• Aucun résultat trouvé

2.6 Contexte sociolinguistique à Guangzhou

2.6.2 L’aménagement linguistique à Guangzhou

Le prestige du cantonais et sa fonction en tant que lingua franca régionale ont posé une grande difficulté à la promotion du mandarin dans la province et notamment dans sa ville capitale, Guangzhou. Dans les années 1950, malgré les directives sur la promotion du mandarin, c’est le cantonais qui joue un vrai rôle de « langue commune » dans la ville de Guangzhou : les citoyens utilisent cette langue dans la vie quotidienne, à l’école, au travail. La grande majorité des écoles utilisent le cantonais comme langue d’enseignement. Il y a même des fonctionnaires qui ne parlent que cantonais au travail.

Après une rupture de dix ans pendant la Révolution culturelle, les offices locaux reprennent leur travail sur la promotion du mandarin, mais leur travail apparaît plus difficile qu’auparavant : d’une part, les travaux de la promotion des années 1950 n’ont pas été efficaces. Le mandarin est toujours ignoré par une grande partie des habitants ; d’autre part, l’essor économique de la zone DRP et l’industrie médiatique de Hong Kong contribuent à une augmentation du prestige du cantonais. Comme l’écrit Don SNOW (Snow, 2004 : 195) :

« In Guangdong, there is a relative difficulty for authorities to promote the use of mandarin, especially during the 1980s and the 1990s. As Guangdong Party Secretary Ren Zhongyi complains, Guangdong is one of the hardest places in China to promote Putonghua, and

108

the Cantonese-speaking sections of the province are the most recalcitrant (1984 : 30). A 1993 report adds that in these areas even government officials sometimes exhibit attitudes of “dialect superiority” which dampens their enthusiasm for promoting Putonghua »

C’est à partir des années 1990 que le travail sur la promotion du mandarin est largement renforcé à Guangzhou. Après que le gouvernement central a ciblé la province du Guangdong, la province du Fujian et la ville de Shanghai comme « régions pilotes » pour la promotion du mandarin, les autorités locales ont renforcé leur travail d’intervention linguistique.

En 1992, un document intitulé « Décision sur une forte promotion du mandarin » (中共广东省委, 广东省人民政府关于大力推广普通话的决定) est publié par l’autorité provinciale, précisant les domaines où la promotion du mandarin sera désormais accentuée.

1. Les médias : il est précisé que les programmes télévisés et radio doivent progressivement réduire le temps de diffusion en cantonais et augmenter celui du mandarin. À partir de 1992, tous les programmes audiovisuels adressés aux enfants doivent être diffusés en mandarin ;

2. L’éducation : selon le document, à partir de cette date (celle du document) jusqu’à la fin de 1995, le mandarin doit être utilisé comme « langue d’école » (校 园语言) dans toutes les écoles primaires et secondaires à Guangzhou et à Shenzhen. Il doit également être la « langue d’enseignement » (教学语言) dans toutes les écoles maternelles de ces deux villes. La compétence en mandarin sera désormais prise en compte dans le recrutement des enseignants et dans la promotion de leur carrière.

3. Les secteurs de service : selon le document, le mandarin devra être utilisé comme langue de travail dans les secteurs de service (l’administration, la restauration, l’hôtellerie…) d’ici à la fin de 1994. Les futurs employés devront passer un test sur leur niveau de mandarin pour être recrutés.

En 1995, la« Régulation sur l’usage des caractères à Guangzhou »(广州市社会用

字管理规定) est publiée par la municipalité de Guangzhou, précisant que l’écrit doit être normalisé dans les affichages publics, dans la presse et à l’école. Ceux qui

109

refusent d’observer cette règle seront condamnés chaque jour à une amende de 50 yuans par caractère (article 20).

En 2003, sur ordonnance de l’autorité provinciale, la ligne 114 – une ligne téléphonique de service public pour renseignement des coordonnées –, a converti la langue de service en mandarin.

Ces mesures et ces réglementations, accompagnées de projets nationaux tels que l’évaluation de la politique linguistique en zone urbaine et la sélection des écoles pilotes en matière d’usage du mandarin et des caractères normalisés, ont largement contribué à la généralisation du mandarin dans la ville. Aujourd’hui, le mandarin est utilisé comme langue d’enseignement dans toute la ville  ; il est la seule langue utilisée dans l’administration. Les fonctionnaires ne parlent que mandarin dans les réunions de travail, les discours publics et autres situations formelles. La plupart des services publics sont monolingues en mandarin, sauf le système des transports où le service bilingue est conservé sur certaines lignes de métro et de bus.

Cependant, il y a un domaine où les politiques ne sont pas rigoureusement mises en place  : celui des médias. Jusqu’à aujourd’hui, le cantonais occupe toujours une place légèrement plus importante que le mandarin sur les chaînes télévisées locales, ce qui est une exception par rapport aux autres villes chinoises où le mandarin est utilisé comme langue principale sans ambiguïté dans les médias locaux.

Au moment où les postes de télévision deviennent populaires dans les familles ordinaires à Guangzhou dans les années 1980, l’industrie des médias audiovisuels est à peine démarrée en Chine, alors que les médias hongkongais se développent déjà à plein. En outre, les programmes médiatiques hongkongais sont diffusés en cantonais, la langue maternelle des habitants dans la région DRP. À cette époque-là, Hong Kong est encore une colonie du Royaume-Uni. Leurs médias, considérés comme porte-parole des « forces étrangères », sont interdits de diffusion en Chine continentale. Mais les téléspectateurs de Guangzhou profitent de la proximité géographique : ils installent une antenne spéciale sur le toit de leurs maisons pour recevoir le signal télévisé en provenance de Hong Kong. Dans les années 1980, la présence des antennes sur les toits des maisons est une scène particulière de Guangzhou.

110

Pour empêcher l’influence idéologique des médias hongkongais et aussi pour propager l’idéologie du parti chez les citoyens hongkongais qui parlent cantonais, la station de télévision de Guangzhou, qui vient d’être créée, obtient un privilège en coulisse en 1988 : elle est autorisée à produire et diffuser la majorité de ses programmes en cantonais (Qu 2011 ; Liang, 2014). Ainsi, utiliser le cantonais au lieu du mandarin comme langue de diffusion principale est depuis lors considéré comme légitime dans les médias audiovisuels de Guangzhou. Bien que les documents normatifs publiés dès la fin des années 1980 appellent à la réduction de l’usage des dialectes, il n’y a pas eu de changement réel dans les chaînes télévisées locales à Guangzhou. L’autorité y porte un œil fermé.

Cependant, suite à la rétrocession de Hong Kong à la Chine, l’attitude tolérante du gouvernement concernant l’usage du cantonais dans les médias locaux a commencé à changer. Dans le sillage de la publication de la loi linguistique nationale en 2001, le gouvernement central a signalé, à plusieurs reprises et dans différentes occasions, que le cantonais occupe une place trop importante dans les médias audiovisuels de la zone DRP, et qu’il est nécessaire d’augmenter la proportion du mandarin en réduisant la proportion de diffusion en dialecte.

Dans ce contexte-là, plusieurs tentatives ont été faites sur les chaînes télévisées locales pour essayer de substituer le cantonais au mandarin dans certains programmes. Toutefois, ces tentatives se sont toujours heurtées à un avis non favorable des citoyens, certaines ont été abandonnées face à la pression publique, illustrée par le Mouvement pour la défense du cantonais – dont nous parlerons dans la prochaine section – où les citoyens prennent une part active dans la gestion de l’usage des langues dans les médias.

2.6.3 Nouvelles dynamiques sociales : linguistique, démographique,