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L’activité de collaboration durant le processus de conception peut être définie comme « une activité au cours de laquelle la tâche qui lui est assignée va être réalisée par une équipe ; tâche qui ne sera menée à bien seulement que par le fait d’un regroupement de ressources » [Lang et al., 02]. Dans un tel contexte, les concepteurs travaillent conjointement sur un projet de conception en partageant un but commun identique et l’atteinte de celui-ci passe par la contribution de chacun selon ses compétences spécifiques. Ceci correspond à ce que Darses et al. qualifient de « co-conception » ; c’est une situation de conception collective de coopération forte [Darses et al., 96]. Ainsi, l’organisation du processus de conception se fait sur la base d’activités collaboratives regroupant des équipes transfonctionnelles et transmétiers, ce qui implique une dimension collective et humaine très forte [Garon, 99]. La conception de produit est vue à la croisée de deux principaux processus [Legardeur et al., 03] :

- un processus technique dédié au développement du produit, actionné par les

différents acteurs disposant de ressources techniques, économiques,

organisationnelles et des contraintes associées afin de mener à bien le projet. Ce processus apparaît alors comme un processus de résolution de problèmes multi dimensions, multi compétences sous contraintes intra et inter expertises,

- un processus organisationnel concernant la gestion de projet.

Ces éléments permettent de prendre en compte la dimension collective du travail. Campagne et al. [Campagne et al., 01] insistent sur cette dimension et sur le fait que, quelle que soit la nature du processus étudié, les logiques d’interactions collectives répondent avant tout à un

besoin de partage divers (partage d’objectifs et d’intérêts communs, partage de compétences et de points de vue, partage de ressources…). On retrouve ce souci de prendre en compte les différents éléments partagés chez Lang et al. [Lang et al., 02] qui indiquent que pour encourager la collaboration lors de la création du groupe de travail, le chef de projet doit prendre en considération les aspects suivants :

- l’engagement et la propriété intellectuelle de chacun, - le partage d’espaces de conception,

- les stimulants organisationnels (esprit d’équipe, degrés de coopération, réputation), - le rôle et les responsabilités de chaque membre.

C’est la combinaison de ces éléments qui, en terme de gestion du groupe de travail, favorisera la collaboration dans le groupe au cours du processus de conception. L’objectif est ici d’améliorer la coordination entre des acteurs ayant des rôles différents pour gagner en pertinence et en cohérence au niveau des solutions élaborées, des décisions prises, ainsi que sur la façon de les mettre en œuvre en intégrant par exemple la notion de prise de risque afin de préciser comment et pourquoi ces décisions sont prises [Gidel et al., 00]. La création et le développement de nouveaux savoirs intra et inter métiers permettent aussi à chacun d’apporter au collectif des solutions au problème de conception de façon innovante, pertinente et cohérente. L’objectif du pilotage sera donc de stimuler les acteurs de telle sorte que la collaboration s’opère effectivement et que les objectifs de la conception soient atteints. Pour ce faire, il est nécessaire de bien appréhender ce que représente la collaboration entre des acteurs de la conception et les facteurs qui influencent l’activité collaborative.

2.2.1 La collaboration entre les acteurs de la conception

Rose [Rose, 04] met l’accent sur le fait que le terme de « collaboration », et plus particulièrement « d’activité collaborative », est souvent employé à mauvais escient et sert indifféremment à décrire des situations de communication simple, de coordination ou de coopération [Belkadi et al., 03]. Il n’existe pas de définition et de consensus unique autour de ces concepts, et bon nombre d’auteurs ne font pas la distinction entre ceux-ci et considèrent que la réalisation des actions de manière commune peut être regroupée sous le terme « coopération » au sens général [Sardas et al., 02]. La coopération peut être considérée comme « une activité coordonnée visant à atteindre un objectif commun aux agents coopérants et pour laquelle le coût spécifique de la coordination est inférieur au bénéfice de celle-ci dans la poursuite de l’objectif » [Soubie et al., 94]. La collaboration est « l’action de travailler avec d’autres, à une œuvre commune ». Elle implique la création d’une vision

commune des problèmes à résoudre ainsi qu’un espace commun pour stocker et partager les informations. Elle s’appuie sur un engagement mutuel des participants dans un effort coordonné pour résoudre ensemble les problèmes posés [Dillenbourg et al., 96]. Elle est basée sur une relation durable et persuasive, qui implique un certain risque dans la relation [Matessich et al., 95], et requiert un sens du travail en commun poussé dans le but d’atteindre un résultat créatif [Kvan, 00]. La collaboration est une forme d’interaction beaucoup plus forte que la coopération, nécessitant un esprit de groupe et une adhésion aux objectifs et aux résultats beaucoup plus importants [Kvan, 00]. Partant du fait que la collaboration nécessite un travail d’équipe effectif, une confiance mutuelle [Granovetter et al., 85], un respect et une ouverture d’esprit des uns envers les autres, Crow [Crow, 02] propose un modèle pour spécifier et situer la collaboration (Figure 1.).

Compétition Désintérêt Collaboration Compromis Résignation Degré d’adhésion Niveau de coopération Compétition Désintérêt Collaboration Compromis Résignation Degré d’adhésion Niveau de coopération

Figure 1. Modèle de collaboration [Crow, 02]

Ce modèle montre bien que la collaboration est un acte fort de la part de l’acteur dans le sens où elle réclame un engagement total de sa part. Tout comme la coopération, la collaboration correspond à une démarche humaine dynamique qui s’organise autour d’objets intermédiaires (schémas, plans, dessins, prototypes), d’objets virtuels (maquette numérique) ou notions partagées par tous les acteurs de l’activité de conception [Garon, 99]. Dans le cas de processus de collaboration, le pilotage visera à synchroniser et à coordonner les activités de manière à construire et à maintenir une conception partagée d’un problème [Roschelle et al., 95]. Ainsi, le chef de projet aura à aborder chaque situation différemment et pour ce faire, il doit connaître les facteurs qui influencent l’activité collaborative pour agir dessus.

2.2.2 Les facteurs influant l’activité collaborative de conception

Lewin [Lewin, 75] a mis en évidence les principes de la dynamique d’un groupe et de son incidence sur la formation collective de la décision et sur les processus de changement. Pour Lewin, les conduites individuelles sont fonction du contexte dans lequel elles se produisent. Les interactions d’un individu dans un contexte forment une structure d’éléments indépendants qui constituent un champ de forces ou champ psychologique. Un tel champ résulte d’un équilibre entre de multiples forces. La rupture de cet équilibre provoque une tension chez l’individu. Pour la réduire, il s’efforcera de s’adapter en développant des interactions jusqu’à l’établissement d’un nouvel état d’équilibre. Deux sortes de facteurs entrent dans la composition de ce champ : des facteurs internes (capacité de l’individu à se projeter dans le futur, représentations, perceptions du milieu extérieur…) et des facteurs externes (rôles, canaux de communication, styles de commandement, normes, valeurs du groupe auxquels est confronté l’individu). Ainsi, lorsque que l’on cherche à décrire une activité collaborative, il est important de tenir compte des points de vue de chaque acteur et du contexte au sein duquel va se dérouler la collaboration [Darses, 97] et [Tehari, 99]. Aujourd’hui ce contexte tend à se complexifier et est donc de plus en plus difficile à appréhender. Parce qu’elles veulent réduire les coûts de conception, mais aussi parce qu’elles ne possèdent pas forcement toutes les expertises nécessaires, les entreprises cherchent de plus en plus à créer des partenariats lors des phases de développement de leurs produits. Ainsi, les groupes d’acteurs pourront être internes à l’entreprise ou au contraire répartis à l’échelle d’une région, d’une nation, voire au-delà (consortium AIRBUS). Vont alors se poser des problèmes de communication et de gestion du groupe [Austin et al., 01] : langage, choix de la technique de communication, fréquence des communication, décalage horaire, problèmes liés à la différence de culture, etc. Quoiqu’il en soit, que l’équipe soit composée de membres d’une même entreprise ou de plusieurs, regroupés sur un même site ou non, la gestion de la distribution des ressources humaines est un enjeu important. La difficulté du pilotage de l’activité de l’équipe distribuée résidera donc essentiellement dans les contraintes de gestion des ressources humaines et matérielles (problèmes de communication et interopérabilité des systèmes) et de logistique d’information (problèmes de caractérisation, de collecte, de gestion et de transmission de l’information) [Boujut et al., 00], [Ostergaard et Summers, 03].

2.2.3 Synthèse

L’activité collaborative de conception est une activité complexe et exigera de la part des acteurs un engagement particulier spécifique à l’action de collaborer. Elle est d’autant plus

complexe que, comme le montrent les travaux de Boujut et al. [Boujut et al., 00] et d’Ostergaard et Summers [Ostergaard et Summers, 03], les facteurs qui influencent l’activité de conception sont multiples, variés et affectent plusieurs domaines différents puisqu’ils concernent :

- des critères liés au contexte global de la conception (distribution géographique des ressources, outils de communication,…),

- des critères organisationnels (proximité organisationnelle, intégration des outils métiers, partage des informations,…),

- des critères liés au processus de conception (nature du problème, approche de la conception,…),

- des critères liés aux acteurs (optimisation de la composition du groupe de travail, la communication,…).

L’activité collaborative nécessite donc de considérer à la fois une vision produit pour pouvoir juger de l’évolution de celui-ci, une vision processus pour juger de quelle façon le produit a évolué, une vision organisationnelle pour juger de l’efficience du processus mis en place et une vision centrée sur les acteurs pour juger de la cohérence des choix fait dans l’organisation par rapport aux objectifs, aux contraintes et au contexte de la conception. La prise en compte de l’ensemble de ces visions permet de décrire l’activité, d’avoir une vision globale du processus et donc en fait d’obtenir une description du système de conception. Les interactions entre le produit, le processus, l’organisation et les acteurs de la conception créent la dynamique d’évolution du système. Ainsi, au-delà du processus de conception et de l’activité collaborative de conception c’est le système de conception dans son ensemble qu’il va falloir étudier. Le paragraphe suivant présente différents travaux de recherche sur la modélisation du système de conception.