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4. Le siècle martien : 1850-

4.2 L’année 1865 : le grand départ

4.2.1. Un habitant de la planète Mars, Parville

Ce récit est certainement une des premières apparitions d’un martien sur notre planète Terre – les deux « célèbres » extraterrestres précurseurs, Micromegas et son partenaire, viennent de Sirius et Saturne –. François Henri Peudefer de Parville (1838-1909), rédacteur scientifique au Journal Officiel, utilise un procédé narratif qui a fait ses preuves, la retranscription de documents soi-disant authentiques. Dans Lamekis, de Mouhy écrivait de façon automatique ; Defoe retranscrivait les carnets de voyages dans Robinson Crusoe ; Edgar Poe racontait à la demande du narrateur les Aventures d’Arthur Gordon Pym ; et Defontenay déchiffrait la saga starienne à partir de manuscrits contenus dans un aérolithe.

« Les lettres qui composent ce livre nous ont été adressées successivement et d’une façon tout au moins singulière. […] L’origine de cette mystérieuse correspondance nous resta inconnue, malgré les recherches les plus minutieuses. […] Nous les reproduisons absolument comme nous les avons reçues, sans rien y retrancher ni ne rien y ajouter.2 »

Parville adopte un style journalistique, précis, détaillé, informatif, pour une correspondance de quatorze lettres relatant la découverte et les discussions qui en découlent.

Le point de départ du roman est la découverte du corps momifié d’un martien, à l’intérieur d’un aérolithe enfoui sous Terre. C’est aussi l’occasion de faire le point sur l’état des théories et des connaissances scientifiques du moment. Les descriptions, les explications

1

BOIA, Lucian, op.cit., p23

2

PARVILLE, François Henri PEUDEFER de. Un habitant de la planéte Mars. Paris : éditeur Hetzel, 1865, (Gallica) préface de l’auteur, ppVII-VIII.

abondent en vocabulaire scientifique, faisant appel, comme par exemple dans la première lettre, à la géologie, la minéralogie, la chimie. Cette association de la science, dont Parville était un grand vulgarisateur, et de la littérature, se retrouve en permanence dans la science- fiction, où un grand nombre d’écrivains possèdent une connaissance technique ou scientifique parfois poussée.

On peut lire dans le roman de Parville une description parfaitement détaillée et rigoureuse, presque clinique, du « premier » martien que la Terre ait reçu. Il est humanoïde et son aspect physique est décrit tel un relevé anthropométrique :

« Il […] mesurait à peine quatre pieds […] les pieds très-courts […] pas de cheveux ; peau lisse, plissée, passée à l’état de cuir ; forme du cerveau triangulaire ; visage singulier en lame de couteau, une sorte de trompe partant presque du front, en guise de nez ; une bouche très petite, avec quelques dents seulement : deux fosses orbitaires […] bras très-longs, descendant jusqu’au- delà des cuisses ; cinq doigts, dont le quatrième beaucoup plus court que les autres. Apparence généralement grêle…. La peau […] devait sans doute être jaune rougeâtre.1 »

Par la suite, Parville aborde « des questions philosophiques et scientifiques très controversées de nos jours, telles que l’origine des espèces, la transformation des êtres, les

générations spontanées, la pluralité des mondes2 ». Cela se fait par le compte-rendu des

échanges entre les différents savants réunis, tous réputés dans les divers domaines de la science. C’est en quelque sorte le premier « colloque » scientifique sur Mars et l’évolution des mondes extérieurs. Et Parville de nous vanter « l’admirable harmonie qui préside à l’évolution des mondes ! 3 », ou de nous expliquer « que nous ne sommes pas isolés dans l’espace et que chaque astre est un oasis de vie et d’éternelle création.4 »

Si la science-fiction est née en 1865, comme l’écrivent certains spécialistes actuels (Versins, Van Herp, Boia), et bien que le terme n’existait pas encore, c’est sans doute avec ce texte de Parville, qui mêle étroitement les connaissances scientifiques de l’époque et la fiction proprement dite autour de l’histoire de cette momie martienne – peut-être « un grand roi […]

presque l’égal d’un demi-dieu5 » –. La fin relève encore d’un procédé éprouvé par grand

nombre de contes et romans fantastiques, une interrogation sur le rêve et la réalité : « À mon insu, je me serais écrit la nuit ce que je lisais le jour ? […] Je rêve ! 6 »

1

Ibid. pp8-9.

2

Ibid. Préface de l’auteur, pVIII

3 Ibid. p12 4 Ibid. p262 5 Ibid. p260 6

4.2.2. De la Terre à la Lune, Jules Verne

L’année 1865 voit aussi la sortie du troisième roman de Jules Verne, De la Terre à la

Lune, où il envisage l’envoi d’un obus habité vers la Lune. C’est avant tout un roman

d’aventures, intégrant idées scientifiques et technologiques, mais il est considéré comme une référence pour la littérature d’anticipation française et internationale. Il suffit de considérer les adaptations qui en ont été faites tant en littérature qu’à l’écran1 pour se convaincre de son rôle de précurseur : les voyages dans l’espace sont nés avec cet obus.

Cependant, le héros de Verne, Michel Ardan ne met pas le pied sur la planète, et il n’est nulle part question d’habitants de notre satellite. L’extrapolation vers le domaine de la science-fiction est essentiellement dans l’aspect technique du voyage.

Verne écrit la suite de cette épopée en 1869 avec Autour de la Lune.

Jules Verne (1828-1905) est sans conteste un écrivain particulièrement important, et reconnu dans le monde entier, dans le domaine naissant de la littérature d’anticipation, mais il reste à mon avis plus attaché à l’aventure et à la technicité : Verne ne fait pas de conjectures, ses inventions, ou découvertes sont plus des applications, parfois osées et imaginatives, des techniques de son époque que de véritables innovations ou extrapolations scientifiques. Le terme de « techni-fiction » serait plus adapté à ses œuvres que celui de science-fiction.

Je ne vais pas ici détailler outre mesure les péripéties d’un roman si connu, mais je rappellerai qu’il se déroule, comme celui de Parville, dans une Amérique en guerre civile. Au milieu d’un pays perturbé par la guerre, Parville met en vedette une assemblée de savants réputés, Verne fait des artilleurs, héros de la guerre, les conquérants de l’espace. La science, représentée par la commission de savants chez Parville, mais aussi par le canon et le Gun Club chez Verne, est mise au service d’une cause supérieure, la connaissance du système solaire.

En 1886, Pierre de Sélènes ( ?- ?) « rachète » ce même canon, la Columbiad, aux enchères pour envoyer lui aussi un trio de voyageurs sur notre satellite (Un monde inconnu,

deux ans sur la Lune).

Camille Flammarion publie plusieurs ouvrages de vulgarisation, parmi lesquels Les

Mondes imaginaires et les mondes réels et Les Merveilles célestes - Lectures du soir à l'usage de la jeunesse, quelques ouvrages parmi la cinquantaine de livres écrits, dans lesquels il

1

proposera toujours un vision plus large de la science, et prônera un développement plus ouvert de l’astrophysique.

Si l’on considère cette année 1865 comme un point de départ de la « littérature martienne », on peut néanmoins signaler le roman d’Achille Eyraud (1821-1882), auteur de comédies et d’opérettes, qui s’intitule Voyage à Vénus. C’est la première fois qu’un vaisseau spatial propulsé par une fusée à eau apparaît dans ce type de littérature. La description de la société vénusienne est du ressort de l’utopie, mettant en valeur l’égalité des sexes et une main d’œuvre robotisée.

Par la recherche d’un moyen de transport plus réaliste, qu’il soit projectile, fusée, ou météorite, la fiction s’ouvre les portes de l’espace, se rapprochant un peu plus de la science et de la technologie.