliter leur insertion dans le dispositif que nous allons évoquer dès à présent dans la partie solution.

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