• Aucun résultat trouvé

L’adaptation de la protection par la propriété intellectuelle aux enjeux actuels

Chapitre 2 : Les nouvelles techniques de lutte anti-contrefaçon au bénéfice des

A. L’adaptation de la protection par la propriété intellectuelle aux enjeux actuels

Pour les entreprises, l’objectif est de mettre en place des mesures anti-contrefaçon avec une meilleure protection du produit, rendant plus difficile la copie184. Le réflexe de la propriété intellectuelle est essentiel car cela revient moins cher de protéger en amont qu'en aval. « La propriété intellectuelle n'est pas une dépense mais un investissement »185 comme le souligne à nouveau Emmanuelle Hoffman. La nécessité d'une protection des droits de propriété intellectuelle a été affirmée et est réapparue comme une modalité essentielle de la lutte à entreprendre en la matière.

Les marques doivent redoubler d’inventivité et de solutions novatrices dans la protection des produits de luxe ou des marques elles-mêmes afin de parvenir à contrer le phénomène de la contrefaçon. Pour se faire, il convient de s’appuyer sur la multitude de possibilités

183 Jung et Langlais, supra note 28.

184 Laurence Duarte, « Comment mieux combattre la contrefaçon » (20 mai 2019) en ligne : Harvard Business Review <https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2019/05/26022-comment-mieux-combattre-la- contrefacon/>.

s’offrant aux titulaires de marques et caractérisées par le large panel de signes éligibles à la protection.

A priori, n’importe quel signe paraît éligible comme marque ; dénominations, signes sonores, signes figuratifs ou encore couleurs186. Le choix du signe et surtout sa validité, reste simplement conditionnés au respect d’exigences telles que la distinctivité, dans le but de réaliser sa fonction d'indication d'origine du produit ou du service désigné. Ces prérequis résultent de l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle, reprenant l’article 3 de la Directive (UE) 2015/243614187 issue de la réforme du « Paquet-Marques » adoptée en

2015.

Ainsi, en matière de marque, le droit peut porter sur le produit lui-même ou son conditionnement et doit servir à « distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale de ceux d'autres personnes physiques ou morales »188 et doit « permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l'objet de la protection conférée à son titulaire »189.

Les seules limites auxquelles sont confrontées les marques sont celles de l’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle, lequel prévoit les cas dans lesquels les signes sont susceptibles d’être déclarés nuls. Pour les marques de luxe, le point le plus pertinent à évoquer serait certainement celui prévu au 5ème alinéa, dans le cas où le « signe (serait) constitué exclusivement par la forme ou une autre caractéristique du produit imposée par la nature même de ce produit, nécessaire à l'obtention d'un résultat technique ou qui confère à ce produit une valeur substantielle »190 .

Par conséquent, ces dispositions permettent de protéger à titre de marque un motif particulier de tissu, une partie de chaussure ou même encore un flacon191. Autant de

186 Georges Bonet, « Synthèse : Marques. Signes protégeables » (2020) Fasc. 7140 JurisClasseur Marques – Dessins et modèles.

187 Directive (UE) 2015/2436 rapprochant les législations des États membres sur les marques, 16 décembre

2015.

188 CPI, art. L. 711-1 al. 1. 189 CPI, art. L. 711-1 al. 2. 190 CPI, art. L. 711-2. 191 Dumont, supra note 164.

spécificités, détails et subtilités permettant de caractériser la marque et de se démarquer afin de pouvoir, in fine, repérer les potentielles contrefaçons.

Au regard des produits de luxe, l’idée est d’anticiper les contrefaçons en tenant compte des variations susceptibles d’intervenir lors de l’enregistrement dans le but de devancer les contrefacteurs. Certaines grandes marques de luxe ont bien compris qu’il était judicieux de tourner la contrefaçon à leur avantage et ainsi prendre les contrefacteurs à leur propre jeu. Aujourd’hui, les marques de luxe, elles-mêmes, détournent leur logo et parodient la contrefaçon192. Ces évolutions sont liées « au monde digital, dans lequel il ne peut y avoir de discours vertical » analyse Benjamin Simmenauer, professeur à l’Institut français de la mode. Les marques « qui se tournent elles-mêmes en dérision sont celles qui fonctionnent le mieux aujourd’hui ». Par l’ « autoparodie », le luxe rompt avec les codes classiques afin de montrer que la mode s’aligne sur la réalité du marché et sa clientèle « jeune et connectée »193. On retrouve, à nouveau, la mention des réseaux sociaux et surtout « Instagram » sur lequel certains comptes parodient les marques avec succès.

En octobre 2016, le label « Vêtements » a commercialisé à Séoul une collection capsule baptisée « Official Fake ». De même, la prestigieuse marque « Dior » vend des sacs sur lesquels se trouvent apposée une plaque avec la mention « J’adior », parodiant la mention bien connue de la marque, « J’adore ». Enfin, « Louis Vuitton » collabore même avec la marque « Supreme » pour la production de sacs, bien que cette dernière ait été attaquée en 2000 pour avoir reproduit le fameux logo sur ses planches de skateboard194.

Si les grandes marques de luxe peuvent se permettre un tel écart et une si grande autodérision, cela ne signifie pas que la justification offerte par une possible « marque de dérision » soit de nature à écarter la contrefaçon195. Ainsi, certaines décisions sont placées

192 Domergue, supra note 182.

193 Sophie Abriat, « La mode prend la contrefaçon à revers » (8 septembre 2017) en ligne : Le Monde <

https://www.lemonde.fr/m-styles/article/2017/09/08/la-mode-prend-la-contrefacon-a- revers_5182603_4497319.html>.

194 « Comment les groupes de luxe luttent contre la contrefaçon… et la détournent avec ironie », supra note

17.

195 Isabelle Camus, « La parodie de marque : un défi mondial pour les marques de luxe » (2015) 56 Propr. intell. 241.

sur ce terrain pour légitimer des imitations parodiques de marques196 considérant qu'en

l'absence de risque de confusion sur l'origine des produits désignés par la marque, aucune contrefaçon n'est constituée.

A la différence de la marque reproduite à l’identique, la marque qui est simplement imitée ne pourra constituer une contrefaçon qu’à la condition que cet acte induise une confusion dans l'esprit public197. On opère donc une distinction entre la contrefaçon par reproduction d’un signe à l’identique et l’imitation qui serait constitutive d’une contrefaçon. L’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit une telle interdiction au regard de l’appréciation du signe et des services désignés, qualifiés comme « identiques » ou « similaires ». L’acte de contrefaçon est bien établi si la marque est utilisée pour des produits ou services identiques à ceux qui sont indiqués dans l'enregistrement de la marque protégée198 mais également lorsque le signe ou les services en cause ne sont que similaires. Dans ce cas, lorsque les composantes de la marques ne sont pas reproduites à l’identiques, il est nécessaire de caractériser « un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque »199 authentique, dans l’esprit des consommateurs. De ce fait, même si les produits sont similaires, la contrefaçon ne pourra être constituée sans confusion200. Toutefois, une absence de « risque de confusion » ne peut suffire, à elle seule, à légitimer l'usage d'un détournement de la marque. De telle manière, un vendeur de chaussures revêtues de la dénomination « Yves Saint-Lorent's » n'échappe pas à la contrefaçon pour cette seule raison que, le détournement de la célèbre marque « Yves Saint-Laurent » est tellement manifeste que « le public ne saurait être induit en erreur sur la provenance des produits »201.

196 Ibid.

197 Alexandre Le Gars, « La contrefaçon des marques dans le luxe : l'approche du droit commercial

(jurisprudence française et européenne) » (2011) 12 Propr. industr. Etude 21.

198 CPI, art. L. 713-2 1). 199 CPI, art. L. 713-2 2). 200 Le Gars, supra note 197.

201 Marie Malaurie-Vignal, « Propriétés intellectuelles et parodie à des fins commerciales dans le secteur de la

mode » (2017) 12 Propr. industr. Etude 32. ; Voir en ce sens : CA Paris, 20 mai 1992 : Gaz. Pal. 1994, 2, somm. p 596 : « C'est à tort que celui qui imite illicitement une marque soutient qu'un client d'attention et de culture moyennes ne saurait supposer que les chaussures revêtues de la dénomination "Yves Saint-Lorent's" sont des chaussures provenant de la prestigieuse maison Yves Saint-Laurent ».

De la même façon, la Cour d'appel de Paris a sanctionné le déposant de la marque « ça lèche », imitation de la célèbre marque « Calèche »202 de la société Hermès, pour désigner des produits de parfumerie, au motif que cette « marque de dérision » n’était pas de nature à écarter la contrefaçon203. Il a été relevé que cette expression présentait une « quasi identité visuelle et phonétique »204 avec la fameuse marque d’Hermès : « la déformation légère du son par la cédille du ç, dans un but de dérision que souligne le sens de l’expression « ça lèche » appliquée à un parfum, n’exclut pas la similitude presque totale des deux appellations »205 . L’expression constitue donc bien une contrefaçon.

Au regard de la procédure de dépôt, le choix est particulièrement stratégique et important pour assurer aux marques de luxe une protection adéquate et renforcée. Les marques doivent être vigilantes et doivent notamment anticiper les zones géographiques sur lesquelles elles seront distribuées afin de pouvoir limiter au mieux les risques de contrefaçon206. Est sous-entendu le cas bien connu de la Chine, où les vendeurs chinois parviennent à faire preuve d’une grande imagination pour écouler des quantités impressionnantes de faux biens à l’effigie des marques les plus célèbres207.

La Chine apparaît comme le principal point de départ des marchandises contrefaites208 depuis plusieurs années, représentant environ 66 % des articles saisis. Ainsi, les spécialistes conseillent fortement aux entreprises souhaitant déposer une marque, de le faire en Chine car le marché asiatique est le « roi de la contrefaçon ». Qui plus est, la grande majorité des sites Internet litigieux sont hébergés à l'étranger et en particulier en Chine209.

Plusieurs retours d'expérience, même de jeunes créateurs, ont montré combien le dépôt de leur marque à l’international pouvait être vital et à quel point il était compliqué de

202 WIPO, Marque n°337473, en ligne :

<https://www3.wipo.int/branddb/fr/showData.jsp?ID=MAD.0337473>.

203 CA Paris, 21 nov. 1989, PIBD 1990, n°481, III, à la p 422. ; Voir aussi : CA Paris, Pôle 5, 2e ch., 11 déc.

2015, n° 14/23109, JurisData n° 2015-027964 ; obs. Jocelyne Cayron, « Un an de droit des marques dans le secteur vitivinicole » (2016) 10 Propr. industr. Etude 7, à propos d’ « objets revêtus de logos imitant les marques de la société Pernod Ricard sous forme humoristique ».

204 Claire Etrillard, « La parodie en droit des marques » (2003) 4 Revue Juridique de l’Ouest à la p 453. 205 CA Paris, 21 nov. 1989, supra note 203 à la p 442.

206 Domergue, supra note 182. 207 Moreira, supra note 14.

208 Pierre Massot, « Rôle des douanes en matière de contrefaçon » (2015) 7530 JurisClasseur Marques - Dessins et modèles.

poursuivre des contrefacteurs (comme développé en première partie). On relève l’importance et l’intérêt pour une maison de luxe d’exploiter au mieux la protection de ses actifs par un titre de propriété industrielle renouvelable et susceptible de perdurer210. Mais la propriété intellectuelle n’est pas le seul recours des marques de luxe et celles-ci peuvent également compter sur les avantages offerts par le système de distribution sélective dont elles bénéficient.