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Chapitre 2 : La formation des enseignants

2.5 Délimitation de l’objet de recherche

Si ce que l’UNESCO décrit est réellement appliqué, la formation des enseignants est investie d’une mission, celle d’inculquer une vision de la pédagogie aux futurs enseignants, de leur faire développer des qualités éthiques, intellectuelles et affectives. Lle but étant ensuite de développer ces qualités chez les élèves. Parmi les éléments développés dans les précédents chapitres, comme l’importance de l’école pour la société, la présence de valeurs dans le domaine scolaire, ou encore la professionnalisation du métier d’enseignant, qui rime avec un développement et une évolution de la formation des enseignants, il y a de quoi penser que la formation des enseignants joue effectivement un rôle proche de ce que décrit l’UNESCO.

On comprend mieux pourquoi Philippe Perrenoud considère que «l’activité des enseignants a des

dimensions philosophiques, idéologiques, éthiques et politiques qui en font plus qu’un métier au service d’une organisation» (Perrenoud in Bourdoncle et Demailly, 1998, p.176). Cet auteur (1994,

1996) avance que la formation des enseignants a pour but d’influencer la création d’un habitus professionnel chez l’étudiant. Or, parmi les éléments constituant cet habitus professionnel, mais aussi parmi les éléments faisant de l’enseignement une profession, il est un aspect central qui constitue l’objet de cette recherche: la transmission d’un système de normes et de valeurs communes, ainsi que l’établissement d’une déontologie professionnelle, laquelle est déterminante pour la professionnalisation du métier.

Ce que j’aimerais comprendre, c’est si la mission d’inculcation et de développement de qualités est réellement entreprise au travers de la formation des enseignants en Suisse romande, soit par le biais des HEP, et le cas échéant, quelles sont les qualités que l’on veut inculquer aux étudiants, et en quoi consiste la vision de la pédagogie qu’ils doivent adopter, quelle déontologie est enseignée. Il serait également intéressant de comprendre de quelle manière tout cela est «inculqué».

Pour répondre à ces questions, j’ai choisi de m’intéresser aux valeurs. En effet, toutes visions pédagogiques, toutes qualités éthiques, intellectuelles et affectives, toute déontologie, ainsi que toutes tentatives d’inculcation, s’appuient et font référence à un système de valeurs, lequel se traduit par l’établissement de normes. Mon objectif devient donc de rechercher quelles sont les normes et les valeurs qui se cachent derrière les qualités, la vision pédagogique, la manière d’enseigner ou encore la déontologie qui devrait10 être inculquées dans les HEP, et d’essayer de modéliser le système de valeurs qui sous-tend ces éléments.

                                                                                                               

10 L’utilisation du conditionnel fait référence au fait qu’il y a une différence entre un projet et la réalisation de celui-ci. Comme je vais l’expliquer plus tard, dans ce travail, pour des questions de faisabilité, je n’aurai la possibilité de m’intéresser uniquement qu’au projet et à ses effets potentiels. Les conditions et les effets réels de sa réalisation seront pour un autre travail.

Le fait de s’intéresser à un système de normes et de valeurs permet d’obtenir une vision globale et de ramener plusieurs éléments différents, comme la manière d’enseigner et ce qui est enseigné, à une base commune. Cela permet également d’éviter la possibilité qu’aucune «mission» ne soit concrètement visible, identifiable, et cohérente, ce qui pourrait être le cas si de fait, les HEP n’ont pas de mission clairement établie. En effet, il y aura de toute manière présence d’un système de valeurs, lequel sera identifiable même s’il est incohérent.

Cependant, il semble que les décideurs des HEP soient conscients de leur mission, puisque dans les textes de loi qui fondent ces écoles, comme le concordat HEP-BEJUNE, on peut lire: «La HEP

est une institution du degré tertiaire chargée de la formation initiale des enseignantes et enseignants de l’école enfantine, de l’école primaire, des écoles du niveau secondaire I et du niveau secondaire II, de la formation continue de l’ensemble du personnel enseignant». Quant aux

programmes, ceux qui les ont établis sont également conscients de la dimension axiologique de leur démarche. Dans les principes curriculaires (2005) de la HEP-BEJUNE, on peut lire cette déclaration: «Un programme de formation à l’enseignement est, au sens fort, une construction sociale: il est le

produit de croyances et de convictions (épistémologiques, éducatives, professionnelles, etc.), de valeurs, de débats et de choix entre divers groupes d’acteurs socio-éducatifs (les formateurs, les cadres, les agents politiques, les associations professionnelles, le personnel scolaire de la région, les autorités politiques et éducatives, etc.). Cette construction sociale est toujours un jeu d’équilibre entre des traditions (les manières établies de faire la classe, les matières inscrites aux programmes du primaire et du secondaire, etc.), un environnement socioculturel mouvant, des pressions et tensions politiques et sociales, des visions de l’avenir et des besoins professionnels (les types d’enseignants à former, les nouveaux apprentissages prévus, etc.)»

Mon but est donc de définir quel est le système de valeurs qui devrait être inculqué lors du passage dans les institutions de formation des enseignants et de comprendre comment il s’articule. Je pourrais alors formuler ma question de départ de cette manière:

« Comment s’articule le système de normes et de valeurs qui devrait être inculqué aux étudiants lors de leur formation initiale en enseignement?»

L’idée est d’identifier le projet de socialisation des HEP et de déterminer ses effets potentiels. Il s’agit de mettre à jour et de décrire un système de valeurs idéales typiques qui permettrait de rendre compte des valeurs qui sont prônées lors de la formation initiale des enseignants. Une recherche ultérieure que j’espère pouvoir mener un jour pourra prendre en compte les effets réels. Mais pour appréhender ceux-ci, j’ai besoin d’une référence, de connaître le projet de base de l’institution et ses effets potentiels. Anne Bourrhis remarque qu’effectivement, dans un premier temps, «les chercheurs

se sont intéressés à la façon dont les individus étaient intégrés à l’organisation, mais pas à ce qu’ils apprenaient et intériorisaient lors de cette intégration. Or, n’ayant pas délimité ce qui constituait le contenu de la socialisation, les chercheurs ne disposaient pas d’instruments pour mesurer à quel point les individus étaient socialisés, donc pour rendre compte du résultat du processus (Chao et al., 1994)» (Bourrhis, 2004; p.684). Mon but est de créer un cadre de références pour pouvoir dans une

autre recherche mesurer à quel point les individus sont socialisés et comprendre dans quelles mesures le résultat s’approche ou non du projet.

Maintenant que le cadre de cette recherche a été défini, et qu’un questionnement de base a été posé, il est nécessaire de préciser le cadre théorique dans lequel il s’inscrit, puis de définir les concepts qui émergent de cette question de départ et qui permettront d’élaborer une question de recherche pertinente. Dans le prochain chapitre, le cadre théorique de ce travail sera développé, notamment au travers d’une sociologie de la socialisation. A la suite de quoi le cadre conceptuel sera développé : il sera question de normes, de valeurs, d’éthique et de déontologie.