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L’anti-mentor, pendant négatif de l’archétype

PARTIE I – L’ARCHETYPE DU MENTOR

B. L'archétype du mentor à travers les siècles

5. L’anti-mentor, pendant négatif de l’archétype

Nous l’avons vu, la fonction principale d’un mentor est d’aider, guider et éduquer un personnage moins expérimenté pour l’amener à grandir « dans le bon sens », c’est-à-dire devenir un adulte avec des valeurs positives. Cela dit, la fiction n’a pas omis de créer des personnages que l’on pourrait nommer des anti-mentors.

En littérature générale, on peut notamment citer Pangloss, le ridicule philosophe de

Candide3 dont les mauvais conseils, faute d’éduquer son disciple, le rendent malheureux et

l’empêchent d’avancer dans la vie. La Marquise de Merteuil des Liaisons dangereuses4 et le

professeur dépeint par Ionesco dans La Leçon5, font office de mentors pervers qui usent de leur

autorité et du pouvoir de leurs paroles pour prendre le dessus sur leurs innocentes victimes, les conduisant au malheur ou à la mort. Avec Zazie dans le métro6, Queneau décrit un mentor faible

et qui renonce à tout rôle éducatif, en la personne de l’Oncle Gabriel. Enfin, Vautrin, chez Balzac7, remplit bien son rôle d’éducateur, mais de manière viciée puisque ses enseignements son amoraux.

On peut ajouter à cela la figure du parent défaillant, matérialisé par les personnages de marâtres des contes, notamment. Ces belles-mères se substituent en effet aux mères défuntes du héros ou de l’héroïne et rendent ces-derniers malheureux. Si, à l’origine, le terme n’avait rien de négatif et signifiait simplement « belle-mère », il est devenu péjoratif depuis le Moyen-Âge où il prend le sens de « femme qui maltraite les enfants que son mari a eu d’un autre lit » selon le

1 STROMBERG, Robert. Maleficient. Walt Disney Pictures, 2014

2 MUSKER, John, CLEMENTS, Ron. Moana. Walt Disney Pictures, 2016 3 VOLTAIRE. Candide ou l’Optimisme, Gabriel Cramer, Genève, 1759.

4 CHODERLOS DE LACLOS, Pierre Ambroise François. Les Liaisons dangereuses, Pocket, Paris, 2008. 5 IONESCO, Eugène. La Leçon, Gallimard, Paris, 1994.

6 QUENEAU, Raymond. Zazie dans le métro, Gallimard, 1959. 7 BALZAC, Honoré de. Le Père Goriot, Edmond Werdet, Paris, 1835.

Dictionnaire de l’Académie Française. On peut alors citer les marâtres de Blanche-Neige1 et

Cendrillon pour les contes, ou encore Mme Fichini, la cruelle belle-mère de Sophie qui la

martyrise, considérant que « le fouet (…) est le seul moyen d’éduquer les enfants2 ». Par la suite, le terme s’est galvaudé pour désigner une mère qui traite durement ses enfants. En ce sens, on peut évoquer Folcoche, la mère indigne de Vipère au poing3, qui prive ses enfants de

toute joie, de tout amour et de tout confort. Les parents des contes de Perrault sont à rapprocher de cette dimension : tour à tour pervers comme le père incestueux de Peau d’âne, démissionnaires tels les parents du Petit Poucet4, dévorants comme l’ogre du même conte ou

totalement absents à l’image du père de Cendrillon, la laissant en proie à la cruauté de sa marâtre. Dans ces textes, les figures parentales sont fortement remises en question.

Plus récemment, le cinéma a proposé des personnages d’anti-mentors tels que Maléfique dans le film éponyme, qui veille sur la princesse Aurore alors qu’elle est à l’origine de la malédiction qui pèse sur la princesse. Ce personnage, qui est la fée carabosse de l’histoire originelle, témoigne d’un mouvement des fictions modernes qui tend à mettre le méchant au cœur de l’histoire, en amenant parfois des circonstances atténuantes à son attitude. Enfin, citons Obi-Wan Kenobi de Star Wars, qui est un mentor positif pour Luke puisqu’il est un chevalier et maître Jedi sage, intelligent et raisonné. On peut tout de même le voir comme un anti-mentor puisqu’il échoue dans sa tâche de mener Anakin sur le chemin de la force ; son disciple deviendra alors Dark Vador en passant du côté obscur.

Enfin, citons Willy Wonka, que Tim Burton a totalement réécrit par rapport à l’œuvre originale de Roald Dalh5, dans son film Charlie et la chocolaterie6. En effet, le Willy Wonka du

roman est un vieillard sage et respectable, comparé à un « vieil écureil vif et malicieux ». Il récompense le jeune Charlie, à la fin de l’histoire, parce qu’il est le seul enfant qui n’est pas contaminé par les vices de la société, et capable d’apprécier la magie de la chocolaterie, contrairement aux autres, « gâtés, gloutons et abrutis par la télévision ». En revanche, le

1 GRIMM, frères (les). « Blanche-Neige », Contes pour les enfants et la maison, trad. Natacha Rimasson-Fertin, José Corti, 2009

2 DE SEGUR, Comtesse. Les Petites Filles modèles, Hachette, 1858. 3 BAZIN, Hervé. Vipère au poing, Grasset, Paris, 1948.

4 PERRAULT, Charles. « Le Petit Poucet », Les Contes de ma mère l’Oie, Claude Barbin, Paris, 1697. 5 DAHL, Roald. Charlie et la chocolaterie, Gallimard Jeunesse, Paris, 2013.

personnage campé par Johnny Depp chez Burton est tout autre. Selon Isabelle Cani1, il serait un genre de Peter Pan, « qui ouvre à Charlie la porte d’un univers magique, l’incite à y rester en oubliant le monde réel et lui demande en particulier de renoncer à sa famille ». C’est alors le petit garçon qui convaincra Willy Wonka de quitter son pays imaginaire et d’accepter le temps qui passe en devenant adulte. On a alors un anti-mentor dans le sens où les rôles sont inversés par rapport au roman de Roald Dahl.

Un autre exemple du renversement des rôles de mentor et mentoré se trouve dans les romans de Michel Tournier : Vendredi ou les Limbes du Pacifique2 et Vendredi ou la vie

sauvage3, dans lesquels on retrouve d’abord la relation classique entre maître et serviteur,

Robinson entreprenant de civiliser le sauvage Vendredi. Ce-dernier, à qui Robinson « pouvait tout enseigner de la civilisation » obéit sans comprendre, en « serviteur modèle » ou « soldat », pour faire plaisir à celui qui lui a sauvé la vie. On assiste ensuite à une inversion des rôles puisque Vendredi montre l’exemple à Robinson pour « vivre sur une île déserte du Pacifique », lui sert de guide en l’amenant à vivre cette vie idéale.

Que leurs enseignements soient absurdes, viciés, ratent leur but, ou fassent tout simplement défaut, ces anti-mentors ne parviennent pas à faire grandir leurs disciples dans un sens positif, c’est-à-dire, vers le bien ou le bonheur. Certains, comme l’oncle Gabriel, Willy Wonka ou Robinson seront témoin d’un renversement des rôles, devenant à leur tour mentorés de personnages plus jeunes. Ils sont souvent des symboles de vanité éducative ou d’éducation invertie, et apparaissent ainsi comme le pendant négatif du mentor.

Qu’il soit positif ou négatif, l’archétype du mentor nous pousse à nous interroger sur le métier d’enseignant.

1 CANI, Isabelle, CHABROL GAGNE, Nelly, D’HUMIERES, Catherine. Devenir adulte et rester enfant ? Relire

les productions pour la jeunesse, Presses Universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2008

2 TOURNIER, Michel. Vendredi ou les Limbes du Pacifique, Gallimard, Paris, 1967. 3 TOURNIER, Michel. Vendredi ou la vie sauvage, Gallimard, Paris, 1971.