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L’agriculture en tant qu’activité intégratrice à la ville

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 121-126)

LES ESPACES AGRICOLES, QUELS LIEUX DE SOCIALISATION POUR LES URBAINS?

I. L’agriculture au centre des préoccupations urbaines des habitants et producteurs

I.3. L’agriculture en tant qu’activité intégratrice à la ville

La recherche attribue à l’activité agricole en ville des capacités intégratrices. Au travers de l’agriculture, les producteurs trouveraient une place en ville, profiteraient d’un réseau leur permettant d’accéder plus facilement aux ressources de production et seraient ainsi susceptibles de créer des groupements capables de peser dans les décisions politiques.

I.3.1.Une activité rurale créatrice d’espaces inédits d’urbanité ?

L’agriculture en ville offre des possibilités de vie en ville, même si « urbanité42 » et activité rurale ne constituent pas un couple allant de soi. Toutefois, le corpus bibliographique aborde cette question sous l’angle économique en mettant en avant les possibilités offertes par l’activité agricole : accès à une activité rémunérée pour des populations parfois exclues du marché du travail, second revenu pour des ménages en difficulté, travail des femmes (Moustier et Mbaye 1999b).

42 On se réfère ici au terme « urbanité » tel que mobilisé par J.Monnet, rassemblant « les manières d’être en ville, les modes de territorialisation » (Monnet (ed.) 1999). L’urbanité désigne en fin de compte tous les caractères sociaux de l’espace urbanisé (Gervais-Lambony 2001).

D’autres recherches ont mis en évidence l’insertion de l’activité au sein u système global de la ville-marché (Moustier 1999). Enfin, on s’est intéressé aux travailleurs de l’activité, à leur intégration et à leur approche de la citadinité (Franck 2006).

Dans tous les cas, il est nécessaire de dépasser l’idée selon laquelle l’activité agricole n’est qu’un reliquat d’un passé rural de populations nouvellement arrivées en ville. À Kampala, B.Calas décrit l’agriculture clairement comme une activité qui contribue et facilite l’intégration à la ville.

L’entrée au secteur n’est ni ouverte, ni libre. Au contraire, pour s’y intégrer, un apprentissage et une connaissance de la ville sont nécessaires. À Kampala, le champ participe à la définition d’une urbanité spécifique. Des travaux plus récents se sont efforcés de démontrer que l’agriculture urbaine dans les villes des Suds, bien que constituant une opportunité pour des populations pauvres d’obtenir des rétributions et permettant d’absorber des migrants ruraux ; n’est plus l’apanage des pauvres et représente aussi un investissement pour les riches citadins (Robineau 2013). Il est nécessaire d’aller au-delà des visions stéréotypées, et de comprendre l’activité agricole comme une activité urbaine comme une autre. Selon Fleury et Donadieu, « c’est ensemble qu’espaces cultivés et espaces bâtis participent au processus d’urbanisation et forment le territoire de la ville » (Fleury et Donadieu 1997). Il est possible de créer des nouveaux espaces d’urbanité grâce à l’intégration de l’agriculture au sein des territoires urbains.

Ces nouveaux espaces d’urbanité se constituent grâce aux réseaux tissés par les acteurs de l’activité agricole. L’intégration des producteurs à la citadinité est basée sur l’accès à la mobilité et à la complémentarité entre espaces acteurs et activités (Robineau, Tichit et Maillard 2014). L’exemple de Bobo au Burkina Faso évoque selon les cas des liens sociaux étendus ou au contraire concentrés, mais dans les deux cas ils témoignent d’une intégration particulière à la ville. A Saint-Louis, l’ancrage citadin est gage de pérennité de l’activité agricole : les savoirs et compétences accumulés et les réseaux de sociabilité citadine sont des éléments constitutifs de l’activité (Ibid.). À Buenos Aires, les populations boliviennes migrantes ont progressivement remplacés les acteurs traditionnels de la ceinture maraîchère (les italiens, portugais et japonais), pour devenir les figures incontournables de l’alimentation en légumes de la ville. L’installation de ces populations a provoqué une restructuration profonde des espaces de production et de commercialisation de la ville, posant ainsi leur empreinte sur la capitale argentine (Le Gall et García 2010).

À Lima, ces relations entre activité agricole et intégration à la ville ne sont pas des plus évidentes.

En effet, les travailleurs agricoles émettent peu de demandes quant à l’intégration en ville. Nous le verrons au cours des chapitres suivants, on est parfois confronté à une négation de l’appartenance à la ville. Au contraire, si l’on se penche du côté des urbains, on peut déceler des attentes autour de la création de nouveaux espaces de sociabilité dans des espaces agricoles. Les Liméniens, souffrant du manque d’espaces verts, sont à la recherche d’espaces récréatifs ouverts, leur permettant pendant un temps d’échapper au stress et à la grisaille de la capitale. Pour les familles, cet éloignement ponctuel de la ville s’exprime avec plus d’intensité, la campagne pouvant dans certains cas revêtir des vertus éducatives.

« Mes enfants à Lima n’avaient jamais touché un animal, ils ne savaient même pas à quoi ressemblait une poule alors qu’on en mange tous les jours. Tu aurais dû voir la tête de ma fille la première fois qu’elle a vu une chèvre ! C’est important de ne pas couper tous les liens avec la nature, surtout pour nos enfants. Moi j’ai grandi à la campagne, ça me rend triste de savoir que ma fille ne joue pas avec des animaux »43

Ces deux témoignages indiquent certaines des attentes autour des espaces agricoles. Le premier témoignage atteste de l’importance des espaces ruraux dans l’éducation des enfants, alors que le second met en évidence la recherche d’espaces récréatifs, tout en assurant la sécurité de tous. Les demandes sont variées, certains urbains insisteront sur un idéal bucolique des espaces agricoles, alors que d’autres sont avant tout à la recherche d’espaces ouverts, les caractéristiques agricoles étant secondaires voire superflues.

Les demandes de sociabilité autour des espaces agricoles sont bien à apprécier du côté des citadins plutôt que de celui des producteurs, qui ne se reconnaissent pas forcément dans la figure de l’urbain. Un des défis se présentant aux exploitants agricoles est de s’approprier ces demandes pour créer des espaces promouvant les liens sociaux avec des urbains exigeants et protéiformes.

I.3.2.Organisation citadine et intégration à des réseaux politique

43 Témoignage d’une mère de famille visitant la « granja feliz de Don tocuarto », dans la vallée de Lurin.

Parmi les bénéfices supposés de l’agriculture urbaine, les recherches mettent en avant l’accès à la citoyenneté, ou selon certains auteurs à la citadinité44. Il s’agit d’une agriculture que l’on considère

« participative par définition » (Peter Brand et Muñoz 2007), et qui prétend promouvoir le développement d’une identité individuelle, l’autonomisation des communautés, la cohésion sociales et l’aide à la réinsertion de groupes marginaux à la vie sociale urbaine, à la fois dans les villes des Nords comme des Suds (Deelstra et Girardet 2000). On a construit tout un discours autour de l’agriculture urbaine pour faire émerger un sentiment d’identité culturelle et d’inclusion urbaine. Notamment, il est souvent fait référence à un passé rural idéalisé, mobilisé comme la base d’un nouveau développement urbain moderne (Peter Brand et Muñoz 2007). D’abord rejetés, les traits caractéristiques du « paysan » sont aujourd’hui présentés comme des qualités et mises en avant. On insiste sur ses connaissances traditionnelles et son approche de la nature, faisant appel à un savoir ancestral. Dans le programme « Mi huerta » mis en place par la municipalité métropolitaine et détaillée dans le chapitre 2, l’usage du terme quechua « Yachachi » pour signifier le transfert de connaissances et de savoirs est une illustration de cette revalorisation.

Les projets d’agriculture urbaine visent souvent la création de groupes de travail, d’une communauté, partageant une identité commune. C’est le cas à Lima avec le projet Mi Huerta qui prévoit l’établissement de jardins communautaires, mais aussi dans d’autres métropoles des Suds comme des Nords - les jardins communautaires de Montréal ont fait l’objet de nombreuses études autour de « l’empowerment » des femmes et de la création d’un espace social particulier (Boulianne 2001; Bouvier-Daclon et Sénécal 2001; Eric Duchemin, Wegmuller et Legault 2010). Les jardins donnent une identité à une population à qui on a nié son intégration à la ville.

« Avec les jardins partagés, on veut créer une véritable communauté de producteurs, qu’ils se sentent unis autour de cet espace, qu’ils se soutiennent les uns les autres. Il y a beaucoup de petits jardins disséminés dans le sud de Lima, à Villa El Salvador, Villa Maria ou même Pachacamac, mais les producteurs n’ont aucun poids. Ils pensent parfois qu’ils sont seuls et ne savent pas où trouver de l’aide. En créant des groupes,

44 On distingue ici la citadinité de l’urbanité évoquée précédemment. La citadinité sous-entend « cité », et contient donc une dimension politique, à rapprocher de la citoyenneté urbaine (Gervais-Lambony 2001). Alors que l’urbanité relève avant tout d’une approche par l’espace et le collectif, la citadinité se réfère à l’individu. On peut distinguer dans la citadinité dans la citadinité ce qui est fait de pratiques (être dans la ville) et ce qui est fait de représentations (être de la ville) (Baby-Collin 2000).

une identité de groupe, on peut aller plus loin et faire en sorte que les jardins se maintiennent plus longtemps »45.

Cet extrait provient d’un entretien mené auprès d’une membre d’ONG, et met l’accent sur les attentes des projets concernant la création d’un sentiment d’appartenance autour des espaces agricoles. Il est important de souligner ici que cette demande se dégage des ONG et pas tellement des producteurs, qui pour le moment préfèrent des pratiques individuelles.

Dans certains cas, les attentes autour des identités créées par l’activité agricole peuvent aller plus loin. Ainsi, le maire de Medellín, dans le cadre de la mise en place d’un projet d’agriculture urbaine appelé « Solares Ecológicos » déclarait : « L’alimentation n’est pas un acte de charité, c’est un acte de responsabilité politique » (Peter Brand et Muñoz 2007). Ainsi, les discours à propos de l’agriculture urbaine confèrent aux populations des quartiers pauvres une responsabilité en tant que protecteurs environnementaux, créateurs d’espaces de bien-être pour le reste de la population.

Les programmes s’implantant souvent dans des quartiers des périphéries, les populations ciblées ont longtemps été perçues comme des occupants illégaux. Les rôles et représentations de ces habitants se retrouvent bouleversés. De passifs, ils deviennent acteurs et l’agriculture urbaine leur permet de trouver une place de citoyen dans la métropole. Ces déclarations sont à vérifier auprès des producteurs et des jardiniers urbains : ont-ils réellement trouvé une meilleure place en ville grâce à l’activité agricole ?

Ce phénomène de création d’identités ne concerne pas que les producteurs intra-urbains, les citadins qui cultivent la ville, mais peut également toucher les producteurs commerciaux. Dans le cas d’une agriculture commerciale de plein champs, l’activité est régulière, rémunératrice et par conséquent génératrice de réseaux (distribution, commercialisation, conseil). Les agriculteurs organisés en groupement, comme c’est le cas à Saint-Louis (Sénégal), ont la capacité de se constituer en acteurs de l’aménagement urbain. L’agriculture urbaine peut tout à fait prendre part à une nouvelle forme de gouvernance de la ville, comptant avec des représentants et des porte-parole aptes à négocier des partenariats avec la commune ou autres intervenants privés (Robineau, Tichit et Maillard 2014). En parallèle, par le travail, on crée les prérequis nécessaires à l’intégration

45 Extrait d’un entretien avec Flor Paredes, porteuse de projets d’agriculture urbaine à l’IPES (Instituto Peruano de Estudios Sociales – Institut Pétruvien d’études sociales). Les projets et objectifs de l’ONG seront décrits dans la partie suivante.

à la ville et ainsi de la citadinité. Catherine Baron souligne l’importance du thème du travail dans les recherches portant sur l’exclusion ou l’intégration (Christine Baron 1999). Pour une population peu ou pas éduquée, le travail sur les champs permet l’accès à un travail de manière immédiate, peu contraignant sur le long terme bien que précaire - pour les travailleurs agricoles, les contrats sont de courtes durées, parfois signés pour une tâche unique (récolte d’un champ, épandage, semis d’une parcelle). Cependant, Alice Franck mettait en évidence pour les maraîchers de Khartoum que le travail agricole n’entraîne pas l’intégration et l’installation en ville sur le long terme (Franck 2006). La citadinité dépend de facteurs plus complexes que la seule insertion économique.

À Lima, les affirmations faisant de l’agriculture une activité permettant de s’intégrer à la ville ne se vérifient pas de façon évidente, et nous verrons que la sociabilité entre producteurs, avec les consommateurs et/ou les politiques se rapproche davantage d’une perspective à atteindre plutôt que d’une réelle application au quotidien.

Les questions de l’identité générées par l’agriculture urbaine, qu’elles concernent les producteurs commerciaux ou les citadins convertis ponctuellement à une activité de jardinage, semblent émaner davantage d’un ensemble de discours plutôt que des acteurs principalement concernés. La recherche d’une identité en ville est-elle une demande émanent des producteurs liméniens ?  

II. Participation de l’agriculture de proximité à la création d’une

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