• Aucun résultat trouvé

L’approche personnelle du discernement

Dans le document Le discernement en droit pénal (Page 159-163)

336. L’approche individuelle du discernement présente deux constantes. Premièrement, si l’infraction est commise par l’individu, être fait de chair et de sang, il s’agit nécessairement d’un fait tangible, observable et palpable. Dès lors, si la réalisation de cet acte est impossible, il ne peut donc pas y avoir d’infraction. L’inexistence de la chose à voler dans la poche fouillée, la mort préalable de celui sur lequel un criminel assène des coups potentiellement mortels, voire l’annulation du contrat pourtant nécessaire à la constitution de l’abus de confiance sont autant de circonstances qui rendent la commission de l’infraction impossible. Deuxièmement, l’acte s’inscrit sur une échelle de temps « mathématique », celui de la computation « scientifique » du temps en heures, en jour et en années. Dès lors, à lire les articles 64 ancien ou 122-1 du Code pénal, l’état de démence ou l’abolition du discernement doivent respectivement exister « au temps de

l’action » ou « au moment des faits » pour être efficaces. Autrement dit, la concomitance

de l’aliénation mentale avec la réalisation de l’infraction s’apprécie montre en main. En résumé, l’approche individuelle du discernement s’accompagne des deux corollaires suivants : la définition réaliste de l’infraction (ou réalisme infractionnel) et l’appréciation scientifique du temps de réalisation de l’infraction (le réalisme temporel). 337. Cependant ces deux constantes ne permettent pas d’expliquer le droit prétorien dans son ensemble et les « erreurs » d’interprétation des textes par la Chambre criminelle. Il est possible de parvenir à une compréhension cohérente de l’ensemble de la matière pénale en remettant en cause ces deux constantes.

338. Au réalisme infractionnel, il est possible d’opposer une définition intellectuelle

de l’infraction. Certes, le droit pénal ne punit pas les pensées coupables. Certes encore, il

faut que cette conviction coupable s’extériorise pour être punissable. Le fait manifeste est indispensable à la punition de la conviction coupable. Mais les manifestations de cette conviction coupable ne se confondent précisément pas avec elle ? Il semble possible d’envisager l’infraction comme une conviction intellectuelle qui trouve à se matérialiser dans un fait manifeste, lequel devient « matériel » dès lors qu’il révèle la pensée coupable que le droit pénal souhaite atteindre. Le fait objectivement punissable ou

« élément matériel » de l’infraction, tire sa nature pénale d’une conviction coupable extériorisée : l’infraction. Il en résulte que par sa nature intellectuelle, cette infraction

de cette conviction coupable se manifeste au regard du régime de la tentative : le législateur punit du même tarif l’infraction tentée et l’infraction consommée (art. 121-5 du Code pénal). Les suites de l’activité incriminée sont indifférentes au droit pénal si tant est qu’une conviction coupable ait effectivement animé l’auteur des faits.

339. La réalité du dommage importe moins que la conviction qu’avait l’auteur des faits de parvenir à ses fins. Le délinquant peut avoir la conviction qu’en mélangeant du vinaigre à de l’eau de Cologne, il accomplira l’avortement proscrit par la loi pénale, ou qu’en frappant un corps à coups de barre de fer, il finira par tuer sa victime alors qu’elle était déjà morte. Il agit avec intention, cette volonté qui est vouée à ne pas atteindre le résultat vers lequel elle se tend. L’inaptitude réelle du procédé employé à produire le résultat escompté demeure complètement indifférente, tant que son auteur a foi en son efficacité. Persuadé d’atteindre son but, le résultat escompté lui paraitra imminent. S’il doute de sa réalisation prochaine, le résultat lui paraîtra éloigné. En définitive, plus sa volonté d’atteindre le résultat incriminé est ferme, plus les moyens qu’il met en œuvre pour y parvenir le rendent immédiat à ses yeux. Le temps de l’infraction n’est donc pas régi par l’aiguille d’une montre ; il dépend du degré de conviction de l’auteur des faits.

Le rejet du réalisme infractionnel s’accompagne donc nécessairement d’une critique du réalisme temporel.

340. Mais alors, ou situer le point de départ de cette séquence temporelle ? La réponse est justement fournie par l’article 122-1 du Code pénal. Au point de départ de ce temps personnel, il y a une conscience : le discernement. Cette conscience n’est pas celle de

l’individu, car il a ses propres codes et sa propre morale. Il vit symboliquement à l’écart

de la société. La conscience saisie par le droit pénal est celle de la personne, le citoyen solidaire de ses pairs et conscient de ses devoirs en société. Cette conscience personnelle renvoie chaque citoyen à un devoir-être, celui qu’il a décidé pour lui-même par l’intermédiaire de ses représentants. En substance, le discernement est une conscience

réflexive, la connaissance du rôle qu’un citoyen s’impose par la voix de ses

représentants : celle de l’existence de la loi pénale.

341. Réciproquement, l’absence de discernement n’est pas l’ignorance d’un état de fait, ni ne résulte d’une erreur d’interprétation du contenu de la loi. Car l’ignorance des

suites d’un acte constitue justement le critère de la culpabilité pénale. Celui qui sait que

le droit répressif prohibe des comportements dommageables mais qui refuse de chercher à s’y conformer est punissable : il commet une négligence, vis-à-vis de la loi pénale, dès qu’il prend le risque de causer un dommage. C’est notamment le cas lorsque, après une

délibération interne, il manifeste son indifférence au respect de cette loi (« la violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité » de l’article 121-3

du Code pénal).

342. En conséquence, l’ignorance des suites d’un fait ne peut pas constituer le critère de l’irresponsabilité pénale. A cette « ignorance relative », celle qui correspond à la conscience d’un aléa, il faut opposer « l’ignorance absolue » : celle qui porte sur l’ignorance de cet aléa. Elle correspond alors à l’ignorance de l’existence de la loi

pénale. La personne irresponsable n’ignore pas seulement la manière de se conformer à

la loi pénale, ce qui serait une ignorance consciente punissable en droit pénal. Il devrait s’agir d’une ignorance inconsciente, celle dont elle ignore totalement l’existence. Celui qui sait ce qu’il ne sait pas est punissable ; en revanche s’il ignore ce qu’il ne sait pas, il ne peut avoir commis aucune faute. Autrement dit, l’ignorance de sa propre ignorance

constitue le critère de la responsabilité pénale.

343. La personne qui est sous le coup de cette ignorance absolue se retrouve juridiquement à l’état d’enfance : l’état antérieur à celui où elle pouvait connaître l’existence de devoirs à accomplir. C’est pourquoi l’article 122-1 du Code pénal fait primer l’analyse temporelle de l’atteinte au discernement (« n’est pas pénalement responsable celui qui, au moment des faits… ») sur celle de son intensité (l’atteinte ayant aboli le discernement). Cet état, de démence ou d’abolition du discernement, correspond à l’ignorance d’un devoir-être en société, tel qu’il est défini dans la loi pénale, expression de la volonté générale. Il convient d’envisager le discernement sous cette double dimension. Matériellement, le discernement est une conscience personnelle (Chapitre 1). Sa présence est présumée mais cette présomption peut être renversée par la preuve qu’initialement, un individu ne pouvait savoir qu’il violerait la loi pénale. Ainsi c’est temporellement que doit s’analyser l’absence de conscience personnelle (Chapitre 2).

Chapitre 1. La conscience personnelle, l’approche matérielle du

Dans le document Le discernement en droit pénal (Page 159-163)

Documents relatifs