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CHAPITRE 1. POLITIQUE PUBLIQUE, TERRITOIRE ET EXPERTISE : ELEMENTS

2. Les formes de territorialisation et les modes d’action publique

2.1. L’ arrangement comme support de l’action publique territorialisée

Une première forme d’adaptation des politiques nationales aux particularités territoriales apparaît dans l’analyse des modes d’action publiques normatives.

2.1.1. Les principes du modèle de régulation croisée.

Dans les années 60, le Centre de Sociologie des Organisations s’est attaché à l’analyse des processus de pouvoir et de décision au sein du système politico-administratif en France. De ces travaux est issu le concept de « régulation croisée » dans lequel sont mis en évidence les contextes relationnels entre l’Etat et les collectivités locales (GREMION P., 1976 ; DURAN P., THOENIG J.C., 1996). Ce modèle est caractérisé par une bipolarisation des acteurs de l’action publique : les représentants de l’Etat et les collectivités locales. Dans un article paru dans la Revue Française de Sociologie, M. Crozier et J.C. Thoenig montrent que les actions publiques locales se construisent au sein d’un processus croisé entre la filière administrative (l’Etat) et la filière politique, « élective », comme la nomme A. Faure, à savoir les maires, les conseillers généraux, les députés (FAURE A., 2002). Le jeu relationnel qui s’établit entre ces deux catégories d’acteurs se traduit par une domination de l’Etat sur la mise en œuvre des processus de pouvoir et de décision en matière d’action locale. Ces relations croisées fonctionnent selon un principe de verticalité où le territoire est administré par l’Administration centrale (DURAN P., THOENIG J.C., 1996). Dans les années 1950-60, la gestion des actions publiques locales sont aux mains de l’Etat. Il identifie les problèmes publiques, formule les solutions, prend les décisions et les applique par l’intermédiaire de ses représentants. L’Etat dispose à cette époque des ressources financières et juridiques qui lui confère une autorité de pouvoir sur les collectivités locales qui n’ont pas les moyens structurels pour jouer un rôle actif dans le développement des territoires locaux. Les actions publiques locales sont conçues et balisées au sein des administrations centrales (FAURE A., 2002). Le territoire local est alors un support aux décisions nationales. Dans ce contexte, il ne reste aux collectivités locales, privées d’autonomie politique, qu’une seule possibilité : « appliquer

une politique qu’elles n’ont pas définies » (GREMION P., 1976).

2.1.2. Une territorialisation fondée sur un mécanisme d’arrangement

Dans le modèle de régulation croisée, la territorialisation se fait par ce que Duran et Thoenig appelle un « mécanisme d’arrangements » entre les collectivités locales et les services de l’Etat. La négociation croisée constitue une « forme d’ajustement local » au sein d’un processus de pouvoir et de décision centralisé au mains de l’Etat (DURAN P., THOENIG J.C., 1996).

Toute politique publique devant être appliquée localement, les administrations procèdent à des ajustements en aval des processus de décision afin d’avoir l’assentiment des collectivités locales sur les mesures à appliquer. Ainsi s’installe un « jeu de négociation » entre les services de l’Etat et les collectivités locales qui repose sur une dépendance mutuelle dans l’application de la politique publique et dans son adaptation au contexte local (DURAN P., THOENIG J.C., 1996).

D’un côté, les services extérieurs de l’Etat trouvent auprès des collectivités locales une aide à la prise en compte des particularités locales et des intérêts multiples en jeu au sein des territoires. L’adaptation des politiques nationales au contexte territorial est facilitée par l’action des élus locaux. Bien que le pouvoir politique local n’ait pas dans les années 60-70 d’autonomie politique, l’administration possède de réelle capacité d’intégration des particularismes territoriaux au sein des grandes orientations nationales. Le travail de Pierre Grémion sur Le pouvoir périphérique met en avant le fait que les institutions locales ne détiennent pas qu’un simple rôle exécutif des décisions nationales mais qu’elles sont de véritables relais locaux ayant pour fonction d’intégrer les spécificités locales dans les actions publiques nationales (GREMIONT P., 1976 ; FAURE A, 2002).

D’un autre côté, les élus locaux trouvent auprès de la négociation le seul moyen mis à leur disposition pour élaborer des compromis et des adaptations dans l’application des politiques publiques.

Ainsi, la cooptation des élus locaux au moment de la mise en œuvre d’une politique publique tempère une procédure fortement centralisée et permet une prise en compte des particularités locales des territoires. Bien que ne répondant pas à nos critères démocratiques actuels le modèle de régulation croisée est une forme de territorialisation de l’action publique en adaptant les décisions nationales au contexte local par l’intermédiaire des échanges qui se créent entre l’administration et les collectivités locales.

Les négociations qui s’engagent avec les élus locaux dans le contexte de la régulation croisée sont une forme de territorialisation des actions publiques à savoir une forme de prise en compte des particularités locales des territoires à travers les arrangements locaux entre l’administration et les collectivités locales.

Selon Duran P.et Thoenig J.C, le modèle de régulation croisée est une réponse à une double volonté de l’Etat à savoir allier d’une part l’assise politique de l’administration centrale dans le domaine de la gestion du territoire et d’autre part intégrer des particularismes territoriaux dans les politiques publiques définies au niveau central.

2.1.3. Les limites actuelles du modèle de régulation croisée

Bien qu’un principe d’échange soit mis en place par la régulation croisée entre la filière politique et la filière administrative il ne constitue pas pour un certain nombre d’auteur à un processus démocratique de prise de décision. La négociation est inscrite dans ce que Duran et Thoenig nomment des « logiques cachées d’arrangements » (DURAN P., THOENIG J.C., 1996). La question de l’action collective et de sa mise en œuvre n’est pas ouvertement posée. Les échanges se font sous la forme de négociations dont l’organisation s’établit au cas pas cas selon la bonne volonté des acteurs en présence et en dehors de tout contexte officiel précis.

Par ailleurs, ce processus de négociation se fait le plus souvent en aval de la procédure de décision au moment de la mise en œuvre des politiques publiques, moment où seuls des ajustements peuvent être espérés sur les mesures politiques envisagées, les décisions sur les actions politiques à mener étant déjà à ce moment fortement exprimées par l’administration centrale.

De plus, les acteurs de la société civile sont exclus du processus de négociation. Les décisions prises le sont au seul regard de l’administration centrale et des élus locaux sans tenir compte de l’opinion publique (DURAN P., THOENIG J.C., 1996). En cela le modèle de régulation croisée va à l’encontre de la vision démocratique de l’action publique que nous avons à l’heure actuelle à savoir un processus participatif qui inclue l’ensemble des groupes d’intérêts.

2.2. L’action collective, un nouveau mode de territorialisation des politiques