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2. Les structures sociales

2.2. L’approche dynamique des structures sociales

Comme nous venons de le voir, concevoir une structure sociale implique que chaque élément de celle-ci dépende de son rapport aux autres. Dès lors, les recherches ont tendance à se pencher sur les significations qui sont portées aux relations entre les éléments et à leur articulation dans la structure globale comme on peut l’observer avec le champ des représentations sociales (Doise, 1990). Ceci permet d’entrevoir que la structure sociale est construite par ses acteurs et que les règles qui constituent la structure varient en fonction des représentations et des pratiques aussi guidées par celle-ci (Nadel, 1970).

2.2.1. La mobilité sociale

Un des fondateurs de cette pensée dynamique est Sorokin (1927) qui, travaillant sur l’autorégulation de la structure sociale, montre que les individus ont la possibilité de changer de groupe social. En s’intéressant à la société américaine, l’auteur conçoit que l’égalité démocratique, la division du travail et la méritocratie entraînent une structure sociale où les individus cherchent à se réaliser et qui favorise l’existence d’ascensions sociales. La capacité des individus à accomplir leurs aspirations est alors modelée par ce que l’auteur appelle : « les instances d’orientation ». Ces instances, décrites comme étant principalement la famille et l’école, agissent sur la mobilité sociale des personnes. Par mobilité sociale, Sorokin (1933) entend un déplacement dans la structure sociale, c’est-à-dire un mouvement d’individus, de groupes, d’objets culturels et de valeurs entre un groupe social et un autre. Cette capacité de mouvement dans la structure est alors considérée comme étant freinée ou encouragée par l’environnement d’origine qui la détermine, et comme régulant à son tour les dynamiques de la structure.

Sorokin (1933) différencie une mobilité verticale et une mobilité horizontale :

- La mobilité verticale est celle qui consiste à passer d’un groupe social à un autre qui diffère dans la hiérarchie sociale. Il s’agit d’une dynamique qui permet généralement une transformation de la culture et des valeurs. L’auteur conçoit particulièrement

l’existence d’une mobilité verticale ascendante qui permet la concrétisation des objectifs individuels.

- La mobilité horizontale est un changement de groupe social vers un autre qui est équivalent dans la hiérarchie sociale. Dans ce cas, il n’y a pas d’ascension, mais il peut y avoir une transformation de la culture et des valeurs. De la même manière, cette mobilité répond souvent aux objectifs des individus qui, par exemple, changent de travail sans changer de niveau de compétence.

La prise en compte de la mobilité sociale montre une structure sociale dynamique, essentielle à l’évolution de la société. Les métaphores spatiales utilisées par Sorokin (1927) laissent entrevoir une structure dans laquelle il est possible de se mouvoir afin de répondre à ses attentes. Même si la mobilité est déterminée par des instances forgées dans la structure sociale elle-même, la société n’en reste pas moins affectée. La transformation des éléments fait qu’il existe une recherche d’équilibre entre eux, qui réorganisent l’ensemble de la structure en amenant une mutation ou une stabilité de celle-ci.

2.2.2. Interactions symboliques

C’est l’anthropologue Lévi-Strauss (1949) qui va apporter ce qui nous semble être la deuxième contribution significative à la dynamique des structures sociales. En s’intéressant aux symboles, l’auteur centre son analyse de la structure sur les significations des interactions. Pour lui, aucun élément ne peut être compris sans étudier les rapports qu’il entretient avec les autres. Dès lors, ce sont les règles d’interactions, faisant que telle unité entretient un certain rapport avec une autre, qui constituent la structure sociale. Ainsi, cet auteur dépasse la pensée de Durkheim en insistant sur le fait que la structure sociale ne se réduit pas seulement aux éléments et à leurs interactions, mais qu’elle comprend aussi une configuration invariante des interactions. En d’autres termes, une structure est un système qui peut se transformer au point d’être modifiée dans son organisation, mais qui garde toujours des règles d’interaction invariantes (Lévi-Strauss,1958).

L’importance attribuée aux transformations que peuvent connaître les groupes ainsi qu’à leurs représentations rapproche ces développements de ceux de Sorokin. Cependant, Lévi-Strauss (1969), en s’intéressant principalement aux invariances dans les interactions, se détache d’une vision où les individus agissent dans leur intérêt au profit de pratiques entièrement dues à la structure. L’étude comparative de groupes différents ou de cultures différentes l’a amené à

retrouver les mêmes logiques structurales dans plusieurs dimensions sociales et dans plusieurs sociétés. Dès ce moment, cet auteur avance que c’est par l’étude des différences et des invariants, qu’il est possible de comprendre les structures. Pour résumer, la constante de la structure vient du fait qu’elle se construit, dans tous les cas, par un système d’interactions qui peut se retrouver dans toutes les sociétés. Ainsi, ce que l’auteur considère comme des constantes ne sont pas des similitudes apparentes, mais certaines interactions entre les éléments qui se retrouvent d’un groupe à un autre, d’une société à une autre.

La structure sociale est décrite comme étant ponctuée d’évènements (Dubar, 2011) qui viennent la ré-agencer. Les individus qui s’y trouvent subissent alors l’effet du temps et une évolution constante de la structure, contrairement à la description qu’en fait le chercheur qui peint un agencement d’éléments fixes. De ce point de vue, les règles d’interactions sont dépendantes des évènements qui se sont produits et qui se produiront. Cependant, pour Lévi-Strauss (1969) c’est l’histoire qui est dépendante de la structure sociale et non l’inverse. De fait, les évènements qui viennent marquer la structure sont issus des possibles que celle-ci propose. Les évènements ne sont plus considérés comme des faits uniques, mais comme des faits dépendants de la structure qui peuvent être considérés comme invariants. En partant de cette vision, la recherche de structures élémentaires, c’est-à-dire d’un modèle général d’organisation partagé par toutes les structures, devient essentiel pour penser leurs constructions, leurs évolutions, leurs différences et leurs articulations. C’est notamment ce qui est proposé lorsqu’on s’attache à appréhender la structure sociale par des relations sociales (dominants vs dominés) et non par des appartenances figées.

En définitive, l’approche structurale permet de dépasser la vision de l’existence de groupes sociaux indépendants, en portant de l’importance aux rapports qu’ils entretiennent. L’idée d’une stratification hiérarchisée n’est pas pour autant rejetée, comme nous l’avons vu avec les développements de Sorokin (1933) qui allie les deux. De fait, le structuralisme met également l’accent sur le déterminisme qui pèse sur les individus. Ceux-ci étant sous l’effet de la structure, ce sont les significations qu’ils portent aux relations qui permettent de décrire un déterminisme social. En d’autres termes, c’est par l’étude des représentations et des pratiques que la structure est appréhendable comme le propose Lévi-Strauss (1958). Cependant, le contexte structural (Durkheim,1893) amène trop souvent à penser des unités qui, même si elles s’influencent mutuellement, ont une existence qui n’est pas relative à celle des autres. Il nous semble que Lévi-Strauss parvient à s’éloigner de cette conception en insistant sur l’effet

de la structure, mais la difficulté réside dans le fait que l’approche structurale, même dans une vision dynamique, tend à entraîner une perspective interactionnelle et non relationnelle. C’est pourquoi, pour finir, nous présenterons une vision décrivant l’organisation de la société comme un espace. Sorokin (1927) doit être le premier à utiliser des métaphores spatiales afin de souligner la dynamique de la structure. On voit bien que la prise en compte de changements et d’évolutions passe par l’idée de mobilité et de positionnement. L’analogie entre la structure sociale et l’espace géographique semble être une approche pertinente, permettant de penser autrement les relations entre individus.