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6.3.1 Vécu professionnel du directeur de Pro Senectute

Le directeur de Pro Senectute se rappelle avoir mis en place une prestation, il y a quelques temps déjà, sans avoir vérifié les réels besoins des seniors de la région. Il s’agissait de chaînes téléphoniques (4-5-6 personnes qui s’engagent à se téléphoner régulièrement), qui auraient dû soutenir les personnes âgées isolées socialement. La publicité a été faite, mais aucune chaîne n’a été ouverte à ce jour.

« Le constat de la souffrance engendrée par l’isolement était là, mais la réponse pour essayer d’y remédier n’était apparemment pas la bonne, dans ce contexte-là, à ce moment-là ». Par contre, actuellement, un nouveau projet a été lancé : les

tables d’hôtes (des personnes reçoivent des seniors chez eux pour un repas festif). Le constat du directeur : « Ça cartonne ! 30 tables ont été organisées en 2

mois. » Il se rend compte que les personnes qui maintiennent le cadre et portent

le projet jouent un rôle crucial pour le bon déroulement de celui-ci. Si elles sont motivées et entreprenantes, le public-cible est d’autant plus intéressé à participer. Ce constat démontre l’utilité du Cyberthé et confirme mon hypothèse de départ. Le principal besoin exprimé par les seniors, c’est bénéficier de l’aide qu’ils souhaitent recevoir sur le plan informatique.

Dans les cours informatiques que Pro Senectute propose régulièrement (cf. site Internet) avec des professionnels (cours de type frontal, soit un enseignant devant plusieurs élèves), une certaine frustration a été constatée chez les seniors. Ils n’avaient plus la possibilité de poser leurs questions lorsqu’ils rencontraient des difficultés, des bugs informatiques, etc. D’où la création du Cyberthé, pour lequel la relation est différente (duo de travail, du 1 à 1). Les jeunes sont disponibles pendant toute la durée de la séance et restent à côté des seniors pour chaque manipulation faite sur leurs appareils.

« On ne change pas une équipe qui gagne ». Le directeur reste cependant

conscient que le projet ne va pas forcément durer des décennies, puisque les besoins changent au fil des ans. Ce type d’organisation plus personnalisé favorise une plus grande intimité dans les échanges et permet, à mon avis, de mieux connaître son vis-à-vis et de tisser des liens avec lui ou elle.

6.3.2 Vécu personnel du directeur de Pro Senectute

Du côté de ses expériences personnelles, le directeur confie ne pas ressentir de manque de lien chez les jeunes. Il raconte même avoir rencontré récemment une dizaine de jeunes qui postulaient pour une place de stage et qui parlaient tous des liens, de l’affection et/ou de l’entraide vécus avec leurs grands-parents. Cela reste apparemment du domaine de l’intrafamilial. Il se questionne : «Dans notre société,

chacun est un peu sur son autoroute, mais en même temps, est-ce que les jeunes ont beaucoup de contact avec des gens de la trentaine ? On côtoie quand même souvent les gens de la même strate, des gens de la même génération. » Par

strate, il entend le rôle que nous pouvons tenir dans la société, notre occupation, nos activités, notre situation familiale, etc. qui nous font créer des liens avec les personnes de ces mêmes catégories. Il croit donc à une forme d’individualisme, mais qui est présente dans tous les types de relations. Même si je trouve son point de vue intéressant, je pensais, dans ma recherche, que le fait d’associer des générations qui traversent de grands changements dans leurs vie personnelle et professionnelle pouvait être un plus et favoriserait le partage réciproque des

expériences de vie. Toutefois, dans mes entretiens, dans l’enregistrement ainsi que dans mon observation, à aucun moment les jeunes n’ont partagé le fait qu’ils traversaient de telles difficultés dans leur vie. Du côté des seniors par contre, ils sont davantage ouverts à parler de cela mais ne vont pas étaler leurs soucis au Cyberthé, faisant preuve d’une certaine pudeur. Je suppose que, si les seniors posaient plus de questions aux jeunes, ces derniers oseraient alors partager leur quotidien et leurs défis à l’entrée dans la vie adulte et le monde professionnel. De manière paradoxale, certains seniors ont exprimé le fait qu’ils ne souhaitaient pas déranger les jeunes et s’immiscer dans leur vie privée. J’ai ressenti une grande discrétion sur le terrain. Il y a donc des discours quelque peu contradictoires parfois. Des liens plus forts pourraient peut-être se faire si les participants ne s’imposaient pas de tels freins…

Ce qui inquiète principalement le directeur de Pro Senectute à l’heure actuelle, c’est les représentations que l’on se fait les uns des autres. Par exemple, en lien avec le durcissement de la situation économique, les personnes âgées sont considérées comme privilégiées alors que les personnes qui ont de la peine à s’en sortir sont les jeunes (recherche d’emploi). Dans le financement des assurances sociales, les personnes âgées, toujours plus âgées, coûtent beaucoup. Cette réalité fait peser un poids sur la société et donne l’impression que les générations actuelles les financent. C’est en partie vrai, mais les seniors d’aujourd’hui ont contribué à financer ces mêmes prestations auparavant, par le système de solidarité intergénérationnel. « Il faut faire attention à ne pas mettre une

génération contre une autre […] A l’inverse il y a des vieux qui continuent à avoir des représentations caricaturales des jeunes […] Nous avons tendance à catégoriser et à généraliser des comportements. C’est une tendance perverse contre laquelle il faut lutter, mais cela vient naturellement…» Ces représentations

négatives pourraient donc avoir un impact sur les liens entre les participants. Nous pouvons entrer dans le jugement et le rejet de l’autre par ce que l’on entend dans les discours ambiants, ce que l’on voit à la télévision, etc.

6.3.3 La mission du SEMO et du Cyberthé

Le directeur du SEMO affirme que le but du SEMO, et notamment du Cyberthé, est de permettre aux jeunes qui ont un manque de confiance en eux mais également aux autres de se retrouver dans une position de pilote, dans l’action et dans la transmission d’un savoir (quasiment inné dans cette nouvelle génération numérique). Le Cyberthé travaille les compétences relationnelles qui ne le sont pas forcément dans les autres activités du SEMO (français, math, etc.). Comme soulevé au début de mon travail, (cf. point 3.12.3), la solidarité entre générations peut se caractériser aujourd’hui par une nouvelle transmission de savoirs entre générations avec l’arrivée des nouvelles technologies. Une forme de coéducation se développe : c’est cette transmission ascendante des savoirs (des nouvelles générations vers les plus vieilles).

En principe, tous les participants se rendent à l’atelier de leur plein gré, donc il n’y a pas de stress professionnel. Des liens se créent entre les seniors, surtout pour ceux qui viennent de manière assidue. Il y a parfois une génération entière entre le plus jeune des seniors et le plus vieux des seniors (60 – 90 ans). La visée du Cyberthé étant également de créer des interactions, les jeunes toutefois, subissent un plus grand « tournus », qui ne permet pas toujours d’avoir assez de

temps pour créer des liens forts. Le Cyberthé permet également de mettre les seniors en relation et d’agrandir leur réseau social.

Il n’y a jamais de problème à recruter des jeunes motivés pour le Cyberthé. Une liste d’attente existe des deux côtés. Le seul inconvénient « positif » perçu par le directeur du SEMO, c’est le fait de ne pas toujours pouvoir répondre à la demande des deux côtés. Ce constat est une preuve de l’intérêt que tout un chacun porte au projet. Même si, à première vue, les raisons sont au départ assez égoïstes, comme nous le verrons plus loin, elles peuvent ensuite amener les participants à changer de regard et à y trouver d’autres bénéfices dans la découverte de l’autre. Les seniors sont contents de savoir que le SEMO existe pour les jeunes qui ont des difficultés sociales, professionnelles, d’insertion et/ou de rupture. On n’attend pas du senior qu’il rende un service en retour pour le jeune, mais il est arrivé que l’un deux propose son aide au jeune pour une matière scolaire. Le directeur exprime: « Je trouve important d’expliquer au jeune qu’il n’est pas nul, qu’il peut valoriser son savoir et qu’il sait le transmettre. Les jeunes qui passent ensuite un entretien d’embauche ont très vite un avantage déterminant dans la relation et l’expression, ce qui est une bonne mise en situation en entreprise. » Il est vrai

que, même si la durée de fréquentation au Cyberthé n’est pas la même chez les jeunes (maximum 6 mois) que chez les seniors, les compétences qui y sont travaillées et développées, à court comme à long terme, sont visibles et réelles. Après avoir entendu le point de vue des directeurs, il me paraît pertinent de relever ce qui est sorti des entretiens auprès des deux responsables principales et d’observer leur vécu réel de ces rencontres.