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L’ancêtre en zone maya

Chapitre XI : Du statut des morts

B. L’ancêtre en zone maya

Lestropbrefsaperçusquiprécèdentmontrentsurtout l’ampleurdesraccourcisquisontparfois faitsentreethnologieetarchéologie. Pourtant,àlaseuleéchelledel’airemaya, lasituationactuelle devraitnousinciteràplusdeprudence:touslesgroupesn’ontpaslamêmerelationavecleursmorts, quiserépartissentendenombreusescatégoriesausein d’unmêmegroupe.LesChujnereconnaissent commeancêtresquelespersonnesayantdétenuuneautoritéreligieuse;cesontlesseulsàconserver leursnometprénomaprèslamort,carilsdoiventpouvoirêtreappelésaindeservird’intermédiaire entre lesvivants et certainespuissances surnaturelles(Petrich et al. 2009, 257-58).Al’inverse, les Tzeltalnefontpasdedistinctionnetteentreancêtresmortsetvivants:lesdeuxétantanimésd’une mêmeénergie,quipeutsecondenserdansunnouveau-né,toutepersonnequiseraitreconnuecomme animéeparl’essenced’unancêtreseraitde factoconsidéréecommetelle.Dansd’autrescasencore, les interactionsavec lesmorts se fontde façoncollective, comme chezles Tzotzilchez qui les to-tilme’iletik(pères-mères,qualiiésde«divinitésancestrales»parVogt)sontrévérésdansdesrituels quiimpliquenttoutelacommunauté,ouchezlesK’iche’, quiappellentlesancêtrespargrandesca -tégories(liéesaustatutdelapersonne, saprofession, voirelescirconstancesdesamort)plutôtque nommément(Breton1991;LeGuen2003,2).Onpeuttenter,avecledegréd’imprécisionqu’unetelle démarche,de synthétiseruncertainnombredecesobservationssousla formed’ungraphique(Fig.

XI.5).Celui-cialeméritedemontreràquelpointl’interprétationpeutrapidements’avérercomplexe.

Si les groupesmayas modernes, certes plus disperséset moins nombreux actuellementque ne l’étaient leurs prédécesseurspréhispaniques, montrentde telles disparités dans leurs croyances, semble-t-ilaberrantd’envisagerunesituationanaloguepourlesanciensmayas?Attention,analogue nesigniiepasidentique.Nousnedoutonspasquel’airemayaaitpartagéununiversmentalcommun, etlacirculationdesidéesestunphénomènequ’ilnefautpasnégliger.Cependant,l’airemayaestun espacevaste;ellen’estnisouslacouped’uneautoritécentralenid’unsystèmedepenséeuniversel et coercitif. Les disparités quenous avons mises en évidencedans les chapitres précédentssont la preuvequel’idéologie funérairevaried’unerégion àl’autre. Peut-êtreladéinitionde cequ’estun ancêtredansungrouperésidentieldePalenquediffère-t-elledecelledeCopan.Nousappelonsàplus

àlazonemayaquiprennecertesencomptelesparamètresethnographiques,maisaussietsurtoutla réalitéarchéologique(Goudiaby2016).

Tentative de construction

Certainsauteursinsistentsurlefaitque,pourpouvoirparlerdeliend’ancestralitéentredeux individus,ildoityavoirégalementunliengénéalogique(Bradbury2004,127).Maisàqueldegré? Eneffet,l’exempledesK’iche’montreclairementque,danscertains cas,mêmelesancêtrespeuvent êtreregroupés envastescatégories anonymesaveclesquelles oninteragitcollectivement. Dansces conditions, lailiation relève plus du sentiment d’appartenance à un groupe que d’un lien biologique –mêmesichaquefamillesait,pouruntempsdumoins,dansquellecatégoriesespropresmortssont inclus. Concernant les Mayas du Classique, si l’on admet le caractère « légitimant » de l’ancêtre avancé par McAnany, le lien familial direct semble nettement plus indispensable - heureusement, carlaparentébiologiqueest bienplusfacileàdécelerpourl’archéologiequela parentésociale.La

Fig.XI.5. Modèle dynamique de l’ancestralité en zone maya, sur une base proposée par l’auteur en 2013. Sur l’ensemble des morts, seule une minorité suivra la branche supérieure. Cette branche se subdivise entre les aïeux, terme retenu pour qualiier une catégorie de morts d’importance intermédiaire, et les ancêtres, dont les capacités sont supérieures. Parmi eux, on peut encore distinguer ceux qui n’ont d’importance qu’à l’échelle familiale de ceux qui importent pour toute la communauté. Remarquons que, selon les cas, ces entités peuvent être révérées de façon individuelle (ce serait, par exemple, le cas des rois) ou plus collective (« mon père et les pères de mes pères jusqu’au fondateur », par exemple). Qu’importe leur im-portance, tous iniront par sombrer dans l’oubli, après une durée plus ou moins longue.

C’estunebasecertes,maisellen’estpassufisanteensoi.Sil’onreprendlaremarquedeSellato,on nevoitguèrededifférenceentreunsimpleaïeuletunancêtre,puisquedanslesdeuxcas,lasituation dudéfuntcorrespondbeletbienàcettedéinition.Ilyadoncautrechose,quelquechosequivamettre l’ancêtreau-dessusdusimpleaïeul.

L’unedeces«autreschoses»,c’estd’abordlacapacitéd’interventiondudéfunt(Bloch2010).

En 1968, Annemarie de Waal Maleijt a proposé une classiication générique des différents types d’entitéssurnaturelles(deWaal Maleijt1968,161-62). Bienqu’uneapplicationàgrandeéchellede cettecatégorisationsoitcontestable,ellenemanquepasd’intérêtpournotrediscussion.Envoiciles composantes:

• Lesdieux(1):personniiés,nommés,individualisésetd’originenon-humaine.

• Lesesprits(2):collectivisés,nonsystématiquementnommésetd’originenon-humaine.

• Lesâmesdesmorts(3):d’originehumaine,dontlesouvenirindividuelsemaintientpuisestgra -duellementintégréàunecollectivitéanonymeàlamanièredesesprits.

• Lesfantômes(4):d’originehumaine,desâmesquireviennentverslesvivantsmalgrélesprécau -tionsprises,souventpourlestroubler.

• Lesancêtresdéiiés(5):d’originehumaine,desindividusdontlestatutdanslacommunautédes vivantsesttelqu’ilssontnonseulementancestralisésmaisélevésaustatutdedivinité.

• Lesâmes desancêtres (6): d’originehumaine, ce sontdes défuntsfaisant partiede lacommu -nauté, dont on considère non seulement qu’ils en font encorepartie même après la mort, mais qu’ilsensontdesélémentsactifs.

• Les héros(7) : iguresd’origine semi-divine quiont servi d’exempleou déini certainsaspects culturelspropresaugroupe.

• Lestricksters(trompeurs,roublards;8):desentitéssemi-divinesquipeuventinteragiravecles mortelsmaisnes’intéressentabsolumentpasàleurbien-être.

différenceentrelesmortscommunsd’unepart, quinesontpasvéritablementrévérésmaisquel’on commémore individuellementou en groupe de façon de plus en plus anonyme, et les ancêtresqui disposentd’unvéritablepouvoird’intervention.Cettecapacitéd’intervention,quilesdifférenciedes mortscommuns,peutallerencoreplusloin:certainssontsimplementdesmembrespotentiellement actifsdelacommunauté,maisd’autres,bienpluspuissants,sontélevésaurangdedieuxmineurs.Il nousfautdoncfaireévoluerladéinition:

« L’ancêtre maya6 est avant tout un ascendant familial direct, ideniiable et individualisé, bien que certaines personnes sans descendance puissent parfois accéder à ce statut. Il est considéré comme un élément acif et peut intervenir posiivement ou négaivement dans les afaires des vivants. »

Un troisième aspect vient distinguer l’ancêtre des autres morts : la pérennité du souvenir.

Contrairementàundéfuntordinairedontlamémoireneseperpétuerapasau-delàdequelquesgéné -rations, voiremoins selonles circonstances, unesociété dontla structurerepose enpartie surl’an -cestraliténepeutsepermettred’oubliersesmembres éminents,carilsdéinissentàlafoisunpassé commun–parfoismythique–etunestructuredepouvoir quiendécoule(Bloch2010).L’ancestra -lisationestunengrenagequipeuts’avérerdificileàarrêter,aussibienàl’échelledesroisqu’àcelle desgensducommun.Parailleurs,indépendammentdetoutcontexteancestralounon,ilnefautpas oublierlerôlequelasimpleprésencedesmortstientdansl’attachementdesvivantsàunespace,et réciproquement:cederniernemanquepasnonplusderappeleràsesdescendantsquelesmortss’y trouvent.Onnepeutconsidérerl’unsansl’autre.C’estl’unedesracinesdecequeSagnesappellele

«sentimentd’autochtonie» (Sagnes2004), etdanslecadredes sociétés«àancêtres», elleboucle leraisonnementennousramenantàl’hypothèse8deSaxe-Goldstein.Carcettehypothèsen’estpas fondamentalement fausse : elle est simplement surexploitée. Les morts prestigieux ont bel et bien tendanceà bénéicierdestructures funérairesprivilégiéesou d’emplacementsspéciaux, commeles oratoiresrésidentielsoulesaxesdesbâtimentspourlesmayas.Cequiestàlafoisunmoyendepé -renniserleursouvenir,deleurrendrehommage,etdefairerejaillirleurgloiresurleursdescendants.

Voicidonc, enin,lepôlethéoriquedecettepremièrepartie:

« L’ancêtre maya est avant tout un ascendant familial direct, identiiable et individualisé, bien que certaines personnes sans descendance puissent parfois accéder à ce statut. Il est considéré comme un élément actif et peut intervenir positivement ou négativement dans les affaires des vi -vants. Son statut particulier lui assure une place à part non seulement dans le monde des morts, dont il se détache, mais aussi parfois dans celui des vivants, qui peuvent choisir de déposer ses

6 Cete précision est nécessaire, tous les peuples ne déinissant pas les ancêtres de la même façon. Il nous a donc

s’ilexiste, ausein desoncorpus, des défuntsquidiffèrentdes autresdeparleur traitementouleur localisation(faitquenousavonsdéjàvuenpremièrepartie).Lorsquec’estlecas,unerél exion ap-profondiesurleurstatutestévidemmentpertinente,maiselle ne doit pas éclipser la question du statut des autres morts, même si ceux-ci sont plus difi ciles à identii er. Nous allons tenter de lemontrer danslasectionsuivante,aumoyend’exemplesethnographiqueslointains,danslesquelslespratiques funérairesseraientpourlemoinsétrangessilesculturesquilesontengendréesn’étaientpasconnues.

II. r éflexIoNs eTHNoarcHéoloGIQues

II.1. Les Mbeere (Kenya)