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L’adolescent et l’entrée dans le monde du travail

Je désire parler plus longuement de l’entrée dans le monde du travail, étant donné la situation des jeunes accompagnés par le SEMO, actifs au sein du projet Cyberthé. En effet, ceux-ci se retrouvent sans emploi, dans une situation qu’ils n’ont certainement pas pu choisir, en recherche d’un travail ou d’une formation qui les motive et qui leur corresponde, et donc à l’écart du système économique.

3.11.1 Les obstacles à la formation professionnelle

En Suisse, la formation professionnelle (de type CFC) est encore une voie très prisée lorsque les jeunes sortent de l’école obligatoire. Cette formation est étroitement liée au marché de l’emploi. Les lieux de formation sont en grande partie des entreprises qui sont « soumises aux impératifs de rentabilité et de productivité » mais également tenues de rendre les personnes « employables » sur le marché. Aujourd’hui, il y a une augmentation des métiers tertiaires qui sont offerts par les entreprises, etc. Ces changements requiert de plus en plus de personnes flexibles et polyvalentes, avec de l’expérience. C’est une raison qui fait que la formation professionnelle en Suisse a augmenté d’une manière générale les exigences et le niveau de formation est à la hausse. Une « intellectualisation » des métiers se développe (MASDONATI, J., & CO, 2007, p.17). Pour ces auteurs, ces nouveaux défis risquent d’exclurent un nombre croissant de jeunes. Il y a ainsi un décalage entre le nombre de places à disposition et le nombre de jeunes qui doivent, dès leur sortie d’école, se « battre » pour trouver un employeur. Par

conséquent, leur choix ne se porte pas forcément sur un métier qui leur plaît, mais ils s’y engagent par défaut ou se retrouvent exclus et dans des solutions dites « transitoires », comme par exemple le SEMO (p.18). D’ailleurs, il ne faut pas oublier que, même une fois que ces jeunes ont trouvé une place d’apprentissage, le risque de chômage et de rupture du contrat d’apprentissage reste très présent, et ce sont des pressions qui pèsent sur eux.

Nous constatons qu’il existe de nombreuses raisons pour lesquelles les jeunes ne trouvent pas de places d’apprentissages : restructuration des entreprises (avec, par exemple, des exigences croissantes), diminution du nombre de maîtres d’apprentissage, trop grande charge financière et administrative pour les entreprises, soucis de la charge psychosociale de certaines situations personnelles chez les jeunes, décalage entre le souhait des jeunes et l’offre, discriminations pour les jeunes migrants, manque de soutien familial, etc. (ANTONIN TATTINI, V., 2012, p.6-7)

On connait aujourd’hui l’importance de l’identité professionnelle que tout un chacun peut se créer par son emploi. Celle-ci se crée notamment au travers de la reconnaissance par autrui au travail (notamment avec le salaire et toute la symbolique du travail en général). Comme le révèlent les auteurs, entrer dans le marché du travail ne signifie pas seulement gagner un salaire mais faire partie d’un groupe dans la société (MASDONATI, J., & CO, 2007, p.19). Or, nous constatons aujourd’hui qu’une trajectoire tracée d’avance n’est souvent plus possible ; chacun est amené à se réorienter professionnellement et à se former à tout âge pour ne pas être exclu et garder une place.

3.11.2 Les difficultés rencontrées à la fin de la scolarité obligatoire

Pour les jeunes, cette situation actuelle est d’autant plus difficile qu’ils peuvent débuter leur apprentissage à partir de 15 ans, et, comme nous l’avons vu plus haut, c’est une période de construction où ils cherchent à se définir en tant que personne et à se positionner au sein de la société. Cette instabilité professionnelle peut donc être d’autant plus désécurisante pour eux. Pour cet auteur, tant que les jeunes ne sont pas reconnus comme acteurs productifs et comme individus à part entière, avec un statut clairement défini, ils ne pourront pas se construire une identité professionnelle et pourront se sentir en « manque de reconnaissance sur le plan économique, interpersonnel et social » (MASDONATI, J., & CO, 2007, p.19). Certains ont pu vivre un parcours scolaire difficile, et la pratique sur le lieu de travail (pour les apprentissages, par exemple) peut être une revalorisation de leur estime personnelle. L’auteur parle également de l’importance du formateur sur le lieu de travail, qui n’a pas seulement un rôle de « patron » mais qui est une référence importante et le moyen d’intégrer plus facilement le jeune dans l’entreprise (p. 20-22). Je trouve ce point intéressant pour mon travail, car il montre l’importance pour les jeunes d’avoir des personnes de référence plus âgées sur lesquelles s’appuyer.

Lorsque les jeunes ne trouvent pas de place ou se retrouvent en échecs répétés avant même de pouvoir entrer en formation, leur estime personnelle peut être affaiblie. Ils se retrouvent donc parfois plusieurs années dans des solutions « transitoires » (10ème année de formation, mesures dans le cadre de l’assurance chômage, comme le SEMO). Selon cette même étude, les jeunes d’origine

étrangère sont plus nombreux dans ce genre de situations et peuvent ressentir très tôt un sentiment de stigmatisation et d’exclusion sociale (p.23).

Ces périodes de formations professionnelles sont particulières, car elles mettent les jeunes au défi et les poussent à vouloir être considérés comme des professionnels alors qu’en même temps ils souhaitent certainement être encadrés et soutenus. C’est toute l’ambivalence de cette période de vie où l’expérience leur manque et dans laquelle ils peuvent être encore fragiles dans leur identité (p.24). Les mêmes auteurs soulèvent que les jeunes en rupture d’apprentissage, ayant quitté prématurément le système de formation professionnelle, ne se sentant pas faire partie de la société, peuvent commencer à consommer des psychotropes, ce qui peut révéler un malaise psychique et social. Certains parlent de réelles souffrances. Ces jeunes doivent faire beaucoup d’efforts pour « s’adapter à un système et un contexte qui exige beaucoup de leur part. » D’autant plus que « sans formation post-obligatoire, les risques de précarité et de pauvreté qui y sont associés sont importants. » (p.25). C’est un atout non-négligeable d’avoir la possibilité de faire une formation et d’obtenir un diplôme au terme du parcours choisi.

Enfin, les auteurs distinguent encore de nombreuses failles dans notre système suisse et proposent des alternatives, des idées et des solutions pour accompagner de manière plus soutenue les jeunes pour les amener dans le monde du travail. Par exemple, le coaching (suivi personnalisé dans la durée) et le case management (coordination des mesures et institutions déjà impliquées dans le suivi des jeunes). Plusieurs mesures sont actuellement testée et d’autres vont probablement se perfectionner (p.26). Par exemple, la participation au SEMO, comme nous allons le voir, dure jusqu’à l’obtention d’un contrat de formation ou d’une solution d’insertion satisfaisante mais ne peut dépasser 12 mois en théorie. Cette courte période pourrait être insuffisante pour certains jeunes.

Les risques d’exclusion au cours de ce long processus d’intégration dans la vie professionnelle active semblent s’accroître pour certains individus, qui sont moins bien armés pour s’adapter à notre système sociétal économique et scolaire, peu accompagnés par des professionnels pour leur insertion ou mal soutenus par leur environnement familial (DELFORGE, H., 2004, p.15).

Le SEMO poursuit justement des buts similaires. Toutefois, il est important d’être conscient de l’enjeu de « l’inactivation » de ces jeunes dans le monde professionnel. L’impact sur leur santé est un sujet de plus en plus étudié ces dernières années.

Du côté de leur santé, selon une étude suisse sur les caractéristiques des jeunes en rupture d’apprentissage, hors formation ou hors emploi, ceux-ci seraient plus souvent issus de grandes familles dissociées ou monoparentales et appartenant à une minorité dévalorisée. Cette étude n’est pas très récente, mais les chercheurs avaient déjà pu constater l’état de leur bien-être souvent perturbé aux niveaux physiques, psychiques ou sociales. Ces jeunes peuvent même être amenés à user davantage de drogues que leurs pairs scolarisés ou pris en charge. Comme déjà dit, de manière générale, ils se sentent moins capables de se profiler dans leur avenir et ont davantage tendance à anticiper l’échec. Des troubles psychiques de nature et d’intensité diverses se manifestent plus facilement chez eux.

« L’absence d’un véritable projet de vie, la perception douloureuse de n’être nulle part attendu, apprécié, valorisé, les conduirait à négliger leur santé. » (FERRON, C. & CO, 1997, p.13-17). Toutefois, chaque trajectoire est unique et certains problèmes de santé existaient certainement avant que le ou la jeune se retrouve en situation instable à la sortie de l’école. Les chercheurs insistent sur la déstabilisation vécue lorsqu’une personne se retrouve sans activité, d’où l’importance des structures d’accompagnement pour la réinsertion professionnelle.