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de l’agriculture périurbaine en Méditerranée. Une démarche basée sur une comparaison en miroir

Esther Sanz Sanz 1,2,3, Claude Napoléone 1, Bernard Hubert 1,2, Rafael Mata Olmo 3

1

Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), unité Ecodéveloppement (France)

2 Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) (France)

3 Département de Géographie de l’Universidad Autónoma de Madrid (UAM) (Espagne)

Résumé. Les nouvelles préoccupations citadines autour du cadre de vie et de la sécurité alimentaire légitiment aujourd’hui la prise en compte de l’agriculture dans la planification territoriale. Les outils d’urbanisme existants peuvent être utilisés pour protéger les espaces agricoles mais ils tiennent difficilement compte des spécificités de l’agriculture en tant qu’activité économique. Or, l’agriculture ne peut être préservée si les agriculteurs ne se maintiennent pas. En outre, les approches des agricultures périurbaines sont souvent focalisées sur la distance au centre et ne permettent pas de rendre compte de la diversité des agricultures ; notamment leur capacité relative à fournir des denrées alimentaires à la ville la plus proche. Dans la perspective de fournir un outil générique d’analyse des agricultures périurbaines adapté à l’échelle de l’action publique (une région, un état...), nous proposons une méthodologie de caractérisation de l’agriculture périurbaine qui soit opérationnelle pour la planification et les projets urbains et suffisamment formalisée pour être généralisable à des échelles supérieures d’analyse. Nous appuierons nos résultats sur l’analyse de deux cas d’études contrastés (Avignon et Madrid).

Mots-clés. Agriculture périurbaine – Planification territoriale – Méthodologie – Diversité – Paysage.

Towards a systemic and generic methodology for characterizing Mediterranean peri-urban agriculture. An approach based on a mirror comparison

Abstract. New urban concerns concerning the quality of life and food security legitimize the incorporation of agriculture into territorial planning. Existing planning tools can be used to protect farmland, but they scarcely consider farming particularities as an economic activity. In other words, agriculture cannot be preserved if farmers do not rest. What is more, approaches to peri-urban farming usually focus on the distance to urban center and rarely consider farming diversity, especially the relative capacity to provide food to the nearest city. Seeking to provide a generic tool to analyze peri-urban agriculture adapted to a public action scale, we propose a methodology aimed at characterizing peri-urban agriculture. This methodology is operational for planning and urban projects and formal enough to be generalized for the upper levels of analysis. We have based our work on two contrasting case studies (Avignon and Madrid).

I – Introduction

La croissance des villes et la consommation corrélative des sols agricoles périurbains, est un

fait global (Primdahl et al., 2013) qui remet en cause les équilibres anciens au sein desquels les

zones urbaines assuraient une part de leurs approvisionnements alimentaires dans leurs ceintures vertes périphériques. Le marché des denrées s’est globalisé et, en retour, un certain nombre d’attentes politiques émanent des villes eu égard à la préservation des espaces agricoles résiduels (Valette, 2014). Attentes motivées par des critères de santé (assimilation

des produits industriels à des produits de moindre qualité nutritionnelle – Gilg et Battershill,

1998), organisationnel (Baysse-Lainé, 2014 ; Deverre et Traversac, 2011) ou paysagers

(Duvernoy et al., 2005). L’expression de ces attentes revient à produire des dispositifs aidant à

la pérennité des agricultures existantes en périurbain (Thebo et al., 2014 ; Drescher, 2001) ou

protégeant les terres agricoles résiduelles (Duchemin, 2013). Toutefois, pour mettre en œuvre ces dispositifs, il convient de caractériser correctement les espaces agricoles périurbains et, dès lors qu’il y a une volonté d’action sur l’usage du sol (installer des agriculteurs, développer l’agriculture biologique, organiser des filières courtes…), de fournir les moyens de cibler les milieux ou les exploitations susceptibles de répondre aux attentes collectives. Il existe, en effet, un ensemble très diversifié d’exploitations ou de situations professionnelles qui ne fait pas d’une agriculture localisée au bord d’une ville une agriculture fonctionnellement liée à la

présence de cette ville – des céréaliers de faubourgs urbains produisant du blé pour les

coopératives nationales, par exemple.

Les critères les plus fréquemment utilisés pour définir l’agriculture périurbaine se basent trop souvent, à notre sens, sur des notions de proximité à la ville à partir de laquelle on présume des

liens fonctionnels (Nahmias et Le Caro, 2012 ; Zasada et al., 2013). La proximité est, certes, un

des fondamentaux de ces situations. Elle est souvent développée en se référant à un modèle à la Von Thünen (1826) où la distribution spatiale des usages agricoles se fait en fonction de la distance au centre urbain et de la rentabilité attendue des usages des sols. Toutefois, l’observation montre que les stratégies foncières des agriculteurs ou des propriétaires fonciers ne sont pas strictement contingentes à la rentabilité relative des systèmes agricoles, mais incorporent d’autres éléments susceptibles de complexifier l’allocation des sols agricoles dans

ces espaces (l’anticipation de constructibilité, par exemple – voir Geniaux et al. (2011) ou

Geniaux, Napoléone (2005)).

Pour rendre compte des fonctionnalités effectives existant entre agriculture périurbaine et ville, de nombreux travaux ont été conduits (Boily, 2012 ; Charvet, 1994). Ils reviennent souvent à réaliser des enquêtes de terrain qui présentent l’avantage de générer des informations riches sur des situations précises, mais revêtent, en revanche, de grandes difficultés à être conduites à une échelle pertinente pour l’action publique, ne serait-ce que par le nombre d’exploitants à enquêter dès lors que l’analyse est faite à l’échelle d’une agglomération, d’une région urbaine, d'une circonscription administrative...

Pour définir une méthodologie de caractérisation de l’agriculture périurbaine opérationnelle pour la planification et les projets urbains, nous proposons dans ce papier une méthode qui se veut reproductible sur le pourtour méditerranéen, basée sur des indicateurs de sensibilité de l’agriculture à une action institutionnelle locale. Une mise à l’épreuve de la méthode est proposée pour les villes d’Avignon et de Madrid. Nous focaliserons notre regard sur l’agriculture productive, c’est-à-dire permettant d’alimenter les marchés urbains en denrées alimentaires. Un certain nombre d’usages du sol, tels que les jardins familiaux, génèrent des produits agricoles sans s’intégrer pour autant dans une filière de production. Ils occupent des espaces réduits et sont déterminés par des considérations individuelles différentes de celles des producteurs. Ils ne seront donc pas considérés dans notre approche.

II – Le périurbain et l’agriculture périurbaine : définitions adoptées

La première étape auquel se confronte un analyste cherchant à caractériser l’agriculture

périurbaine, est de délimiter les espaces à prendre en compte. A cette étape, il est difficile de s’extraire de la dimension spatiale ; la notion de périurbain signifiant ce qui entoure la ville. Nous considérons qu’il s’agit des espaces sujets à l’influence urbaine dont, comme hypothèse, l’étendue n’est ni strictement corrélative à la taille de la ville, ni stable dans le temps. Dans une optique de planification urbaine, deux éléments sont à privilégier : les délimitations administratives qui définissent les espaces sur lesquels l’action publique est compétente et

l’accessibilité1 qui définit l’espace de mobilité quotidienne de la ville (emplois, achalandages

commerciaux, loisirs de proximité). Dans cette perspective, une première couronne est définie par la distance-temps pendulaire moyenne à partir du centre urbain (Wiel, 1999), que nous appellerons l’aire d’agglomération. Outre la forte présence de bâti résidentiel tendant à la densification, l’aire d’agglomération se caractérise également par une forte présence de zones commerciales et artisanales, pourvoyeuses d’emplois à partir desquels une seconde couronne résidentielle plus éloignée peut être formée par les employés des entreprises s’éloignant pour bénéficier de valeurs foncières moins élevées. Nous appellerons cette seconde zone, l’aire périurbaine. Au-delà, l’arrière-pays rural est beaucoup moins influencé par la présence de la ville. L’ensemble des deux premières couronnes (l’aire d’agglomération et périurbaine) représentent, pour nous, l’aire urbaine fonctionnelle de la ville au sein de laquelle des agricultures de formes différentes pourront se côtoyer (Fig. 1).

Fig. 1. Schéma de délimitation des espaces agricoles en frange urbaine

Dans une seconde étape, il convient de considérer les éléments de complexité qui distribuent les différents types d’agriculture. Si l’on considère l’incertitude foncière, dont nous postulons qu’elle explique à titre principal la sensibilité de l’agriculture à une action institutionnelle locale, deux premiers types peuvent être définis :

L’agriculture urbaine, en contact direct avec la ville. Il s’agit de formes diverses

d’agriculture, y compris des systèmes agricoles sans liens avec la ville, mais qui

perdurent plutôt dans des zones protégées de la pression foncière2. Le coût

sol pendant la durée d’amortissement de ses investissements3. L’incertitude foncière est donc levée et la présence ou la nature des producteurs dans cette zone répond à des opportunités de marché dont les échelles dépassent la ville de proximité (exemple des maraichers sous serres de la ville d’Avignon, vendant leur production à Rungis (Paris), via le marché de Châteaurenard).

L’agriculture périurbaine. Elle se développe sur une zone caractérisée, à la fois par

l’emprise de l’influence de la ville et la présence de types d’agricultures historiques. C’est le lieu des jeux de concurrence entre les différentes occupations du sol. A ce titre, elle est caractérisée par une incertitude sur l’usage du sol à moyen terme, incertitude qui est prise en compte par les agriculteurs dans leurs arbitrages d’investissement. Par voie de conséquence, c’est une zone potentiellement évolutive, au sein de laquelle l’action publique est susceptible d’avoir un effet prégnant, que ce soient des politiques d’urbanisme à travers les règlements prévalent à la forme des usages des sols ou des politiques plus sectorielles, ciblées sur des filières (approvisionnement des cantines) ou des types de transition (soutien à l’agriculture biologique).

Nous allons développer notre analyse sur l’agriculture périurbaine. En son sein, la plus grande part correspond à des types d’exploitations historiquement présentes et devenues périurbaines par étalement de la ville. A ce titre, leur nature dépend de l’histoire agraire et des conditions pédoclimatiques du lieu. Ecoulant généralement leurs produits sur des marchés non nécessairement liés à la ville la plus proche, elles ne lui sont pas liées fonctionnellement et tendent à considérer la croissance urbaine sous ses aspects de contrainte (que ce soit à titre de concurrence sur l’accès à la ressource foncière (Germain et Thareau, 2010), à l’eau dans les agricultures irriguées, aux nuisances olfactives ou autres pour certains types d'élevage ou de répartition de la rente urbaine (Melot, 2015)) ou d’opportunité (réinvestissement de la rente foncière dans l’exploitation (Bryant, 1995). Il existe également des exploitations dont le fonctionnellement est lié à la ville (circuits courts et agriculture de proximité), apparues avec elle (Torre, 2014). Les plus proches étant plutôt vouées au maraîchage du fait du faible besoin en surface de cette production et de la facilité d’écoulement individuel de produits frais (marchés locaux) (Ministère de l’agriculture et de la pêche, 2009). D’autres productions en filières courtes peuvent se cantonner dans des espaces plus éloignés de la ville du fait de leur plus fort besoin en surface et d’une plus grande difficulté à côtoyer les espaces construits – en premier lieu l’élevage.

III – Méthodologie

Notre objectif est de construire une méthodologie qui soit opérationnelle dans les prises de décisions concernant l’intégration de l’agriculture périurbaine dans la planification territoriale. Nous nous questionnons donc sur les outils et les dispositifs permettant de prendre en compte les enjeux agricoles dans l’urbanisme. Le paysage, au sens de motifs paysagers traduisant les usages du sol, représente une entité perceptible utilisable comme un dispositif analytique dans les projets d’organisation et aménagement du territoire (Nassauer, 2012) et peut être manipulé collectivement dans une démarche de projet transdisciplinaire et itérative (Antrop et Rogge,

2006 – voir également Ambroise et al. 2000 et 2015 pour une illustration en terme d’outil d’aide

à la décision). En effet, « Le paysage est l'expression observable par les sens de la combinaison entre nature, techniques et culture des hommes » (Pitte, 1983). D’un point de vue écologique, le paysage est « un niveau d’organisation des systèmes écologiques », une mosaïque organisée (avec des réseaux associés) d'unités écologiques en interaction (Burel et Baudry, 1999). Enfin, pour les agronomes, le paysage est le support des activités agricoles, le système où les agriculteurs interagissent avec les ressources naturelles et sociales à travers la

gestion de leurs champs et des motifs associés comme les bordures de champs (Benoît et al.,

2012). Conformément à la Convention Européenne du Paysage (CEP) du Conseil de l’Europe (2000), adoptée par de nombreux pays européens (en vigueur en France depuis le 1er juillet 2006), « le paysage désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le