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Une agriculture qui se tourne vers une intensification des pratiques

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 196-200)

DES ACTEURS AUX MOYENS LIMITES

I. Les limites des exploitations à devenir « urbaines »

I.2. Des itinéraires techniques tournés vers la sécurisation des revenus

I.2.2. Une agriculture qui se tourne vers une intensification des pratiques

Dans les périphéries, les pratiques des producteurs convergent vers un certain nombre de points communs en ce qui concerne la consommation de biens intermédiaires : des semences certifiées, l’utilisation d’intrants chimiques, la motorisation des parcelles. Dans la plupart des cas, cette intensification a pour objectif une maximisation des productions à l’hectare des cultures en place, afin de vendre un tonnage le plus élevé possible.

Les semences sont certifiées et fournies par des entreprises agroindustrielles. Les semences autoproduites subsistent toutefois pour certaines cultures, telles que la coriandre ou le persil. Dans ces cas précis, les semences sont conservées pour la production de l’exploitation ou échangées entre voisins. Aucune garantie n’est apportée sur les rendements de ces semences et la reproduction est libre.

L’utilisation de semences certifiées correspond à des exigences de marché en termes de critères physiologiques (taille du produit, culture, texture). L’apparence des produits est primordiale pour les cultures soumises à une forte concurrence. De plus, le consommateur liménien, à l’instar de ce que l’on observe en Europe, accorde une grande importance à l’aspect des légumes qu’il souhaite acheter. Ainsi, la laitue, la tomate, mais aussi toutes sortes de poivrons et piments sont systématiquement issus de semences certifiées. Un des biais principaux retenu par les producteurs et évoqué lors des entretiens est la non reproductibilité des semences. Après deux générations, les semences ne produisent plus et les producteurs sont contraints de s’en procurer auprès des entreprises phytosanitaires (à Lima, Agrogenesis basée à La Molina est la principale entreprise fournisseur de semences des cultures maraîchères).

Les producteurs entretiennent donc des relations de dépendance vis-à-vis de ces acteurs, pouvant s’exprimer sous d’autres aspects : supports techniques pour l’utilisation des semences et des produits phytosanitaires, mais aussi dans les débouchés pour la commercialisation. Ces ingénieurs

entretiennent en effet des liens tenus avec les grossistes et distribuent en gros leurs semences à ces acteurs. Les commerçants revendent par la suite ces semences aux producteurs avec qui ils travaillent. Ainsi, les producteurs sont orientés vers l’entreprise via un acteur tiers.

Le degré d’intensivité des exploitations peut aussi se vérifier au travers de l’usage d’intrants et de main-d’œuvre extérieure. L’usage de fertilisant et d’insecticide chimique n’est pas significativement plus élevé à Lima métropole que dans le reste du pays. Cependant, on observe des différences plus franches si on analyse l’usage d’herbicides et de semences certifiées.

Effectivement, plus de 33% des unités agricoles font l’usage de semences certifiées à Lima, alors que la moyenne nationale s’élève à 12%. Si les chiffres officiels du recensement de l’INEI nous indiquent que la majorité des exploitants n’utilisent pas d’intrants chimiques, une fois de plus les rencontres avec les acteurs entrent en contradiction avec ces données. Même dans des districts réputés pour la forte diffusion des intrants chimiques, tel que Carabayllo75, 46% des producteurs déclarent ne pas utiliser de produits phytosanitaires selon les données officielles. Parmi les producteurs interrogés, tous nous révélaient utiliser un large spectre de produits chimiques : fertilisants, herbicides, fongicides, insecticides etc. ; à l’exception des producteurs se revendiquant ouvertement «bio». Les vallées agricoles sont marquées par la présence manifeste de boutiques d’intrants.

L’accès aux intrants est facilité par le travail des ingénieurs agronomes. Dans des zones délaissées des pouvoirs publics et de ses représentants, les ingénieurs-commerciaux représentant des firmes agroindustrielles, constituent des acteurs clés des périphéries agricoles, au même titre que les ingénieurs de la JU, en charge de leur côté, de la gestion de la ressource hydrique. Outre la fourniture d’intrants, les ingénieurs prodiguent des conseils techniques. Ils peuvent aussi se faire le relais d’informations concernant les prix des cultures sur le marché et les pratiques des producteurs, relatives à l’ensemble d’une vallée agricole, au-delà des limites de la zone métropolitaine. En effet, les représentants commerciaux sont souvent chargés d’une large zone d’action. Ils sont les témoins des réussites et des échecs des exploitants et s’en font l’écho. La relation entretenue entre ces ingénieurs et les producteurs va au-delà d’une simple relation

75 Les réseaux RAE et ANPE Peru dénoncent régulièrement sur leur plateforme de communication et notamment sur les réseaux sociaux l’usage de produits chimiques de façon incontrôlée et ses conséquences sur l’environnement et la santé des producteurs et consommateurs.

commerciale. Des relations de confiance se créent et participent à la généralisation de l’usage de produits phytosanitaires.

Ces traitements chimiques sont parfois mal maîtrisés, selon les ingénieurs agronomes et les producteurs eux-mêmes. La relation clientéliste établie entre représentants du secteur phytosanitaire et les producteurs peut contribuer à des surdoses, décriées à la fois par des associations de consommateurs, les conseillers techniques de la zone et les producteurs eux-mêmes, qui posent un regard critique sur leur utilisation d’intrants.

En parallèle de l’accès aux intrants, le travail d’enquête a aussi révélé une motorisation des pratiques. La grande majorité des producteurs des périphéries utilisent des machines agricoles pour la préparation du terrain. Bien que la possession de machines agricoles ne soit pas généralisée, des arrangements se font entre acteurs au travers de locations. L’acquisition d’un tracteur peut alors représenter une source de revenus. Des distinctions peuvent ici être faites en fonction des vallées agricoles : au nord, notamment à Carabayllo, la présence de machines agricoles est plus généralisée que dans les autres vallées, où subsistent encore la traction animale dans des proportions plus importantes. La taille des parcelles peut être un facteur important de l’adoption des machines agricoles ; leur usage se répand en effet plus facilement lorsque les terrains sont plus étendus.

Une fois de plus, les données officielles viennent contredire les observations sur le terrain. Selon le recensement de l’INEI, seuls 30% des exploitations de Lima métropole utilisent des machines agricoles. Cependant, si l’on se penche sur les données désagrégées, les chiffres correspondent mieux à ce que l’on a pu constater en interrogeant les producteurs. Par exemple, à Carabayllo, près de 50% des producteurs affirment utiliser des machines agricoles ; 42% à Cieneguilla ; 40% à Pachacamac et 45% à Puente Piedra (INEI 2012). Des districts tels que Villa El Salvador ou Villa María del Triunfo, où les exploitants sont nombreux mais travaillent des surfaces très réduites, et où les machines agricoles ne présentent aucun intérêt, font baisser ces moyennes.

Au travers de l’utilisation d’intrants, de semences certifiées et de machines agricoles, on peut affirmer que les logiques des producteurs relèvent de la volonté de maximiser les productions afin de maximiser les profits. Ils cherchent à produire plus pour s’assurer des meilleures ventes. Dans le même temps, il s’agit aussi pour les exploitants liméniens de vendre des produits standardisés,

de qualité, et d’éviter les pertes. Cette logique d’intensification via les biens intermédiaires correspond à une sécurisation des ventes et de l’écoulement de la production.

Les logiques d’intensification et de standardisation des productions se font également ressentir au sein des exploitations d’élevage. On préfère une alimentation industrielle calibrée et enrichie au simple pâturage, et l’élevage hors-sol est parfois préféré à une vaine pâture. Cette pratique est courante pour les élevages avicoles et porcins. Même pour des élevages traditionnellement très extensifs tels que l’élevage caprin qui, à Lima, a longtemps été basé sur la transhumance, on note des velléités d’intensification à travers la stabulation et la sélection des animaux, avec plus ou moins de réussite.

Dans l’élevage caprin, au même titre que pour le maraîchage, on distingue un élevage de petite envergure, mal organisé et dont le pouvoir de négociation face aux prix fixés par les commerçant est faible ; d’un élevage plus technicisé, porté par des ingénieurs, plus apte à s’immiscer sur des marchés spécifiques et à dégager des prix plus intéressants. L’élevage caprin est particulièrement bien implanté dans la vallée du Chillón, davantage que dans les deux autres vallées de Lima (Municipalidad Metropolitana de Lima 2015). Il s’agit d’un élevage facile à mettre en place et qui requiert des apports initiaux peu importants (Ibid.). La vallée du Chillón offre des conditions d’élevage favorables. En effet, l’eau du fleuve permet d’abreuver les bêtes et les résidus de culture fournissent de la nourriture aux troupeaux. Il existe des relations d’échange entre les agriculteurs et les éleveurs. Les parcelles sont mises en location dans les jours suivants la récolte. Ce système d’élevage, appelé rastrojero76, permet d’abaisser les coûts de pâturage, et de tirer un bénéfice supplémentaire de leur terre pour les agriculteurs. En parallèle, des éleveurs transhumants installés plus haut dans la vallée traversent toujours Carabayllo et ses environs. Il s’agit d’un élevage visible à Carabayllo, inscrit dans le caractère rural de la zone. Il n’est en effet pas rare de croiser sur la route des troupeaux de chèvres allant pâturer sur les champs venant d’être récoltés. Si les déplacements de ces troupeaux peuvent gêner la circulation, ils ne font pas l’objet de plaintes spécifiques de la part des citadins. Dans la vallée, les éleveurs représentent une vingtaine de

76 Mot désignant les éleveurs dont le système d’alimentation du troupeau se base sur les résidus de cultures et sur l’utilisation de chaume.

famille, avec des troupeaux allant de 60 à 120 animaux, essentiellement des chèvres, mais aussi quelques brebis (Benoît Baron 2014).

Photographie 2: Troupeau de chèvres s'apprêtant à rejoindre la route

Cliché Leloup, 2011.

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