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Les contextes jouent un rôle essentiel dans notre analyse en politique linguistique. L’aspect diachronique nous permet à mieux comprendre des problèmes qui se trouvent dans la politique linguistique d’aujourd’hui. Un regard synchronique nous fournit une meilleure compréhension sur l’interaction entre les dynamiques linguistiques et les dynamiques sociales selon les circonstances différentes. Dans cette partie, nous nous concentrons sur l’évolution de la politique linguistique de la Chine pendant les différentes époques historiques. Nous présentons aussi les situations de l’aménagement linguistique dans d’autres régions du monde sinophone. A la fin de la deuxième partie, nous focaliserons sur l’aménagement linguistique officiel à Guangzhou depuis 1949.

A tout début de cette deuxième partie, nous essayons d’apporter quelques clarifications sur le terme et le concept du dialecte dans le contexte chinois, ce qui est indispensable pour comprendre l’ensemble de la deuxième partie. La Chine est un pays multilingue avec des centaines de parlers sur son territoire. Mises à part des langues parlées dans les ethnies minoritaires, au nombre d’une centaine, il existe sept familles linguistiques au sein du groupe ethnique majoritaire (Ramesey, 1987 ; Chen, 1999) et de nombreuses sous-variétés au sein de chaque famille linguistique. Selon la tradition, ces familles linguistiques et leurs sous-variétés au sein du groupe ethnique majoritaire sont vaguement désignées fangyan 方言. Il est généralement considéré que Yangxiong (53 av. J.-C. - 18 ap. J.-C.), philosophe et poète à la fin des Han occidentaux, fut le premier écrivain à utiliser le mot fangyan pour désigner les variétés linguistiques régionales dans son fameux ouvrage qui porte ce même nom 20.

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Fangyan est généralement traduit en français par dialecte. Pourtant, ce terme n’a pas exactement la même signification que le terme « dialecte » des pays européens. Tandis que les dialectes européens sont souvent compris comme des variétés d’une même langue, les fangyan sont tellement différents les uns des autres qu’ils ne sont pas mutuellement intelligibles oralement. Dans ce cas, ne serait-il pas plus approprié de considérer les fangyans comme des langues indépendantes ? D’après nous, ce n’est pas non plus le cas.

En fait, le classement d’une variété linguistique en tant que langue ou en tant que dialecte dépende non seulement des critères linguistiques, mais aussi des conditions sociopolitiques et des traditions. Dans de nombreuses situations, les facteurs idéologiques l’emportent sur les critères linguistiques. C’est le cas pour la distinction des langues scandinaves et la différenciation entre Hindi et Urdu (Chambers et Trudgill, 2004).

Dans le contexte chinois, la croyance généralisée en une ethnie Han représentée par une culture relativement homogène et un système d’écriture unifié a contribué à perpétuer l’idée selon laquelle les variétés linguistiques de l’ethnie Han ne doivent pas être considérées comme des langues à part entière, bien que cette croyance ne corresponde pas tout à fait aux faits historiques (voir plus loin dans le texte). Comment mieux définir le fangyan reste un sujet de débat dans la sphère académique. Certains linguistes proposent des termes plus neutres, tels que « régionalecte » (DeFrancis, 1984) ou « topolecte » (Mair, 1991) pour décrire les variétés linguistiques de l’ethnie Han. Nous conformant à la convention d’usage, nous emploierons les termes « dialectes » ou « variétés linguistiques » pour décrire le fangyan dans notre étude.

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Figure 2.1 Distribution géographique des dialectes de Chine (Source : Pennock, 2001, cité dans Liang 2014 : 37)

Comme on le voit sur la carte géolinguistique ci-dessus, il y a sept grands dialectes en Chine : le mandarin (comprenant le mandarin du Nord, de l’Est et du Sud-Est), le wu, le xiang, le gan, le min, le hakka et le cantonais (appelé aussi yue). Puisqu’ il n’y a pas eu de recensement linguistique stricto sensu en Chine, les statistiques des nombres de locuteurs ne peuvent qu’être indicatives. Dans cette étude, ils

proviennent essentiellement de deux références académiques : Ethnologue:

Languages of the World (SIL International, 2013) et Language Atlas of China

(Académie chinoise des sciences sociales & l’Université municipale de Hong Kong,

2012). Ces deux ouvrages sont respectivement abrégés comme Ethnologue (2013)

et Atlas (2012) dans la description ci-dessus.

Le mandarin est le dialecte le plus important en Chine au niveau de la répartition géographique et du nombre de ses locuteurs. Il comprend trois sous-variétés principales : mandarin du Nord, mandarin de l’Est et mandarin du Sud-Est. On estime que plus de 70 % des Chinois parlent une sous-variété du mandarin en tant que langue maternelle (Norman, 2003). Le nombre total des locuteurs du mandarin en Chine s’élève à 889 000 000 (Ethnologue, 2013).

Le wu se place au deuxième rang des dialectes chinois, par le nombre de ses locuteurs en Chine : 80 100 000 selon Ethnologue (2013) et 74 000 000 selon Atlas

(2012). Il est aussi l’un des rares dialectes chinois à avoir établi son propre système d’écriture dans l’histoire. Il est parlé dans une grande partie de la province du Zhejiang, la municipalité de Shanghai, le Sud de la province du Jiangsu, ainsi que dans certaines régions des provinces du Anhui, du Jiangxi et du Fujian. Les principales sous-variétés incluent celles de Shanghai, de Suzhou, du Wenzhou, de Hangzhou, de Yongkang et de Shaoxing.

Le cantonais est le troisième dialecte le plus parlé en terme du nombre de locuteurs. Il est parlé dans le Centre, le Sud-Ouest et une partie du Nord de la province du

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Guangdong et une partie de la Province du Guangxi. Au-delà de la Chine continentale, le cantonais est largement parlé à Hong Kong et à Macao, deux anciennes colonies étrangères. Il est aussi une langue véhiculaire importante dans

les communautés chinoises d’outre-mer. Selon Ethnologue (2013), le nombre des

locuteurs du cantonais atteint 52 900 000 en Chine et 62 967 910 dans le monde entier. Ces chiffres sont quelques peu différents des statistiques de Atlas (2012), qui estime un nombre de 59 580 000 locuteurs en Chine et environ 68 000 000 locuteurs dans le monde entier. Plus précisément, Atlas (2012) estime un nombre de 28 000 000 locuteurs du cantonais dans la province du Guangdong.

Les locuteurs du hakka sont largement dispersés dans le Sud de la Chine ainsi que dans le Sud-Est de l'Asie. Hakka (ou kejia) signifie « famille des hôtes » en chinois, ce qui révèle un aspect historique du groupe des hakkas. Les Hakkas croient que leurs ancêtres proviennent du Centre de la Chine. Ils se déplaçaient successivement du Centre vers le Sud de la Chine pendant les périodes de guerre. La langue qu’ils parlent est généralement considérée comme résultant des contacts entre les langues du Nord (le mandarin) et les langues du Sud. Le nombre de locuteurs du hakka est

estimé à 27 100 000 en Chine et 31 425 260 dans le monde entier (Ethnologue,

2013)

Les locuteurs du min se trouvent essentiellement dans les provinces de Fujian, Guangdong, Hainan et Taiwan. Cette langue est aussi largement parlée dans les communautés chinoises installées en Asie du Sud et en Amérique du Nord. Par exemple, à Singapour, où plus de 60 % des Singapouriens d’origine chinoise parlent une variété du min (Li Wei et al., 1997). Le min comprend plusieurs sous-variétés qui ne sont pas mutuellement intelligibles. Le nombre de locuteurs est estimé à 27 100 100 en Chine et 48 033 100 à l’échelle internationale.

Le gan et le xiang sont essentiellement parlés à l’intérieur de la Chine. Selon

Ethnologue (2013), le nombre de locuteurs du gan atteint 21 700 000 et celui du xiang 36 600 000.

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