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L’approche de privation relative

SECTION II : OUTILS D’ANALYSE

5. L’approche de privation relative

Le cadre théorique et analytique du phénomène de la pauvreté était circonscrit à l’approche welfariste qui appréhende le phénomène de la pauvreté sous l’angle monétaire. Dans cette approche, sont considérées comme pauvres les personnes qui vivent en dessous d’un revenu minimum jugé acceptable pour mener une vie décente. Maintes études sur l’analyse du phénomène de la pauvreté notamment en Côte d’Ivoire et en Afrique au sud du Sahara ont utilisé l’approche monétaire.

Cependant, le développement récent des concepts sur le phénomène de la pauvreté se rapportant aux besoins de bases et aux "capabilités" ont stigmatisé l’approche monétaire comme une vision réductrice de l’ampleur du phénomène de la pauvreté. Pour les tenants du concept fondé sur les besoins de base, l’individu qualifié de pauvre est exposé à des privations au niveau de certains besoins de base jugés préalables à l’atteinte d’une vie décente.

Le modèle d’analyse de la pauvreté fondé sur les besoins de bases est d’autant plus important qu’il permet de constater que des personnes vivant au-dessus du seuil de pauvreté monétaire, qualifiées de non pauvres dans l’approche monétaire peuvent être privées de l’accès à certains besoins de base notamment, en raison de l’absence d’infrastructures de base telles que les sources d’énergie moderne, l’eau potable, le logement adéquat, les centres de santé dans leur région, affectant négativement la qualité de vie des personnes concernées. Ainsi, le déficit d’infrastructures de base qui constitue le point d’ancrage de l’analyse fondée sur les besoins de base représente des privations importantes qui peuvent avoir un impact sur la qualité de vie des individus. Toutefois la question qui se pose est de savoir si l’analyse de la pauvreté liée à la

138 privation relative nous semble appropriée au modèle ivoirien, notamment le milieu rural qui constitue le champ de l’étude ?

En Côte d’Ivoire, la politique économique du point de vue du développement des infrastructures a mis un point d’honneur sur le milieu urbain au détriment du milieu rural qui se perçoit par un écart de développement entre ces deux zones. Ce gap de développement entre le milieu rural et le milieu urbain est perceptible à travers les exemples ci-après se rapportant à l’eau, à l’énergie, au cadre de vie et à l’assainissement et qui constituent par ailleurs des dimensions importantes dans l’analyse de la pauvreté liée aux privations relatives.

L’eau potable est un facteur important qui contribue au bien-être des ménages et constitue également une des priorités des Objectifs du Développement Durable (ODD 6). Les politiques antérieures de développement de l’eau potable ont privilégié le milieu urbain au détriment des zones rurales si bien que la proportion des personnes ayant accès à une source d’eau potable en milieu urbain ivoirien est estimée à 70% en 2002 et à 77% en 2006. Tandis qu’en milieu rural, l'hydraulique villageoise améliorée qui garantit par rapport aux points d’eau villageois une meilleure qualité et une disponibilité permanente de l’eau concerne un taux de couverture nationale de 8% (par rapport aux localités éligibles) en 2002 et de 10 % en 2006 (Ministère du Plan et du développement, RCI, 2007).

Tout comme l’eau potable, l’énergie constitue une source de bien-être des ménages et représente un des aspects importants du développement durable (ODD 7). Les politiques de développement de l’énergie conventionnelle ont favorisé la capitale politique et administrative en l’occurrence le district d’Abidjan qui concentre le quart de la population ivoirienne (cf. RGPH 1998) avec un développement progressif vers les zones urbaines du reste du pays. Le milieu rural ivoirien a été très faiblement doté en énergie électrique (Ministère du Plan et du développement, RCI, 2007).

L’un des objectifs du Gouvernement ivoirien est d’améliorer le cadre de vie des populations par le biais des conditions d’assainissement adéquates et d’un cadre de vie agréable. Cependant à la pratique le secteur de l’assainissement et du cadre de vie n’échappe pas à la prééminence des politiques de développement des zones urbaines sur les zones rurales. En effet, le rapport du Groupe de Travail Thématique 5 dans le cadre de la stratégie nationale de développement basée sur les OMD (SND/OMD/ Ministère du Plan, 2007) révèle une absence totale de politique, de stratégie et de programme d’assainissement en milieu rural qui se traduit par l’inexistence de schémas directeurs d’assainissement, le manque d’infrastructures de drainage

139 des eaux pluviales, de collecte et de traitement des eaux usées. Cette absence totale de politique, de stratégie et de programme au niveau de l’assainissement rural entraine un très faible taux de couverture (moins de 10%) en assainissement de base.

Ces politiques de développement des infrastructures qui ont défavorisé les zones rurales alors qu’elles constituent le socle de l’économie ivoirienne ont eu pour corollaire l’insuffisance voire l’absence totale d’équipements de base dans la plupart de ces zones, privant ainsi une frange importante des populations rurales de disposer d’une certaine qualité de vie et d’un cadre de vie décent. Par conséquent, l’identification des personnes pauvres selon l’approche monétaire occulte une partie de la population rurale non concernée par la pauvreté monétaire mais qui est exposée à de véritables privations affectant leur cadre de vie et leur bien-être. C’est pourquoi, les analyses de la pauvreté en Côte d’Ivoire s’appuyant jusque-là sur l’approche monétaire constituent une vision réductrice de l’ampleur du phénomène. Le recours à l’analyse de la pauvreté basée sur les privations relatives dans le milieu rural agricole ivoirien constitue donc un enjeu majeur dans l’identification des populations rurales pauvres.

La pertinence de l’analyse de la pauvreté non monétaire par les besoins de base en milieu rural ivoirien se justifie ainsi par l’absence de substitution entre pauvreté monétaire et privation relative. En effet, l’individu vivant en milieu rural a une très faible probabilité d’accéder aux besoins de base quels que soient les moyens dont il dispose contrairement aux habitants du milieu urbain ivoirien qui vivent dans un cadre plus adéquat et doté d’infrastructures. Les personnes vivant en zone urbaine et qui sont exposées aux privations sont généralement en dessous du seuil de pauvreté monétaire. Par voie de conséquence la détermination des pauvres, en milieu urbain ivoirien par l’approche monétaire et non monétaire, induit nécessairement l’identification de la même frange de la population c'est-à-dire le même groupe de pauvre conférant ainsi, à ces deux formes d’analyse en zone urbaine un caractère de substitution. Ce qui n’est pas le cas pour le milieu rural où l’approche monétaire qualifie de non pauvres les personnes ayant un revenu au-dessus du seuil de pauvreté et qui sont pourtant exposées à des privations multiformes. Ainsi, l’analyse de la pauvreté non monétaire par les besoins de base trouve toute sa pertinence en milieu rural ivoirien. Elle ne constitue pas un exercice supplémentaire qui vient confirmer les résultats de la méthode monétaire en milieu rural.

Pour mieux capter la pauvreté non monétaire, Townsend (1979), propose l’utilisation d’un indice de privation relative basé sur l’observation de nombreuses expériences se rapportant

140 notamment à la consommation et la participation à la vie sociale. Dans le même ordre d’idées, un indice de privation relative basé sur une spécification économétrique de type logit a été développé par Desai et Shah (1988). L’indice de privation relative développé par Desai et Shah (op.cit) a été utilisé par Delhausse (2002) en vue d’identifier un noyau dur de la pauvreté en Wallonie. Delhausse soutient, cependant, que Desai et Shah (op.cit.) et toutes les applications ultérieures similaires n’ont pas développé un seuil de pauvreté permettant d’identifier de façon très précise les pauvres et les non pauvres au niveau de la mesure de la privation relative. Or la détermination d’un seuil de pauvreté constitue une étape importante en vue d’une identification des pauvres en milieu rural agricole.

Tenant compte de cette critique de Delhausse (2002), ce travail utilise l’Indice Composite de Pauvreté (ICP) développé par Asselin (2002) et qui est généralement utilisé dans le cas de la pauvreté non monétaire qui prend en compte plusieurs dimensions.

La construction de l’ICP, basée sur l’approche d’inertie consiste à définir un indice composite pour chaque unité d’une population donnée. Dans cette étude, le choix est porté sur une analyse factorielle à savoir l’analyse des correspondances multiples (ACM) pour construire l’ICP. Cette méthode a facilité l’élimination de l’arbitraire dans la sélection des variables et dans la détermination des poids utilisés. Le choix de l’ACM est d’autant plus justifié que les variables d’intérêt ayant trait à l’approche de privation relative et répertoriées au niveau des données de l’ENV 2002 et 2008 sont qualitatives. Aussi, est-il important de noter que 2 ACM ont été réalisées : l’ACM préliminaire qui a permis de retenir les variables qui contribuent le plus à la construction du premier axe factoriel (cf annexe 4) et l’ACM finale qui a permis de calculer l’ICP pour chaque ménage.

Après avoir calculé l’indice composite de pauvreté pour chaque ménage, la classification des ménages a été effectuée à partir de la classification hiérarchique ascendante. Cette procédure a permis de proposer une partition en 2 classes pour les années (cf annexe 5).