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CHAPITRE 1. POLITIQUE PUBLIQUE, TERRITOIRE ET EXPERTISE : ELEMENTS

1. Identités territoriales et politiques publiques

1.2. Définitions et représentations des spécificités territoriales

Nous avons défini la territorialisation comme un processus d’adaptation des normes nationales au contexte local. Si tous les territoires étaient dans leurs limites et leurs contenus identiques, la règle nationale pourrait s’inscrire directement sans soin particulier sur les espaces administrés. Or, ce qui caractérise le territoire c’est justement sa pluralité tant dans ses frontières que dans sa composition sociale, économique, culturelle,… qui lui confère des spécificités propres.

Le territoire présente des contours divers qui méritent d’être clarifiés afin de définir clairement la nature, ou plutôt, les natures des territoires.

Dans la littérature, la notion de territoire se fonde sur trois conceptions dominantes qui déterminent des limites et des contenus au territoire bien différents selon dans quelle approche nous nous situons.

La première est une vision exclusivement politique du territoire, défendue par les politologues, et qui associe le territoire à un espace de légitimité des actions politiques.

La seconde est une vision naturaliste qui limite le territoire à « un espace vital terrestre, aquatique ou

aérien, qu’un animal ou qu’un groupe d’animaux défend comme étant sa propriété exclusive » (ARDREY R.,

1966).

La troisième découle des recherches en géographie sociale qui définit le territoire à partir des représentations sociales et des significations que lui donnent les groupes sociaux (DI MEO G., 2001).

Notre approche vise à appréhender les territoires administrés plutôt que les territoires physiques. C’est pourquoi, nous laisserons de côté la vision naturaliste, au cours de notre analyse, pour privilégier la vision politique et la vision géographique qui vont nous permettre de faire le lien entre espace et politique.

1.2.1. La conception politique du territoire.

Bien que polysémique, le terme de territoire fait référence dans la plupart des travaux scientifiques au concept importé du droit et des sciences politiques qui associe le territoire à un « espace contrôlé-borné » (LEVY J., LUSSAULT M., 2003). Cette définition du territoire renvoie au sens le plus ancien et longtemps le plus courant du terme, celui d’un espace correspondant à la logique de l’Etat avec son exhaustivité interne et des frontières externes. Pour la science politique, le territoire se définit comme la marque essentielle de l’Etat ; il fait référence « au cadre spatial dans

lequel est établie toute communauté humaine, matérialisant sa fixation au sol et déterminant ses contours ainsi que les limites de sa souveraineté » (BADIE B., 1995). Dans le Dictionnaire de Géographie, Jacques Lévy

met l’accent sur le fait que l’Etat se confond avec la société et réduit la société à une composante de l’Etat. Ainsi, il est courant de trouver des définitions qui désigne comme Etat « ce qui est le

territoire dans son ensemble des pays concernés, pour autant qu’ils possèdent une existence géopolitique, et, au delà de toutes les réalités incluses dans ce territoire » (LEVY J., LUSSAULT M., 2003).

1.2.1.1. La genèse du territoire politique

Instrument de l’action politique, le territoire est également l’image d’une représentation de l’espace, elle-même influencée par l’histoire et la culture. L’émergence du concept de territoire est politiquement situé dans l’histoire de l’Etat-nation. Le contrôle territorial s’est construit peu à peu dans le développement des sociétés occidentales en gardant les marques de trois structures politiques et sociétales : la Cité antique, l’Empire romain et la féodalité.

La Cité antique a établi dans l’histoire un lien étroit entre la ville et le territoire. Le territoire est défini comme la terre qui entoure la ville, assurant son entretien et sa survie (BADIE B., 1995). Le territoire renvoie d’abord à une propriété collective et individuelle et n’a pas véritablement de fonctions politiques. La notion de propriété renvoie à l’appropriation et à l’histoire familiale. La citoyenneté dépend d’une appropriation partielle du sol et non de la simple résidence. La Cité marque un usage social du territoire. Le territoire suscite des statuts politiques différenciés du fait qu’il consacre des droits réels aux citoyens et non, parce qu’il aménage un espace. Ainsi, pour Bertrand Badie, la Cité a clairement inauguré l’idée de souveraineté territoriale ainsi que la pratique de la frontière et de la fragmentation.

L’Empire romain quant à lui se rattache à un espace culturel contrairement à l’Etat qui repose sur le territoire. Pour Bertrand Badie, le projet culturel qui fonde la construction impériale est peu compatible avec le principe de territorialité. Selon lui, il suppose « extension, rayonnement et

diffusion » et est, à ce titre, réticent à tout bornage. L’Empire ne connaît en fait qu’une identité,

celle de la culture qu’il promeut et qu’il a pour objectif d’universaliser. Pour le reste, tout particularisme est politiquement négligeable dès lors qu’il ne menace pas l’essentiel. Selon Bertrand Badie, « qu’elles s’effacent d’elles-mêmes en adhérant à l’identité sacralisée, ou qu’elles cultivent, en

restant à leur place, une exceptionnalité tolérée et réglementée, les minorités sont d’autant mieux admises qu’elles ne revendiquent aucun séparatisme territorial » (BADIE B., 1995).

L’Etat moderne est né du dépassement d’une féodalité « exsangue et incapable d’asseoir son autorité » (BADIE B., 1995). Dans le système féodal l’autorité politique est fondée sur des droits réunissant des personnes et non sur l’appartenance à un territoire. L’ordre politique féodal s’appuie sur le

lien d’allégeance des individus. Le seigneur dispose d’un territoire sur lequel il exerce des droits de nature économique, sociale et politique. Le vassal est, quant à lui, privé de tout monopole politique. Dans le système féodal se juxtaposent des unités territoriales dotées de statuts différents et sur lesquelles peuvent s’exercer des compétences multiples, souvent très nombreuses. Le territoire fonde seul le contrôle politique, chacun est soumis à une autorité unique et souveraine, chaque territoire dispose du même statut et l’ordre international dérive de leur juxtaposition, rigoureusement réglementée et dessinée par des frontières.

L’avènement de l’ordre politique moderne implique la plupart des formes pré-étatiques qui firent l’histoire de l’Europe occidentale. La genèse du contrôle territorial moderne est difficile à saisir cependant elle se confond pour beaucoup avec l’avènement de l’Etat-nation. Pour Bertrand Badie, l’Etat-nation tire ses caractéristiques « de sa compétence territoriale, de l’institutionnalisation de la

frontière qui dessine les contours de sa souveraineté, et surtout d’un principe qui exclut tout chevauchement ou toute superposition des territoires sollicitant conjointement l’allégeance d’un même individu » (BADIE B., 1995).

Bertrand Badie identifie l’apparition de la conception politique du territoire au moment du développement de l’Etat-nation moderne, qu’il date à la fin de la guerre de trente ans (traité de Westphalie, 1648). Le traité de Westphalie marque bien le parachèvement d’un nouvel ordre territorial et son officialisation sur la scène européenne. Conclu entre l’Empire et la France, à Munster, entre l’Empire et la Suède, à Osnabrück, ils mettent fin à la guerre de Trente Ans qui constituait elle-même un tournant dans l’histoire des relations internationales. En même temps, conflit de puissances et guerre de religions, heurts entre Etats et décomposition d’un Empire privé de ses capacités d’antan, cet épisode décisif de l’histoire européenne joue un rôle charnière. Le traité de Westphalie transforme l’Empire en une sorte d’Etat fédéral au sein duquel coexistent désormais trois cent quarante-trois Etats souverains : principautés, villes et évêchés. Cette souveraineté va jusqu’au droit de se fédérer, sauf, bien sûr, contre l’empereur. L’ordre territorial qui naît est l’exact reflet des modes de découpage issus d’institutions féodales et impériales qui appartiennent au passé. Cette nouvelle carte qui mit un peu plus de deux siècles pour se simplifier est organisée autour de règles nouvelles. Les territoires qui se juxtaposent jouissent d’une compétence en propre et de plus en plus exclusive ; ils existent en tant que tels et ne sont subordonnés à aucun autre espace, sinon de façon symbolique. L’autorité est désormais inférée du principe de territorialité et non plus des insignes impériaux. La guerre d’inspiration westphalienne est liée au territoire par une longue histoire. Les « guerres constitutives » contribuèrent à dessiner les contours territoriaux d’une Europe dont la géographie politique doit beaucoup à la guerre de Trente Ans et plus tard, au Congrès de Vienne qui scella la normalisation après l’épisode impérial (BADIE B., 1995). Pour Bertrand Badie, la belle époque de la territorialité a probablement atteint son apogée lorsque se concluait le traité de Versailles. Dernier des grands monuments westphaliens, celui-ci n’a pas seulement aboli les derniers empires; il a, selon Bertrand Badie, « cru pouvoir résoudre les problèmes millénaires du vieux continent par un recours naïvement

rigoureux à la thérapie territoriale » (BADIE B., 1995).

1.2.1.2. Un mode de contrôle politique et social

Dans son acceptation politique, le territoire est un instrument de l’action politique. La notion de territoire est liée à une exigence de contrôle des personnes et de gestion des groupes sociaux.

Selon Robert Sack, le territoire fait sens sur le plan politique en tant que mode de contrôle sur les personnes, les processus ou les relations sociales (SACK R.D., 1986). En Sciences Politiques le territoire s’instaure comme un instrument de contrôle politique des groupes sociaux. Suivant Betrand Badie, le territoire devient politique non pas naturellement mais en s’imposant comme instrument de domination au sein de la société (BADIE B., 1995). Il affirme qu’un espace s’établit en un territoire politique dès lors que « sa configuration et son bornage deviennent le moyen

discriminant de contrôler une population, de lui imposer une autorité d’affecter et d’influencer son comportement »

(BADIE B., 1995). Pour Patrice Duran et Jean-Claude Thoenig, la question du territoire est celle de l’assise du pouvoir politique (DURAN P., THOENIG J.C., 1996). Le territoire constitue la principale dimension caractéristique du pouvoir politique dans la mesure où il représente le cadre dans lequel s’exprime la souveraineté. Pour Bertrand Badie, le pouvoir politique s’exerce non pas à travers le contrôle direct des hommes et des groupes mais par la médiation du sol. Si comme le souligne Robert Sack, le territoire est un instrument de contrôle des individus, Bertrand Badie ajoute que ce contrôle ne sera politiquement pertinent que s’il dispose de l’exclusivité c’est-à-dire s’il éloigne les autres sources de production de l’autorité (SACK R.D., 1986 ; BADIE B., 1995). Ainsi, selon Bertrand Badie, le territoire doit être reconnu comme principe structurant des communautés politiques en combattant ou du moins en occultant les identités spécifiques, religieuses, linguistiques, rurales,... Procédant du sol, les communautés politiques sont fondées sur une identité territoriale, un droit du sol et non sur des particularismes culturels. Dans son ouvrage « La fin des territoires », cet auteur synthétise la lecture spatiale du politique de la façon suivante : « le

politique renverrait à une communauté spatiale unique et non à l’appartenance simultanée à plusieurs espaces distincts ; l’espace politique serait territorial par essence et supposerait un centre, une périphérie et une délimitation claire et indiscutable ; cette construction géographique serait à son tour le fondement unique et discriminant de toute autorité politique souveraine : elle créerait les conditions de la souveraineté, déterminerait les espaces de contrainte et d’obéissance, définirait les destinataires d’allocation, déciderait des contours de l’obligation de solidarité » (BADIE

B., 1995). Ainsi, le territoire politique est une représentation spatiale et un support de l’autorité politique légitime face aux allégeances individuelles. La notion de territoire a très tôt lié son destin à un processus de légitimation de l’autorité politique à l’échelon national (FAURE A, 2002). Réalité constituée d’un ensemble d’institutions comprenant des dispositifs de puissance pouvant s’exercer à l’intérieur d’une société ou en dehors, l’Etat dispose au sein d’une société d’une légitimité au titre de sa contribution à l’établissement et au maintien de l’ordre politique (LEVY J., LUSSAULT M., 2003). S’appuyant sur la volonté majoritaire de sauvegarder les structures de l’Etat-nation et de son territoire, les Etats trouvent une légitimité territoriale à faire respecter l’ordre commun. Selon Guy Di Méo, « les Etats ancrés dans leur territoire détiennent toujours, un peu

partout la violence et la contrainte légitimes » (DI MEO G., 2001).

1.2.1.3. Un espace aux frontières strictement délimitées

Instrument d’émancipation de l’ordre politique, le territoire constitue les limites et le support du pouvoir politique. Selon Guy Di Méo, le territoire est historiquement « le support des nations, l’espace

sur lequel s’exerce la compétence exclusive de leurs Etats » (DI MEO G., 2001). Que ce soit en droit

public ou en science politique, le terme de territoire a longtemps été utilisé en étroite relation avec le processus d’affirmation des frontières administratives de l’Etat-nation (FAURE A., 2002).

L’articulation de l’espace en aires bien délimitées apparaît corrélative au pouvoir. L’exercice du pouvoir politique, selon Paul Claval, suppose une organisation particulière de l’espace : « il n’est

possible que dans les limites d’enceintes dont toutes les parties sont également accessibles à celui qui inspecte et dont les issues sont gardées de telle sorte que les mouvements d’entrée et de sortie sont contrôlés et au besoin interdits »

(CLAVAL P., 1978). Dans sa conception politique, les frontières du territoire correspondent aux circonscriptions politiques et administratives. Ses frontières sont strictement bornées au système politico-administratif6 correspondant aux espaces de gestion des problèmes. Les politiques

publiques sont construites en référence à des espaces qui correspondent à la géographie institutionnelle politico-administrative (DURAN P., THOENIG J.C., 1996). Le territoire devient alors l’élément central des identités nationales. Ce sont les frontières, à savoir les limites politico- administratives de gestion des problèmes qui définissent l’appartenance ou non au territoire. Nous sommes dans une configuration où l’appartenance territoriale se définit par l’internalité ou l’externalité géographique, cartographique, à un territoire (BADIE B., 1995). Différentes critiques issues de la science politique ont mis en question les frontières qui traversent le domaine de la politique, structuré en général autour des institutions gouvernementales et de l’Etat, tout le reste étant jugé non politique (LEVY J., 1991). Pour Juan-Luis Klein, cette délimitation du politique ne correspond pas à la réalité contemporaine, en partie en raison « de la moindre pertinence du thème de la

souveraineté nationale et également de la multiplicité et de l’imbrication des sources qui concourent à former l’identité individuelle à différentes échelles, du local à l’international » (KLEIN J-L, 1991). L’idée d’un

système politique perçu comme un univers autonome, attribut de l’Etat souverain, devient archaïque.

Pour résumé la construction théorique du concept de territoire politique nous reprendrons ici la définition que propose Bertrand Badie dans son ouvrage la Fin des territoires : « le territoire est la

projection spatiale, claire et indiscutable, du lien d’allégeance citoyenne unissant un individu, émancipé de son groupe communautaire, à un centre étatique unique, détenteur du monopole de l’action politique » (BADIE B.,

1995).

1.2.2. Le territoire géographique.

En parallèle de la vision politique du territoire que nous venons de voir, les limites et le contenu des territoires tirent leurs spécificités d’un autre courant issu des travaux en géographie sociale. La pensée de Claude Raffestin résume assez bien l’idée générale des travaux en géographie sociale qui considère que le système politico-administratif n’est pas de manière exclusive constitutive du

6 S’appuyant en partie sur les travaux de sociologues et de politologues allemands des années soixante-dix (Ecole de Francfort), Corinne Larrue associe le système politico-administratif à une fonction de transformation de demandes sociétales (inputs) en actions étatiques contraignantes (outputs) (LARRUE C., 2000). Ainsi, Easton D. définit le système politico-administratif comme étant « l’ensemble des institutions gouvernementales,

administratives et judiciaires d’un pays, qui disposent de la capacité apparemment légitimée par l’ordre juridique de structurer n’importe quel domaine de la société par des décisions de nature autoritaire. Ces décisions résultent de processus politico-administratifs qui sont réalisés selon des règles de procédure d’interaction internes et externes précises » (EASTON D, 1965). L’ensemble des acteurs institutionnels chargés

d’élaborer et de mettre en œuvre une politique publique constitue ce que l’on appelle un arrangement politico- administratif (MENY Y., THOENIG J.C. 1996; LARRUE C., 2000). Chaque politique publique est dotée d’un arrangement politico-administratif spécifique et vont agir en interaction avec les acteurs des autres sous-

développement des territoires (RAFFESTIN C., 1980). Di MEO ajoute qu’au contraire « l’instance

politique n’est que l’un des protagonistes majeurs intervenant dans le creuset territorial au même titre que le système économique, les idéologies et les valeurs sociales, sans omettre dans cette énumération la substance et les formes de l’espace » (DI MEO G., 2001).

1.2.2.1. Le territoire, une construction sociale

Le terme « territoire » est d’usage récent dans le vocabulaire spécialisé de la géographie et des autres sciences sociales. Dans le Dictionnaire de Géographie, son émergence est datée du début des années 1980 avec l’édition en 1982 des rencontres Géopoint, « les territoires de la vie quotidienne » (LEVY J., LUSSAULT M., 2003). L’intérêt croissant porté à la notion de territoire ouvre une porte à la discipline géographique pour revenir sur l’étude des effets de contexte et apporter un renouveau dans la façon de concevoir le territoire (FAURE A., 2002). Dès l’introduction de son ouvrage de synthèse intitulé « Géographie sociale et Territoire », Guy Di Méo dénonce l’enfermement dont souffre la notion de territoire en soulignant que les auteurs scientifiques ont trop souvent tendance à cloisonner le territoire « à l’intérieur de frontières trop étroites, restrictives : celles du pouvoir, de

ses institutions et de ses appareils » (DI MEO G., 2001). Di Méo qualifie ces conceptions d’autoritaires

et d’extrêmes. Selon lui, « si le territoire n’échappe ni à l’ordre du pouvoir, ni à l’ordre de la nature, il est

avant tout une construction sociale.

Le positionnement de la géographie sociale se singularise par rapport aux autres disciplines géographiques par l’importance qu’elle accorde à la dimension sociale des territoires : « Parler du

territoire, au sens de la géographie sociale (qu’il ne faut pas confondre, rappelons-le, avec le territoire stricto sensu des sciences politiques, c’est-à-dire celui de l’Etat-Nation), revient à affirmer par hypothèse que, quelle que soit la mobilité des individus, quelle que soit la singularité de leur territorialité, il existe toujours entre deux personnes, agents ou acteurs développant un minimum d’échanges, une connivence, un accord tacite intervenant à un niveau d’échelle particulier de l’espace géographique. Cet accord porte sur l’identification commune des lieux agencés et signifiés d’une certaine façon. C’est bien entendu le nombre, la densité de tels accords, l’intensité de leur conviction qui déterminent la solidité ou la fragilité, la lisibilité (plus ou moins nette) et la stabilité (plus ou moins affirmée) d’une construction territoriale. Une grande lisibilité se traduit par l’instauration de frontières qui délimitent clairement le dedans et le dehors, l’intérieur et l’extérieur, ce qui est le territoire et ce qui ne l’est pas. L’existence de telles limites suppose une forte injection d’idéologie territoriale et de pouvoir, d’organisation politique. Une bonne stabilité s’observe quant à elle dans la dimension du temps long. Elle repose sur des logiques de reproduction d’autant plus efficaces que le pouvoir localisé et la mémoire collective, l’idéologie territoriale qui les alimentent, épousent les enjeux socio-économiques les plus aigus du moment » (DI MEO G., 2001).

En géographie sociale, le concept de territoire repose sur deux éléments majeurs : sa composante espace social et sa composante espace vécu. Pour les géographes, l’espace social correspond à l’imbrication des lieux et des rapports sociaux, ce que Armand Frémont appelle « l’ensemble des

interrelations sociales spatialisées » ( FREMONT A., 1984). Il s’agit d’une démarche qui « objective des rapports dûment répertoriés et analysés par le chercheur, géographe ou anthropologue » (DI MEO G., 2001). Le

concept d’espace vécu, exprime au contraire un rapport subjectif entre les groupes sociaux et systèmes, acteurs sociaux et économiques, qui vont intervenir dans la formulation et la mise en œuvre de politiques publiques (LARRUE C., 2000).

l’espace. Socialisés, les individus imprègnent leur conception du territoire de valeurs culturelles qui reflètent l’appartenance à un groupe localisé. Le territoire est avant tout une construction reposant sur les représentations et les significations que lui donnent les groupes sociaux. Pour Kant, il n’existe pas d’espace géographique en dehors des perceptions et des représentations humaines (KANT E., 1781). Cependant, l’espace représenté ne reflète pas seulement des