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Chapitre 4: Cadre Conceptuel

3. METHODOLOGIE

3.1 L’analyse de texte

Mes questions de recherche s’intéressent principalement à un projet de socialisation institutionnel, lequel devrait être mené à bien. Cependant, il ne faut pas confondre le projet avec sa réalisation. Le projet est de nature idéale, et sa réalisation correspond de fait à ce qui est réellement entrepris, cela

étant concrètement orienté par le projet. Comme je l’ai déjà expliqué, chercher à identifier un projet est une chose, certes intéressante, mais il est bien plus intéressant de s’intéresser à sa réalisation, et aux différences entre l’idée et sa réalisation. Cependant, pour cela, il faut d’abord avoir identifié un projet qui puisse faire office de référence. Pour mon mémoire, ne pouvant pas tout faire, j’ai décidé de commencer par chercher à identifier ce projet de référence.

Pour identifier ce projet, la source de donnée la plus évidente semble être les documents qui décrivent, expliquent, prescrivent, programment ce qui doit être fait en formation, soit le curriculum prescrit, pour en tirer un système de valeurs. Ces différents textes sont considérés comme étant les principaux supports de valeurs de la formation initiale des enseignants.

L’existence de tels documents pourrait presque amener le lecteur à se demander s’il est nécessaire de consacrer toute une recherche pour identifier le projet d’une institution qui est censée être transparente et décrire ses activités. Le fait est que cela semble nécessaire. Le projet que j’aimerais identifier n’est pas transcrit tel quel, il est issu de multiples volontés, parfois anciennes ou antagonistes, il est en outre extrêmement complexe, cela laissant présager des éléments apparaissant «par hasard», ou étant caché, et devant être lus entre les lignes. Les textes qui le décrivent sont multiples et éparpillés. De plus, je m’intéresse aux valeurs, et leur identification demande une analyse plus profonde qu’une simple lecture de texte.

Ainsi, s’il est pertinent de mener une analyse de texte, deux choix méthodologiques doivent être faits. Le premier est de sélectionner les textes à analyser, le second est de choisir la méthode d’analyse.

3.1.1 Choix des textes

Pour le choix des textes, j’ai décidé de tenter d’englober un échantillon aussi large et pertinent que possible 24:

• Les législations cantonales (BE, JU, NE)

• les textes de la CDIP sur la formation des enseignants, ratifier par les cantons.

• Les textes de la CIIP sur la formation des enseignants, ratifiés par l’ensemble des cantons romand.

• Le code de déontologie des enseignants, élaboré par le Syndicat des Enseignants Romands. Il est distribué et discuté dans le cadre de la HEP-BEJUNE.

• Les textes spécifiques à la HEP-BEJUNE (traités inter cantonal, charte, règles de fonctionnement, règlements, directives…)

• Le référentiel de compétence: il décrit très précisément quelles compétences devraient être acquises par les étudiants lors de leur formation.

• Les plans-cadres: il s’agit de plan qui décrive les limites dans lesquelles les formateurs peuvent élaborer leur cours, cela de manière générale et contraignante, et forme ainsi le programme de formation.

• Les textes de références destinés aux étudiants (consigne de stage, évaluation, consigne de rédaction du mémoire, etc.)

• Les orientations générales du PER: il s’agit du plan d’étude que l’enseignant devra respecter lors de sa prise de fonction. Celui-ci pourrait contenir des éléments quant à la vision didactique, pédagogique, de l’enfant que devrait adopter l’enseignant.

Il est à noter que de nombreux autres textes pourraient faire partie de l’analyse. Le fait que les HEP soient récentes, et que la formation des enseignants soit encore en chantier amène à une prolifération de discours, et beaucoup d’entre eux pourraient être intéressant pour ma recherche. Pour en citer quelques-uns, il y aurait les textes sur la formation des enseignants parus dans la littérature spécialisée, comme l’Éducateur, journal du SER, ou encore les textes et discours politique. Il y aurait également les PV et autres textes de l’assemblée plénière de la CDIP et de la CIIP, ou de ses organes s’occupant de la formation des enseignants, comme la conférence des directeurs des Hautes Écoles pédagogiques ou institutions assimilées (CDHEP), renommé aujourd’hui conférence latine de la formation des enseignants et des cadres (CLFE). Il y aurait eu les PV des réunions des enseignants, ou encore les supports de cours des enseignants, les manuels officiels d’enseignement, autant ceux destinés aux enfants que ceux destinés aux étudiants des HEP. Bref, de nombreuses sources pourraient être mobilisées, et pourraient apporter des précisions et des détails intéressants.

D’ailleurs, il est important de mentionner que je n’ai pas réussi à acquérir la certitude que chacun des groupes de textes choisis pour l’analyse de ce travail est complet. Force est de constater que le milieu scolaire se dit transparent, mais ce n’est pas le cas, et il est difficile d’avoir accès à des documents dont on ignore l’existence… Ainsi, je ne peux qu’assurer le lecteur qu’à ma connaissance, j’ai réuni l’ensemble des textes qui appartiennent à l’un des groupes sélectionnés pour l’analyse. Il se peut cependant que d’autres textes existent.

Mais ma recherche se veut exploratoire, elle n’a pas l’ambition de faire une analyse qui promette l’exhaustivité. Je crois cependant que les textes sélectionnés sont les plus pertinents, soit les supports principaux, puisque ce sont eux qui constituent l’ensemble du discours sur la formation des enseignants, et que grâce à eux, je pourrai modéliser un système de valeurs qui sera très proche de la réalité.

En considérant ces supports, on se rend compte que certains d’entre eux comportent des valeurs et des normes qui représentent un projet explicite, intentionnel. Il s’agit de la partie la plus importante des curricula, des référentiels de compétences et des discours institutionnels. Cependant, dans la pratique, ces supports risquent également de faire émerger des valeurs et des normes de manière non intentionnelle. La limite entre l’intentionnel et le non intentionnel risque de dépendre fortement de mon interprétation, de l’inférence que je ferai à l’aide du contexte. Cela m’amène à spécifier la manière dont je vais mener l’analyse.

3.1.2 Méthode d’analyse de texte

Tout d’abord, il convient de spécifier que les textes choisis ne sont pas tous de même nature: on pourrait identifier des textes politiques (loi, ordonnance, concordat, etc.), les textes institutionnels

(déontologie, charte, règlement, règle de fonctionnement) et les textes « pratiques » (plan-cadre, référentiel de compétence). Ces trois groupes de texte ne poursuivent pas exactement les mêmes objectifs, et ne décrivent pas forcément le même projet de socialisation institutionnel. Il pourrait donc y avoir un projet de socialisation qui soit politique, institutionnel et réel, et que ces projets comportent des différences. Ces textes et projets sont en outre hiérarchiquement organisés. Les textes politiques fondent le projet dans sa globalité et représente la référence suprême, les textes institutionnels traduisent ce projet pour l’institution et viennent en second dans la hiérarchie, et les textes pratiques fondent la socialisation institutionnelle réelle. Ces différents textes sont clairement liés, mais il n’est pas certain que le projet réel rejoigne exactement le projet institutionnel, ni le projet politique. Il peut y avoir des différences, des écarts, des contradictions. Or, mes questions de recherche s’intéressent plutôt au projet réel. De ce fait, j’aurais pu me contenter d’analyser uniquement les textes fondant le projet réel. Cependant, j’ai jugé plus pertinent de prendre en compte également les textes explicitant les projets institutionnels et politiques, cela parce que ces derniers devraient orienter le projet réel. Grâce aux textes définissant le projet politique, il est possible de comprendre dans quel cadre et selon quelles orientations le projet institutionnel s’inscrit. De toute manière, les textes définissant le projet politique font partie de support de cours de la HEP-BEJUNE, et sont donc enseignés aux étudiants.

Toutefois, il me semble nécessaire de prendre en compte les différences pouvant apparaître entre les projets politiques, institutionnels et réels. Pour cela, dans l’analyse, je vais tenir compte des différentes natures des textes, et indiquer clairement les différences, lesquelles constituent un élément intéressant pour ma recherche.

Les textes politiques amènent un autre problème: ils sont différents pour chaque canton, en contenu comme en structure. Cependant, étant donné la tendance générale à l’harmonisation intercantonale, le fait que la HEP regroupe ces trois cantons et ambitionne de former des enseignants correspondant aux trois cadres légaux25, j’ai décidé de mener l’analyse comme s’il s’agissait d’un seul texte, et de ne pas tenir compte des différences entre cantons, lesquelles se sont avérés être très minime. Il y a des différences, mais cela tient surtout à la formulation. Certains textes de loi sont bien plus précis, mais désignent les mêmes éléments que les autres bases légales. J’ai en outre tenu compte uniquement des éléments concernant de manière directe ou indirecte la formation des enseignants, cela incluant le statut et le mandat de l’enseignant.

De plus, il faut noter que ma catégorisation des textes ne tient absolument pas compte des auteurs, et des différentes attentes, missions, influences, visions, fonctions qui les concernent. Par exemple, j’ai regroupé sous la dénomination «projet institutionnel» la déontologie des enseignants édictés par le SER et les plans-cadres, édicté par un comité de la HEP-BEJUNE. Il pourrait être intéressant de prendre en compte ces variables, mais cela amènerait des considérations qui ne concernent pas le questionnement de cette recherche. Je n’ai donc pas tenu compte de ces variables.

J’ai mené une analyse par le haut, soit en commençant par les projets politiques, puis en prenant les textes institutionnels, et finissants avec les textes pratiques. Cette logique m’a semblé pertinente                                                                                                                

dans le sens où même s’il y a des différences, en prenant les textes par le haut, il était possible de mieux comprendre et donc de mieux interpréter les textes venant ensuite, lesquelles dépendent et doivent suivre les textes hiérarchiquement supérieurs.

Pour l’analyse, j’ai choisi de suivre la méthode d’analyse par grille proposée par Rehzsohasy, dans son livre «sociologie des valeurs (2006)». Il s’agit de tenter d’extraire les valeurs en remplissant une grille d’analyse, élaborée par le chercheur en amont, en fonction des questions et hypothèses de recherche, ainsi que des textes analysés. Cette grille se veut très malléable, s’adaptant à la situation. Dans mon cas, elle comprend : l’identification des auteurs du texte support, les valeurs énoncées, les contre-valeurs énoncées, les révélateurs de valeurs, la signification les révélateurs de hiérarchie et de structure, l’ère de validité, la force contraignante, la manière dont la valeur est présentée. À cela s’ajoutera si cela est identifiable la fonction de la valeur, la tendance de la valeur à évoluer ou à provoquer des conflits, et la présence de normes non explicitées par une valeur. Il est à noter que je ne vais pas approfondir la question des auteurs des textes et des relations entre les différents auteurs. Je ne m’intéresse qu’à l’institution et à l’état actuel de la socialisation qu’elle incarne, tel qu’elle est amenée à l’étudiant. Ce dernier n’a pas connaissance de la manière dont cette socialisation a été construite, des éventuels divergences, conflits ou autres.

De nombreux textes explicitent le rôle de l’école, sa forme, la mission des enseignants, leur mandat ou leur caractéristique. Cela ne concerne pas la formation des enseignants. Cependant, j’ai décidé de prendre cela en compte dans l’analyse. En effet, si l’on déclare que l’école doit être un lieu d’accueil, c’est que l’enseignant devra être accueillant, et donc qu’on cherchera peut-être à former le futur enseignant à être accueillant. Cette translation, rôle de l’école, rôle de l’enseignant, rôle de la formation semble très cohérente, et est validé par le fait que la formation des enseignants se veut être le plus près possible de la pratique, et répondre aux mandats de l’école. Il ne semble pas y avoir de rupture entre les missions de l’école, les missions de l’enseignant et la formation initiale: dans les textes que j’ai analysés, tout semble être lié de manière très cohérente. Ainsi, j’ai considéré que les éléments décrivant le rôle de l’école et de l’enseignant s’appliquent également à la formation des enseignants.

En écrivant ces lignes, et en constatant leur nombre restreint, je remarque à quel point cette analyse est très qualitative, et dépend fortement du chercheur et de son discernement. Il y a effectivement un très gros travail d’interprétation, notamment parce que les valeurs sont parfois implicites, et que je dois y mettre un mot, les définir alors que je ne connais pas la totalité des mots désignant des valeurs ni leur définition exacte, cela pouvant mener à quelque maladresse, lesquelles seront sujettes à controverse. Identifier la fonction d’une valeur est également un exercice soumis à large part à l’interprétation du chercheur. Rezsohazy considère qu’il n’y a pas de règle stricte quant à l’interprétation des valeurs, et que le chercheur se doit de s’armer de trois qualités pour mener une telle analyse, soit l’objectivité, le discernement, et l’imagination.

Mais plus encore, pour gagner en crédibilité, j’ai décidé de ne pas m’arrêter à la seule analyse de texte, mais d’utiliser deux autres méthodes: l’observation et l’entretien. La première afin de m’imprégner du contexte et de compléter mon analyse de texte, la seconde pour confronter mes résultats une fois ceux-ci obtenus (j’y reviendrais plus tard).